Les morts commandent. Vicente Blasco Ibanez

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les morts commandent - Vicente Blasco Ibanez страница 6

Автор:
Серия:
Издательство:
Les morts commandent - Vicente Blasco Ibanez

Скачать книгу

       Table des matières

      Dès qu’il fut hors de Palma, dans la campagne où souriait le printemps, Febrer se reprocha la vie qu’il menait. Il y avait un an qu’il n’était pas sorti de la ville. Il passait ses après-midi dans les cafés du Borne, et ses soirées dans la salle de jeu du cercle.

      Dire qu’il n’avait jamais l’idée de mettre le nez hors de Palma, pour contempler ces champs d’un vert tendre, où l’on entendait bruire les canaux d’irrigation; ce ciel d’un bleu si doux où flottaient de blancs nuages; ces collines d’un vert sombre, avec leurs petits moulins à vent, gesticulant au faîte; ces abruptes sierras couleur de rose, qui fermaient l’horizon; tout ce riant paysage qui avait valu à Majorque le nom d'Ile Fortunée, que lui décerna l’admiration des anciens navigateurs! Ah! il se promettait bien, lorsque son prochain mariage l’aurait enrichi, de racheter le beau domaine de Son Febrer, et d’y passer une partie de l’année, comme le faisaient ses pères, pour y mener à son tour la vie simple d’un gentilhomme, généreux et respecté!

      Au grand trot de ses deux chevaux, la voiture frôlait au passage et laissait derrière elle de nombreux paysans, revenant de la ville; de sveltes femmes brunes, avec de larges chapeaux de paille enrubannés et ornés de fleurs sauvages; des hommes, vêtus de ce coutil rayé qu’on nomme toile de Majorque, et coiffés de feutres rejetés en arrière, qui entouraient comme d’une auréole, noire ou grise, leurs faces rasées.

      Febrer reconnaissait sur la route les moindres plis de terrain, bien qu’il ne fût point passé par la depuis quelques années. Bientôt il arriva à une bifurcation: un chemin conduisait à Valldemosa, l’autre à Soller.

      Soller! ces deux syllabes firent soudain revivre en lui toute son enfance. Chaque année, dans une voiture semblable, la famille de Febrer allait jadis à Soller, où elle possédait un vieux manoir, «la Casa de la Luna», ainsi nommé parce que la grande porte d’entrée était surmontée d’une demi-sphère de pierre, avec des yeux et un nez, qui représentait la lune.

      C'était toujours vers le mois de mai que se faisait le voyage. Quand la voiture traversait un col, le petit Febrer poussait des cris de joie en voyant à ses pieds la vallée de Soller, ce jardin des Hespérides. Les montagnes, couvertes de sombres forêts de pins, et parsemées de maisonnettes blanches, étaient couronnées d’un turban de brumes. En bas, entourant la ville et se prolongeant jusqu’au rivage, d’immenses bois d’orangers parfumaient l’air. De tous les environs accouraient à la fête de Soller, des familles de paysans. La dulzaine, cette sorte de clarinette moresque, invitait la jeunesse à la danse. De main en main circulaient les verres qu’emplissait la douce eau-de-vie de l'île ou le vin de Bañalbufar. C'étaient les réjouissances en l’honneur de la paix, après dix siècles de guerre et de piraterie.

      Les pêcheurs, pour commémorer la victoire remportée par leurs ancêtres, au XVIe siècle, sur les corsaires turcs, se déguisaient en musulmans ou en guerriers chrétiens, et, tromblons ou épées en mains, simulaient dans le port un combat naval sur leurs humbles barques, ou ils se poursuivaient les uns les autres le long des chemins voisins de la côte.

      Quand les fêtes de Soller avaient pris fin et que le village avait recouvré sa tranquillité coutumière, le petit Jaime passait ses journées à courir par les orangers avec Antonia, aujourd’hui la vieille Mado Antonia qui alors était une fraîche gaillarde aux dents blanches, à la poitrine rebondie, à la démarche lourde. Elle accompagnait le petit Jaime jusqu’au port, sorte de lac paisible et solitaire, dont l’entrée était rendue presque invisible par les remous des flots entre les rochers.

      Hélas! maintenant la Casa de la Luna n’était plus à lui; et depuis plus de vingt ans, il n’avait pas revu ce pays qui lui rappelait de si doux souvenirs....

