Les morts commandent. Vicente Blasco Ibanez

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Les morts commandent - Vicente Blasco Ibanez

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semblait laisser un lambeau de sa vie dans chacune de ses œuvres, et, à vingt-neuf ans, se sentait près de la mort. Il s’appelait Frédéric Chopin. Le petit garçon et la fillette étaient les enfants de la romancière, qui était déjà dans sa trente-cinquième année.

      La société majorquine, enfermée dans ses préjugés traditionnels, s’indigna d’un pareil scandale. Ces gens n’étaient pas mariés!... Et la femme écrivait des romans dont la hardiesse épouvantait les honnêtes gens! Cependant les femmes furent curieuses de les lire, mais à Majorque, nul autre que don Horacio Febrer, le grand-père de Jaime, ne recevait de livres. Il consentit a prêter «Indiana» et «Lelia», qui circulèrent de main en main sans que personne y comprît grand’chose, d’ailleurs. En tout cas, celle qui les avait écrits devint un objet d’horreur; cependant doña Elvira, la grand’mère de Jaime, une Mexicaine dont il avait tant de fois contemplé le portrait, et qu’il se représentait toujours, vêtue de blanc, les yeux au ciel, tenant une harpe dorée entre ses genoux, alla voir plusieurs fois la solitaire de Son Vent; mais ce fut un tel scandale, que don Horacio dut intervenir et défendre à sa femme de continuer ses visites.

      Le vide se fit autour des étrangers. Tandis que les enfants jouaient avec leur mère dans la campagne, pareils à de petits sauvages, le malade, enfermé dans sa chambre, toussait derrière les vitres de sa fenêtre, ou se montrait à la porte, cherchant un rayon de soleil. La nuit, à une heure avancée, sa muse mélancolique et maladive venait le visiter; alors, assis au piano, tout en gémissant et en toussant, il improvisait ses compositions où respire une triste et amère volupté.

      Le propriétaire de Son Vent, un bourgeois de la ville, enjoignit bientôt aux étrangers de déguerpir. Le pianiste était phtisique; n’allait-il pas contaminer sa villa?... Où aller? Retourner en France était impossible. On était en plein hiver, et Chopin tremblait comme un oiseau abandonné, en songeant au froid de Paris. L'île avait beau être inhospitalière; il l’aimait pour la douceur de son climat. Alors s’offrit aux réprouvés, comme l’unique refuge, la Chartreuse de Valldemosa, édifice du moyen âge, sans beauté architecturale, qui n’a de charme que son antiquité, mais qui, bâti au milieu de montagnes aux flancs desquelles dévalent des bois de pins, est protégé contre l’ardeur du soleil par un rideau d’amandiers et de palmiers. C'était un monument presque en ruine, une sorte de couvent de mélodrame, lugubre et mystérieux, avec des cloîtres où campaient vagabonds et mendiants. Pour y pénétrer, il fallait traverser l’ancien cimetière des moines, dont les fosses étaient envahies par des racines qui rejetaient les ossements à fleur de terre. Par les nuits de lune, disait-on, le spectre d’un moine maudit errait à travers les cloîtres, dans ces lieux où jadis il avait péché, en attendant l’heure de la rédemption.

      C'est là que, par une pluvieuse journée d’hiver, les fugitifs allèrent chercher un asile. Fouettés par la bourrasque, ils suivirent la route que parcourait maintenant Febrer, mais qui n’avait de chemin que le nom. Enveloppé dans un gros manteau, le musicien grelottait et toussait sous la bâche, tressaillant douloureusement à tous les cahots. Aux endroits dangereux, la romancière suivait à pied, tenant ses enfants par la main... Un vrai voyage de vagabonds!

      Ils passèrent tout l’hiver dans la Chartreuse solitaire. Elle, chaussée de babouches, avec son petit poignard dans ses cheveux en désordre, faisait courageusement la cuisine, aidée par une toute jeune fille du pays, qui, pour peu qu’on ne la surveillât point, se hâtait d’engloutir les mets destinés au cher malade. Les gamins de Valldemosa jetaient des pierres aux petits Français qu’ils prenaient pour des «Maures, ennemis de Dieu»; les femmes volaient leur mère, quand elles lui vendaient des comestibles, et l’avaient surnommée «la Sorcière». Tous évitaient, en se signant, ces «gitanos» qui osaient habiter le monastère, près des morts, en communication constante avec le fantôme du moine, qui se promenait à travers les cloîtres.

