La Sacrifiée Récalcitrante. Ines Johnson
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Alors c’était soit les potions, soit l’impuissance pour les derniers des dragons. Corin se rassit à son bureau. Il écarta le Rubik’s Cube et s’attela à déchiffrer une énigme qu’il était bien plus proche de résoudre.
Chapitre 2
L’air de la salle d’attente de la clinique empestait la mort. Les pales du ventilateur au plafond tournaient encore et encore, répartissant équitablement l’odeur d’œufs durs pourris. Les chaises en plastique avaient la couleur vert clair du chou. Les coussins des sièges dégageaient une odeur de végétaux en décomposition. Chaque fois que quelqu’un bougeait ou posait un pied sur le sol, leurs semelles se détachaient du revêtement collant et une bouffée de naphtaline moisie s’élevait dans l’atmosphère étouffante.
Personne n’était mort, dans la salle d’attente. Jusqu’ici. Mais chaque personne dans cette pièce avait un pied dans la tombe. Elle comprise.
Chryssie inspira profondément. Enfin, aussi profondément que possible pour elle. Le mince filet d’air siffla dans ses poumons contractés. C’était suffisant pour qu’elle tienne debout.
Elle fit passer son poids d’un pied sur l’autre tandis qu’elle donnait un faux nom à une réceptionniste à l’air indifférent. Elle essaya de ne pas trop s’appuyer sur son côté droit, qui transportait une lourde charge dans sa nouvelle veste en cuir flambant neuve.
Enfin, neuve pour elle, au moins. Elle était certaine que la jeune femme aisée qui s’était débarrassée de la veste au Goodwill du coin avait dû payer un joli paquet pour elle. Chryssie n’avait payé que quelques dollars, mais le vêtement la faisait ressembler à une justicière implacable.
Elle inclina la hanche comme elle avait vu Michelle Gellar le faire dans des rediffusions de Buffy contre les vampires. Même si Chryssie était probablement plus du genre Willow, avec ses cheveux roux, sa peau laiteuse, et un talent pour botter des fesses qui était proche de zéro. Willow passait le plus clair de son temps en mocassins avec le nez dans un livre, ce qui correspondait parfaitement à la description de Chryssie.
Chryssie était en équilibre précaire sur ses bottes de dure à cuire. Les étourdissements étaient des compagnons permanents.
Mais, ça, c’était avant. Aujourd’hui était un autre jour.
Les bottes étaient un autre accessoire nécessaire, aujourd’hui. Elle les avait aussi dégotées au dépôt-vente. La veste et les bottes avaient probablement appartenu à la même jet-setteuse philanthrope. Chryssie n’avait jamais rien porté d’autre que des chaussures plates, et elle n’avait jamais levé le poing, et encore moins le pied, pour botter les fesses de qui que ce soit. Pour quelqu’un qui avait de la peine à remplir ses poumons d’oxygène, ça n’avait aucun sens de les lever au-dessus du sol plus haut que la normale.
Ça aussi, ça prenait fin aujourd’hui.
— Le docteur va vous recevoir dans un instant, asseyez-vous, s’il vous plaît.
Chryssie reporta son poids sur son côté droit et se retourna. Elle avait trouvé un préservatif à l’intérieur des bottes quand elle les avait achetées, confortant confirmant un peu plus le statut rebelle de leur précédente propriétaire. Chryssie l’avait laissé là. Pas qu’elle ait la moindre intention de l’utiliser prochainement. Son heure était bientôt venue. Mais savoir le contraceptif dans ses bottes la faisait se sentir encore plus implacable.
Les talons de ses bottes roulèrent une pelle à la crasse sur le sol avec des slurp slurp slurp à chaque pas. C’était ce qu’elle avait connu de plus proche d’une expérience charnelle. La seule expérience qu’elle aurait jamais, jusqu’à la fin de ses jours. Un baiser était pratiquement hors de question pour quelqu’un qui pouvait à peine respirer, alors retenir son souffle pendant que quelqu’un d’autre lui fourrait sa langue dans la bouche, encore moins.
Quand le docteur pourrait la recevoir, il serait le dernier homme qu’elle verrait. À part les gardiens de prison. Et ça, c’était si elle quittait cet endroit en vie. La société ne voyait pas d’un très bon œil qu’on laisse les meurtriers de sang-froid courir les rues.
Enfin, du moins les pauvres.
La main de Chryssie se posa sur le froid canon en métal enfoui dans la poche de sa veste. L’acier était plus chaud que ses doigts. Mais tout était plus chaud qu’elle. Chaque jour de sa vie, elle n’avait rien ressenti d’autre que le froid. Le froid et la fatigue et la faiblesse et l’inutilité.
Faisant des yeux le tour de la salle d’attente, elle vit tant de cas désespérés. Personnellement, elle ne faisait plus semblant d’avoir de l’espoir. Les gens venaient dans cette petite clinique miteuse, au fond d’une ruelle, en dernier recours. Chryssie aurait été l’une d’entre eux quelques mois plus tôt, mais elle n’en était plus à se raconter des histoires. Elle était à court d’options.
La maladie s’était propagée dans tous les recoins de son corps, et maintenant, c’était même devenu difficile de respirer. Il n’y avait rien qui puisse atténuer sa souffrance. Avant qu’elle aille en enfer, il y avait juste une chose qu’elle avait besoin de faire.
— Mademoiselle Slayer, le docteur va vous recevoir, à présent.
Chryssie se leva sur des jambes flageolantes. La main dans sa poche droite était ferme. Les talons de ses bottes claquèrent sur le linoléum en décomposition en direction de la salle d’examen. L’odeur de mort s’intensifia encore à mesure qu’elle s’approchait de la porte ouverte.
La petite salle d’examen était identique à toutes celles qu’elle avait déjà vues durant ses vingt années d’existence. Un évier aseptisé entouré d’instruments en métal. Des affiches qui se décollaient prévenaient des risques de ne pas se faire vacciner et immuniser. Toutes les piqûres du monde n’avaient rien pu faire pour Chryssie et sa sœur.
Elle ne se donna pas la peine de se déshabiller. C’étaient les vêtements dans lesquels elle voulait être enterrée. En plus, ces bottes étaient galères à enfiler, elle n’allait pas les enlever si vite. Pas quand elle les portait pour botter le cul de l’homme responsable de la mort de sa sœur.
La porte s’ouvrit en grand, et il apparut. Il ne s’était même pas donné la peine de frapper pour savoir si elle était prête avant d’entrer. Il n’avait pas changé. La même moustache en guidon de vélo. Les mêmes sourcils froncés. Les mêmes mains boudinées.
Il ne lui adressa même pas un regard. Ses yeux restèrent rivés sur ses dossiers. Exactement comme quand elle n’était encore qu’une enfant et que ses symptômes n’étaient pas encore apparus. Elle ne lui avait été d’aucune utilité, parce qu’elle avait été en bonne santé. Sa grande sœur de dix-huit ans, malade, avait eu plus de valeur.
— Mademoiselle Slayer, c’est bien ça ?
— C’est exact, dit Chryssie en caressant la sécurité de son arme.
Ce n’était pas un pieu comme celui de l’héroïne dont elle avait emprunté le nom, mais elle avait la ferme intention de viser le cœur de ce démon quand