Ruines et fantômes. Jules Claretie

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Ruines et fantômes - Jules Claretie страница 6

Автор:
Серия:
Издательство:
Ruines et fantômes - Jules Claretie

Скачать книгу

bras, et, devenu plus expert, je donnai un autre passage à mon sang par une large ouverture, et je souffris beaucoup, parce que le verre ne coupe pas, mais déchire.»

      —C'est le seul sang, ajoute-t-il, que j'aie répandu de ma vie!

      Puis il écrivit sur le mur, avec son doigt trempé dans ce sang: Je meurs innoc…, et s'évanouit.

      «Je meurs innocent!» On le croirait parfois.

      M. le commandant du château, le marquis de Belle-Cise, était absent lorsqu'on vint annoncer la tentative de suicide du prisonnier; mais sa femme entra dans le cachot et fit donner des soins à Hardy. Il revint à la vie, ou plutôt la vie le reprit, pour ainsi dire. Et avec la vie, l'espoir, la soif de salut. Rien ne prédispose à l'existence comme un suicide manqué. Jacques Hardy, nouvel Achille, résolut d'en échapper malgré les dieux. Il récapitula ses chances de succès, fit appel à ses parents, demanda du papier, écrivit—et cela dans l'ombre de la nuit—rima, adressa lettres sur lettres, composa ce Mémoire dont j'ai parlé et que j'ai cité, remua terre et ciel, compila, copia, versifia. Tous ses écrits sont un appel à la pitié. Aucune faiblesse pourtant.

      Il supplie, mais dignement.

      Il demande à M. de Jolly, son parent, avocat aux conseils, de lui faire obtenir du bois pour l'hiver, une chambre, de l'air. Il le demande en vers.—Et quels vers!

      Dans ce séjour malencontreux

       Je suis cent fois plus malheureux

       Que le plus malheureux ermite,

       Car un chartreux a son jardin;

       Le plus austère anachorète

       A le plaisir, dans sa retraite,

       De voir l'aurore, le matin;

       Et le soir, assis sur l'herbette,

       Il voit le jour sur son déclin.

      Lacenaire était romantique byronien; l'abbé Hardy est gentil-bernardien.

      Il n'est pas ingrat, d'ailleurs, ce poëte de cachot, et paye sa dette à la marquise qui l'a secouru en chantant M. le marquis:

      Je vous le dis avec franchise,

       On ne me verra point chercher

       De vains moyens de m'évader;

       D'ailleurs monsieur de Belle-Cise

       Veille assez bien sur Pierre-Cise

       Pour être sûr de l'empêcher.

       Il est bienfaisant au possible,

       Affable, humain, compatissant,

       Mais pour avoir le coeur sensible

       Il n'a pas moins l'oeil vigilant.

      Verselets qui semblent tirés du Chapelle et Bachaumont de la captivité!

       Table des matières

      Mais, sur ces entrefaites, 89 était venu, et cette secousse profonde, ce tremblement de terre moral qui allait renverser la royauté, renversa d'abord les Parlements. Toute la procédure instruite contre l'abbé Jacques-Maurice-Bruno Hardy fut réduite à néant, et, amené à Paris, le ci-devant abbé fut traduit au 6° tribunal criminel établi par la loi du 14 mars 1791. Le 16 septembre, l'instruction recommence, les témoins sont rappelés, le chirurgien Dupuis mandé et interrogé, les confrontations faites de nouveau. Bien des preuves manquent alors. Où est Lucile? où est Gautier? Pas plus que le mari, la femme n'a reparu. Elle est morte sans doute à Venise, ou cachée. Lesage, qui a dénoncé Hardy, a pris soin évidemment de la soustraire aux poursuites. C'est sa maîtresse maintenant, il l'aime, elle l'aime peut-être. Elle vit fort honnêtement là-bas, est-ce qu'on sait? Bref, quoique l'affaire soit portée comme pressée sur les rôles, elle traîne, elle ne finit pas.

      Le 22 septembre 1791, Lempereur, commis-greffier, lit le jugement qui annule la procédure de 1787 à Hardy, entre les deux guichets de la Force comme lieu de liberté. Hardy y acquiesce et refuse de signer. A la Force, malgré les versiculets de tout à l'heure, il tente de s'évader. Enfermé au Châtelet en 1790, il avait réussi déjà à sortir de prison; il avait erré dans Paris pendant trois jours, sans ressources. Il s'était présenté chez M. de Pastoret, lui demandant de l'argent. Arrêté bientôt, on avait trouvé sur lui un certificat du district des Cordeliers sous le nom de Moïse Delcamps, de Bordeaux. En mars 1791, porté comme malade à l'infirmerie de Bicêtre, Hardy avait fait mieux. Après avoir fabriqué de faux assignats dans sa prison (ce qui est à peine croyable), il avait acheté les gardiens avec ces papiers, donné 50 livres assignats à chacun des infirmiers-prisonniers et s'était fait ouvrir la grille. Son portefeuille, qui existe encore, bourré de notes, d'adresses, de projets, contient des renseignements curieux, des lettres faites pour dérouter les poursuites, l'une datée de Chambéry, l'autre de Laon; des memoranda: chez le fruitier, rue des Blancs-Manteaux, à côté de la rue de l'Homme-Armé.De Soissons à Laon.De Laon à Marle, chez la veuve Mauclerc, aubergiste sur la route de Moncornet; et des projets d'étapes: des trajets sont faits, au nord, au midi, en divers sens!

      De Paris à le Bourget: 1-1/2 poste.—De Paris à le Ménil-Amelot: 2.—De

       Paris à Dammartin: 1.

      Et toujours, toujours, au bout de la route la frontière bénie: que ce soit l'Allemagne ou l'Espagne, Maubeuge, Liége ou Londres,—l'étranger, le salut!

      L'administrateur de police fut instruit de la tentative d'évasion. Hardy y gagna d'être à l'avenir plus strictement verrouillé.

      Et le temps passait. L'accusé ne perdait ni ses espoirs ni son énergie. Une terrible maladie, qu'il n'avait pu soigner dans sa prison, l'avait rendu chauve. Il était pourtant encore superbe. Le mercredi 22 février 1792, il produisit un grand effet sur l'auditoire lorsque, transféré des prisons de l'Abbaye, il comparut dans la salle d'audience du 6e tribunal criminel, au Palais, le président dudit tribunal étant Claude-Emmanuel Dobsent qui devait présider bientôt le tribunal révolutionnaire pendant l'intervalle de la destitution de Montané à la nomination d'Herman.

      Là, Hardy déclara se nommer Jacques-Maurice-Bruno Hardy, âgé de trente-trois ans, né à Montpellier, et quant à ses qualités, se dit «jurisconsulte et docteur ès lois en l'Université de Paris.» De son état ecclésiastique, pas un mot.

      Le drame touchait à sa fin. Le procès certes paraissait près du dénoûment. L'arrêt cependant ne fut pas rendu encore, et l'abbé Hardy, transféré de prison en prison, de la Conciergerie du Palais à l'Abbaye et de l'Abbaye à la Force, devait finir bizarrement, fatalement, comme il avait vécu.

      J'ai dit qu'on n'a jamais su ce qu'était devenue Lucile.

      Le 3 septembre 1792, les massacres commencèrent dans les prisons de la Force vers une heure du matin. Les vengeances voulaient du sang. Le peuple réclamait, lui aussi, sa Saint-Barthélémy. Les prisonniers, jugés entre les deux guichets, étaient poussés à l'entrée du guichet de la Force, rue des Ballets, et sur-le-champ massacrés, expédiés. Weber et Mathon

Скачать книгу