Reborn. Miriam Mastrovito
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Même le détail qu’elle pleurait pour un autre homme dont elle avait été l’épouse était erroné. C’était plus qu’un simple détail en vérité : plutôt un fait incontestable qui l’avait atteint comme un coup de poignard dans le dos, mais pas autant que le fait qu’elle ne se souvienne pas de lui.
C’était une blague du destin, du hasard… Du chaos, ou de quoi que ce soit d’autre, qu’il avait encore du mal à assimiler.
Il avait toujours soupçonné qu’Ogma était derrière son odyssée personnelle mais il n’avait jamais avoué et il doutait qu’il le ferait dans le futur.
Toutefois, Iuri était optimiste. Si son amour l’avait guidé à travers l’espace et le temps jusqu’à le mener là, il devait y avoir une raison. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Au fond de son cœur, il était certain que, tôt ou tard, Elga se souviendrait de lui elle aussi et il ferait tout pour que cela arrive.
La sonnerie de son téléphone le tira de ses pensées. Le riff de A forest des Cure se fit entendre dans la poche de sa veste pendue au dossier d’une chaise de la cuisine. Il n’aimait pas ce genre de musique et préférait le classique, mais Elga en était folle et l’écouter de temps en temps… Et bien, cela aussi l’aidait à la sentir plus proche. Sa vie était désormais réduite à un exercice continu pour raccourcir une distance infranchissable.
Pathétique l’avait jugé Ogma, mais l’insulte avait raté sa cible car lui se sentait simplement tenace.
Difficile de se tromper sur l’origine de l’appel, monsieur Di Spirito était le seul à connaître son numéro, à part Filippo qui n’appelait jamais.
Il posa soigneusement sa relique et alla répondre.
Un homme âgé d’un peu plus de quarante ans. Mort du cancer à l’hôpital. Le corps attendait à la morgue d’être remonté. Iuri détestait le froid des hôpitaux, l’anonymat des murs blancs et des sols en linoléum imprégnés de désinfectant. Personne ne choisirait de mourir dans un tel endroit, mais la mort n’avait cure de telles prétentions.
« J’arrive » dit-il sèchement avant de couper la communication, une manche de sa veste déjà enfilée à moitié. Il finit de se préparer en vitesse, attrapa son sac avec ses outils et sortit dans la rue.
Chapitre 8
I close my eyes but I can’t sleep. [7]
the branded picture of you.
Obsession - Siouxsie and the Banshees
Elga parcourut à pas rapides la longue avenue bordée de cyprès qui menait au cimetière, franchit le portail en fer forgé et grimpa les marches à la hâte. Lorsqu’elle pénétra dans le large atrium de l’entrée, elle était à bout de souffle, mais ne s’arrêta pas. Pour la première fois depuis qu’elle fréquentait ce lieu, l’inscription “Ils ressusciteront” sur la fenêtre centrale provoqua un frisson le long de son dos. Elle détourna le regard pour s’empêcher de réfléchir et continua vers sa destination.
L’idée l’avait traversée comme un éclair soudain alors qu’elle tentait d’avaler un morceau de pain vieux de deux jours.
Elle se traita d’imbécile pour ne pas y avoir pensé immédiatement. Elle avait retourné toute la maison alors qu’il lui suffisait de se rendre au cimetière pour obtenir une preuve incontestable de la mort de Martina.
Elle s’était habillée rapidement et était sortie, poussée par le besoin irrépressible de mettre fin à cette folie. Un sourire ironique lui avait échappé à la pensée de pouvoir tirer du réconfort de la pierre sur laquelle était gravé le prénom de sa fille puis, l’image des photos truquées apparues chez elle était revenue occuper la scène et ses lèvres s’étaient étirées en une grimace indéfinissable.
«Faites que tout soit en ordre, faites que tout soit en ordre, faites que tout soit en ordre…» Au fur et à mesure que la distance avec la tombe se réduisait, elle se le répétait comme un mantra. Plus la plaque de marbre approchait et plus un sentiment de malaise et d’angoisse montait en elle.
Il avait de nouveau plu pendant la nuit. Le sol encore humide colla à ses bottes lorsqu’elle quitta le sentier asphalté pour s’avancer parmi les tombes situées dans la zone découverte du cimetière.
Le sourire d’Andrea l’accueillit, rassurant, se détachant comme un rayon lumineux sur la pierre de granit noir. Elga ne lui accorda qu’un rapide coup d’œil avant que son regard n’aille se fixer anxieusement sur la tombe suivante. Le froncement de sourcils triste de monsieur Giacomo Ludovico la salua comme pour dire « Je suis désolé. » Elle recula de quelques pas, voulut rembobiner la pellicule et reprendre au début. Elle revint à la photo de son mari et laissa ses yeux se tourner prudemment vers la photo suivante.
Rien. La tombe de Martina n’était tout simplement plus là. Elle s’était toujours trouvée entre celle de son papa et celle de Giacomo, et il semblait pourtant que les deux emplacements s’étaient rapprochés et avaient englouti la distance qui les séparait, effaçant ce qui se trouvait entre eux deux.
Elga contrôla à plusieurs reprises. Les tombes étaient toutes à leur place et étaient celles de toujours, mais une avait disparu, évanouie dans le néant sans même laisser un espace vide. Elle fut prise de vertige lorsqu’elle dut se rendre à l’évidence, se laissa tomber à genoux sur la tombe d’Andrea et s’abandonna à des sanglots convulsifs.
«Qu’est-ce qu’il se passe? Dis-le moi, je t’en prie» implora-t-elle à voix basse, en pleurs.
«Vous vous sentez bien?» Elle sentit soudainement une main posée sur son épaule. Elle leva son visage strié de larmes et reconnut un vieux monsieur qui se rendait là chaque jour pour rendre visite à sa défunte femme. Elga ne le connaissait pas vraiment, elle ignorait même son nom, mais elle l’avait croisé des milliers de fois, éprouvant toujours de la tendresse pour le dévouement avec lequel il s’assurait que le vase de son aimée soit toujours plein de fleurs fraîches. Des roses rouges uniquement, probablement ses préférées de son vivant.
«Tout va bien, oui» répondit-elle en s’essuyant le visage du dos de la main.
L’homme lui tendit un bras pour l’aider à se relever.
«Vous êtes sûre? Vous voulez que je vous apporte un peu d’eau?»
«Ne vous inquiétez pas, ça va déjà mieux. C’est que…»
«Je sais, l’interrompit l’autre. Je sais comment on se sent. Je la vois toujours, vous savez. Ce doit être votre mari» ajouta-t-il en montrant la tombe d’Andrea. J’ai perdu mon Isabella il y a des années, mais c’est comme si c’était hier. Ça ne passe pas.»
«Non, ça ne passe pas» confirma Elga dans un filet de voix. Elle fut tentée de lui demander s’il avait déjà remarqué la tombe d’une fillette à côté, mais le courage d’encaisser l’inévitable réponse lui manqua. «Merci» murmura-t-elle, et elle se dirigea vers la sortie aussi vite qu’elle