      Pendant le jour, tandis que le malade reposait, la romancière préparait le potage, et, de ses mains fines et pâles d’artiste, aidait la servante à éplucher les légumes. Puis elle courait avec ses enfants, jusqu’à la côte abrupte de Miramar, couverte de bois touffus, où jadis le savant Raymond Lulle avait établi son école d'Études orientales. C'était seulement à l’entrée de la nuit qu’elle commençait vraiment à vivre. Alors les vastes et sombres cloîtres s’animaient soudain d’une harmonie mystérieuse, qui semblait venir de très loin, à travers l’épaisseur des murs. C'était Chopin qui, penché sur le piano, composait ses nocturnes. George Sand, à la lueur d’une bougie, écrivait Spiridion, l’histoire de ce religieux qui finit par rejeter toutes ses croyances. Souvent, alarmée par la fréquence des quintes de toux, elle interrompait son travail pour courir auprès du musicien, et lui faire de la tisane. La nuit, quand la lune brillait, elle était tentée par le frisson du mystère et par la volupté de la peur, et elle allait dans les cloîtres où la lumière des fenêtres se projetait en taches laiteuses au milieu des ténèbres. Personne!... Elle s’asseyait dans le cimetière des moines, attendant en vain que l’apparition du fantôme animât la monotonie de sa vie par un incident romanesque.

      Pendant une nuit de Carnaval, la Chartreuse fut envahie par des «Maures». C'étaient des jeunes gens de Palma qui, après avoir parcouru la ville, déguisés en Berbères, pensèrent à «la française», honteux sans doute de l’isolement auquel on l’avait condamnée. Ils arrivèrent à minuit, troublant de leurs chansons et de leurs guitares, le calme mystérieux du couvent, et effrayant les oiseaux abrités dans les ruines. Dans l’une des cellules, ils exécutèrent des danses espagnoles, que Chopin suivait attentivement de ses regards fébriles, tandis que la romancière allait d’un groupe à l’autre, naïvement joyeuse, comme une bonne bourgeoise, de n'être point tout à fait oubliée.

      Ce fut là sa seule nuit de bonheur à Majorque. Puis le printemps revint, et le «cher malade» se sentant mieux, les étrangers partirent pour retourner lentement à Paris. Oiseaux de passage, ils ne laissèrent pas d’autre trace que le souvenir.

      Nombreuses étaient maintenant les familles de Palma, qui allaient en villégiature à la Chartreuse. Les cellules avaient été transformées en pièces élégantes, et chacun tenait à ce que sa chambre fût celle de George Sand. Febrer avait une fois visité le couvent avec un nonagénaire, qui avait été un des prétendus Maures, venus pour donner une sérénade à «la française». Mais le vieillard ne se souvenait de rien; il était même incapable de reconnaître les lieux.

      Jaime éprouvait une sorte d’amour rétrospectif pour cette femme extraordinaire. Il la voyait telle qu’elle est dans ses portraits de jeunesse, avec un visage presque inexpressif, et de grands yeux profonds, énigmatiques, sous une chevelure flottante, sans autre ornement qu’une rose près de la tempe. George Sand! L'amour avait toujours eu pour elle la cruauté du sphinx antique; chaque fois qu’elle tentait de l’interroger, elle le sentait déchirer son cœur, impitoyablement. Toute l’abnégation, toutes les révoltes de la passion, elle les avait connues! La volage héroïne des nuits vénitiennes, l’infidèle compagne de Musset était la même femme que cette garde-malade qui préparait les repas et les tisanes de Chopin mourant dans la solitude de Valldemosa... Ah! si lui, Febrer, avait connu une femme de ce genre, une femme qui résumât en elle l’infinie variété du caractère féminin, avec tout ce qu’il comporte de douceur et de cruauté!... Être aimé par une femme supérieure sur laquelle il aurait pu exercer un viril ascendant, et qui lui eût en même temps inspiré du respect et de l’admiration!...

      Jaime demeura un instant comme fasciné, regardant le paysage, sans le voir. Mais bientôt il sourit ironiquement; il songea à l’objet de son voyage, et se prit en pitié. C'était bien à lui, vraiment, de rêver à des amours désintéressées, à lui qui allait vendre son nom à une jeune fille qu’il connaissait à peine, et contracter une union qui scandaliserait l'île tout entière! Digne fin d’une vie inutile, étourdiment gaspillée!

      Il

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