      A l’endroit où la route bifurquait, la voiture prit le chemin qui conduisait à Valldemosa; mais ici, il ne retrouvait plus aucune trace de ses jeunes années. Il n’avait suivi cette route que deux fois, quand il avait déjà l’âge d’homme, en allant visiter avec quelques amis, les cellules de la Chartreuse. Il se rappelait seulement les oliviers qui la bordaient, les fameux oliviers séculaires aux formes tourmentées et fantastiques, qui avaient servi de modèles à tant de paysagistes, et il penchait la tête au dehors pour les mieux voir. A droite et à gauche s’étendaient les terrains pierreux et desséchés où commençaient les escarpements de la montagne. Le chemin serpentait en montant entre des massifs d’arbres. Les premiers oliviers défilaient déjà devant les fenêtres de sa voiture.

      Febrer les connaissait, ces oliviers étranges; il en avait souvent parlé, et pourtant il éprouva la sensation que donne un spectacle extraordinaire, comme s’il le voyait pour la première fois. C'étaient des arbres énormes, au feuillage clairsemé, aux troncs noirs, noueux et crevassés, bossués par de grandes excroissances, si vieux que la sève ne pouvant monter jusqu’à la ramure, était absorbée par la partie inférieure, qui grossissait sans cesse. La campagne avait l’air d’un atelier de sculpture abandonné, avec des milliers d’ébauches informes et monstrueuses, éparpillées sur le sol, au milieu d’un tapis de verdure, émaillé de pâquerettes et de campanules.

      Le calme régnait dans cette solitude: les oiseaux chantaient, les fleurs des champs se pressaient jusqu’au pied des troncs vermoulus, et les fourmis allaient et venaient en longs chapelets, creusant des galeries au cœur même des plus vieilles racines. On racontait que Gustave Doré avait dessiné ses plus fantastiques compositions sous ces oliviers séculaires, et Jaime, en pensant à cet artiste, se rappela bientôt d’autres personnages plus célèbres qui étaient passés par ce même chemin, qui avaient vécu et souffert à Valldemosa.

      S'il était allé deux fois visiter la Chartreuse, ç'avait été seulement pour voir de près ces lieux immortalisés par l’amour. Maintes fois, son grand-père lui avait conté l’histoire de «la française» de Valldemosa et de son compagnon «le musicien».

      Un jour de l’année 1838, les Majorquins et les Espagnols, qui s’étaient réfugiés dans l'île, pour fuir les horreurs de la guerre civile, avaient vu débarquer un étranger, accompagné d’une femme, d’un petit garçon et d’une fillette. Lorsqu’on déposa à terre les bagages, les insulaires admirèrent, stupéfaits, un piano monumental, un Erard, comme on en voyait peu alors. Pendant quelques jours, l’instrument dut attendre à la Douane que les inquiétudes de l’administration fussent calmées, et les voyageurs allèrent loger dans une auberge qu’ils quittèrent bientôt, pour louer, tout près de Palma, la villa de Son Vent. L'homme paraissait malade. Il était plus jeune que sa compagne, mais son visage, amaigri par la souffrance, était pâle et transparent comme une hostie; ses yeux brillaient de fièvre, et sa poitrine étroite était constamment déchirée par une toux rauque. Une barbe très fine voilait ses joues; une chevelure léonine couronnait son front et tombait sur sa nuque en boucles épaisses. La femme avait des allures masculines. Elle s’occupait activement de tout dans la maison; elle jouait avec ses enfants, comme si elle avait eu leur âge. Mais on pressentait dans cette famille errante quelque chose d’irrégulier, une sorte de protestation et de révolte contre les lois humaines. L'étrangère portait des toilettes quelque peu fantaisistes, avec un poignard d’argent dans les cheveux, ornement romantique qui scandalisait les dévotes de Majorque. En outre, elle n’allait pas à la messe et ne faisait point de visites. Elle ne quittait sa maison que pour jouer avec ses enfants ou pour mettre au soleil le pauvre phtisique, en lui donnant le bras. Les enfants étaient aussi singuliers que leur mère. La fille était habillée en garçon pour courir plus à l’aise à travers champs.

      Bientôt la curiosité

Скачать книгу