Ruines et fantômes. Jules Claretie
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Un coup de feu, à cette heure, c'était heureusement chose plus difficile qu'aujourd'hui. Les armes à pierres, grossières, ne partaient pas facilement. A cette heure, le revolver rendrait atrocement tragiques de telles journées tumultueuses[3]. Il semble, en effet, que les armes de précision éclatent toutes seules.
[Note 3: Ces mots étaient écrits avant ces dernières guerres civiles où le revolver a tristement joué son rôle.]
Au 20 juin, pas un coup de feu, pas un mort. Et pourtant les Tuileries étaient prises, le flot coulait dans les appartements, les femmes, hâves, décharnées, sabre en main, entouraient la reine. La disette et la misère se dressaient, hurlantes, devant le roi.
Louis eut le flegme écrasant de l'homme gras qui reste impassible. Il ne broncha point. Il gagna du temps.
Une fois pourtant il tressaillit.
Legendre, en lui parlant, disait:
—Monsieur…
—Je suis votre roi, fit-il.
Legendre reprit:
—Oui, monsieur. Écoutez-nous, vous êtes fait pour nous écouter.
Tout à l'heure Louis XVI allait se coiffer d'un bonnet rouge, y mettre une cocarde tricolore et crier: «Vive la nation!» Il temporisait.
Il disait—d'ailleurs résolu lui aussi:
—Je n'ai pas peur, j'ai reçu les sacrements.
La foule grossissait dans les appartements. Dans la buée torride d'une chaleur étouffante, ce peuple s'agitait comme dans un brouillard d'étuve. Le roi, apoplectique, semblait indifférent. Les faubouriens, eux, riaient, criaient, tâtaient le lit de plume du roi et le trouvaient bon (Michelet).
Assise devant une table, à côté de madame de Lamballe, la reine, pâle, regardait. Le petit dauphin, grimpé à côté d'elle, suait sous un bonnet de laine rouge.
Pétion qui le trouva ainsi, dit:
—Il étouffe, cet enfant-là!
Et il ôta le bonnet du front du prince.
Depuis trois heures de l'après-midi, les Tuileries étaient prises, envahies, et les troupes n'osaient bouger, de peur de faire feu sur le roi. Louis XVI était déjà prisonnier. Prisonnier dans son palais comme un mois plus tard au Temple.
Isnard et Vergniaud vinrent, puis Merlin de Thionville, puis Pétion, pour le délivrer.
Merlin de Thionville, le futur commandant des Mayençais, celui qui, toujours debout à la batterie, fut par les Prussiens assiégeant Mayence appelé le démon de feu, Merlin voyant la reine affaissée, écrasée, injuriée, versa une larme.
—Ah! vous pleurez, monsieur, lui dit la reine. Vous le voyez, vous pleurez!
Et Merlin, fièrement:
—Oui, madame, je pleure. Je pleure parce que je vois une femme et une mère malheureuse. Mais je ne pleure point sur la reine. Je hais les reines autant que je hais les rois!
Le peuple à la fin s'écoula.
—C'est assez, avait dit Pétion, retirez-vous!
Et plus d'un, hochant la tête, plus d'un sectionnaire qui avait entendu le roi beaucoup crier: «Vive la nation!» et ne l'avait pas vu signer un décret pour la nation, plus d'un répétait:
—Rien n'est fini. Tout est à refaire. Le veto existe. Il faudra revenir.
Et, le soir, on rentra les canons muets du 20 juin qui allaient devenir les canons terribles du 10 août.
Le 10 août est, en effet, contenu dans le 20 juin.
Le 20 juin, c'est l'avertissement que le peuple donne au roi.
Le 10 août, c'est la leçon formidable donnée au roi par le peuple.
Les sections pouvaient maintenant marcher aux Tuileries.
Elles en savaient le chemin.
Le soir, tandis que le théâtre de la Nation jouait Castor et Pollux, et que le théâtre de mademoiselle Montansier donnait la première représentation des Jumeaux de Bergame, les Noces cauchoises et Jeannot ou les Battus paient l'amende, la nouvelle se répandait dans Paris que le général Luckner annonçait qu'après une canonnade héroïque de trois heures, les troupes françaises, les volontaires de la Révolution, étaient entrés dans Courtrai, aux acclamations du peuple, et repoussant devant eux l'ennemi,—tout en chantant.
Le peuple, vainqueur aux Tuileries, l'était aussi aux frontières.
Souvenirs d'autrefois! Grandes journées tumultueuses! Poudreux et superbes souvenirs qui sentent en quelque sorte le salpêtre et le soufre des journées d'orage! Comme on en parlait un jour, vers 1835, à ce Barère, qui tout rhéteur qu'il fut, avait pourtant encore l'âme révolutionnaire, il regarda avant de répondre ceux qui lui reprochaient l'audace, la violence, les moyens rapides et foudroyants de ces hommes d'alors; il semblait hésiter à sortir d'un silence qu'il s'imposait peut-être; puis, tout à coup:
—Jeunes gens, dit-il, d'une voix grave qui semblait sortir d'un sépulcre, jeunes gens, vous nous trouvez insensés et égarés. Souvenez-vous pourtant d'une chose, et que c'est Barère qui vous l'a dite:—C'est que la vérité n'arrive à l'oreille des rois que par les portes enfoncées!
Et Barère redevint muet.
LE DIX AOÛT 1792
Il y a soixante-dix-sept ans[4], autour des Tuileries, les balles sifflaient et, en quelques heures d'une poussée vigoureuse et d'un rude coup d'épaules, le peuple broyait un trône et renversait une monarchie de plusieurs siècles.
[Note 4: Nous laissons à ces fragments tout ce qui peut donner la date du temps où ils furent écrits. Leur ton indique bien qu'ils viennent d'une époque de lutte—la lutte contre l'empire, et c'est ce qui explique leur caractère enflammé.]
10 août 1792! Il y avait trois ans déjà qu'on avait pris la Bastille. Il y avait trois ans que, dans une nuit de superbe ivresse, les privilégiés avaient abandonné des priviléges qu'ils devaient essayer de reprendre plus tard. Il y avait trois ans que le peuple s'était écrié: «Je suis libre!» et s'était cru libre. Il y avait trois ans que la Révolution, disait-on, était faite. Et pourtant la nation souffrait des mêmes maux et supportait les mêmes injustices. Le sang avait coulé au champ de Mars et la loi martiale avait arboré son drapeau. Les patriotes étaient tombés fusillés à Nancy et les coeurs avaient bondi aux nouvelles de ces massacres. Devant la volonté populaire, le roi se tenait immobile et coi, mais tout bas appelait