Le Roi des Étudiants. Vinceslas-Eugène Dick

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Le Roi des Étudiants - Vinceslas-Eugène Dick

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le spleen qui l'envahissait. Aux saillies de Caboulot, aux jeux de mots barbares de Lafleur, aux épigrammes de Cardon, il avait ri... oui, mais d'un rire nerveux, forcé, qui faisait mal. Puis était venu cet état de demi-ivresse, où les idées se mettent franchement à galoper sur le chemin de la rêverie et où le coeur vient aux lèvres, prêt à s'ouvrir à tous les épanchements.

      C'est la phase la plus voluptueuse de l'état, alcoolique. Le cerveau jouit, alors d'une lucidité plus grande qu'à l'état normal, et les idées y dansent tout armées, prêtes à entrer en campagne au premier signal.

      Il était donc rendu à ce degré de l'échelle bachique, quand Després, qui l'observait entre deux bouffées de fumée, lui dit doucement:

      —Champfort!

      —Hein? fit le jeune homme, comme surpris de cette appellation inattendue.

      Puis, se soulevant à demi sur le canapé où il était presque couché;

      —Qu'y a-t-il, mon ami?

      —Il y a, mon cher, que tu n'es pas comme d'habitude et que tu nous caches quelque chose.

      —Mais non..., mais non, je ne vous cache rien... Que voulez-vous que je vous cache, mes bons amis?

      —Tu es triste comme une porte de prison, et c'est en vain que tu veux paraître gai; la gaieté ne te va plus, et cela depuis longtemps.

      —Quelle conclusion tirer de cela? On n'est pas toujours disposé à la joie. Chacun a ses heures de mélancolie, sans qu'il puisse s'en défendre et sans même qu'il en puisse expliquer la cause.

      —Champfort, ne joue pas au plus fin avec moi. Depuis plusieurs mois, je t'observe, et j'ai suivi pas à pas le travail lent, mais continu, mais implacable qui se fait chez toi. Le peu de gaieté, de bonne humeur et d'insouciance joyeuse qui te reste du Champfort d'autrefois n'est que du vernis, et, sous ce vernis, il y a, une grande douleur, une de ces douleurs incurables qui terrassent l'âme la plus fortement trempée.

      Le jeune étudiant baissa la tête et ne répondit pas. Mais sa main se porta instinctivement à son coeur, comme s'il eût craint d'y laisser voir la plaie qu'y devinait Després.

      Celui-ci se leva et, saisissant cette main indiscrète, il dit à Champfort d'une voix douce:

      —Mon pauvre ami, ta main t'a trahi; tu souffres réellement et je vais te dire qu'elle est ta maladie.

      —Tais-toi, Després, tais-toi! fit vivement Champfort, en relevant la tête et regardant l'étudiant avec des yeux presque hagards.

      Cardon, Lafleur et le Caboulot s'étaient imposé mutuellement silence, du moment que Després—leur chef à tous—avait engagé la conversation. Rapprochant leurs chaises, ils attendirent vivement intrigués.

      Després, les désignant:

      —Voyons, Champfort, doutes-tu de nous? Sommes-nous, oui ou non, tes meilleurs amis?

      —Certes, oui.

      —Eh bien! qu'as-tu à craindre?

      —Rien; mais mon secret est un de ceux qu'on emporte dans la tombe.

      —Ta! ta! ta! ton secret n'en est pas un, car je le connais moi.

      —Alors, c'est toujours un secret, répondit noblement Champfort.

      Un éclair brilla dans l'oeil noir de Després. Il leva fièrement sa belle tête intelligente, serra la main du jeune homme et dit:

      —Merci, Champfort. Cette bonne parole est un coup d'éperon qui m'engage définitivement dans la voie que j'ai adoptée.

      Puis, se tournant vers Lafleur, Cardon et le Caboulot:

      —Mes amis, dit-il, vous allez me donner votre parole d'honneur que rien de ce que je vais vous apprendre ne transpirera au dehors.

      —Nous la donnons, firent les jeunes gens, en se levant tous à la fois.

      —Très bien, messieurs. Maintenant, Champfort, écoute, et, surtout, pas de dénégations inutiles. Depuis plusieurs années, tu aimes d'un amour sans espoir ta cousine, Laure Privat. Voilà ta maladie!

      A cette déclaration énergique, Paul Champfort se leva d'un bond. Une pâleur effrayante envahit sa figure, et, foudroyant Després de son regard, il murmura:

      —Malheureux, qu'as-tu dis là?

      —La vérité, mon ami, répondit avec calme le roi des étudiants.

      —Mais tu veux donc ma honte, mon déshonneur, pour jeter ainsi mon secret aux quatre vents de la curiosité publique!

      —Ce que je veux, c'est qu'il ne soit pas dit que Paul Champfort aura frappé inutilement à la porte d'un coeur.

      —Mais tu ne sais donc pas qu'elle ignore mon amour, et que je me laisserai mourir plutôt que de lui faire le moindre aveu.

      —Ceci importe peu... Le temps et les circonstances peuvent amener bien des changements dans les situations les plus embrouillées. Je me charge de forcer la main aux circonstances... et, quant au temps, on lui fera prendre le triple galop, si besoin est.

      —Oh! non, je ne veux pas qu'une pression quelconque, morale ou autre, soit exercée sur cette enfant-là. Mon amour est une indignité, une trahison; eh bien! périsse mon amour, dussé-je ne pas lui survivre!

      —Indignité! trahison!... Eh! depuis quand se montre-t-on indigne et se rend-on coupable de trahison, en aimant avec franchise et loyauté use jeune fille?

      —Depuis que le devoir et la reconnaissance existent. Ma tante Privat m'a recueilli, moi orphelin, alors que les derniers débris du modeste patrimoine de ma famille venaient de disparaître dans les frais de la maladie et d'enterrement de ma mère; elle m'a élevé comme un enfant; elle m'a fait instruire—me mettant ainsi dans les mains les moyens de vivre honorablement—et je pousserais l'ingratitude jusqu'à chercher à capter l'amour de sa fille unique, de sa fille à qui elle laissera une part considérable de sa fortune!...

      —Non, jamais! Ma tête est plus forte que mon coeur, et si celui-ci ne veut pas entendre raison, je le briserai.

      —Ah! si elle était pauvre comme moi!...

      —Pauvre, toi? allons donc! Est-ce qu'on est pauvre quand on possède une intelligence comme la tienne et quand on a un coeur comme celui qui bat dans ta poitrine? est-ce qu'on est pauvre quand on a ton instruction et une position sociale honorable comme celle qui t'attend?

      —Et, d'ailleurs, puisque Mlle Privat a beaucoup d'argent, n'est-il pas juste qu'elle fasse partager cette fortune à un pauvre homme honorable, plutôt que de s'associer à un capitaliste qui n'en a que faire, et donner ainsi le spectacle d'une richesse scandaleuse, au milieu de misères imméritées?

      —Ah! oui, elle est riche et tu es pauvre!... Le voilà bien l'esprit de ce siècle d'argent où tout se cote, où tout se réduit en piastres et contins, où l'on fait marchandise de tout: âme, esprit ou coeur!... Tu verras, Champfort, que dans cent ans d'ici, chaque pensée, chaque sentiment sera matérialisé, pesé dans

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