La Sacrifiée Récalcitrante. Ines Johnson
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— J’ai déjà vu ces symptômes auparavant, dit le médecin en ne levant toujours pas les yeux, regardant uniquement ses papiers. Fatigue permanente, intolérance au froid, souffle court, et votre bilan sanguin…
Elle vit le calcul dans ses yeux. Le vit soustraire d’une colonne en plissant les paupières. Puis multiplier dans une autre lorsque ses petits yeux perçants s’arrondirent.
— Il y a un traitement expérimental que vous pourriez essayer si—
Le bloc-notes et les dossiers tombèrent avec fracas sur le sol. Les papiers contenant le diagnostic condamnant Chryssie se détachèrent et s’éparpillèrent, se collant au bazar malpropre sous leurs pieds. Il n’y eut pas le slurp slurp slurp de talons se décollant de la crasse du sol. Uniquement le déclic assourdissant de la sécurité qui s’enlevait.
Il leva les yeux, alors. Droit sur le sombre canon de l’arme de Chryssie. Il desserra les mâchoires et sa bouche s’ouvrit en grand.
— Je m’appelle Chrysanthème Jones. Tu as tué ma sœur. Prépare-toi à mourir.
— Quoi ?
Chryssie soupira. Elle avait préparé plusieurs discours de vengeance différents. Puisque Princess Bride avait été le film préféré de sa sœur, ça paraissait être ce qui convenait le mieux. Encore une chose que ce médecin avait fichue en l’air. Heureusement, elle avait préparé une deuxième réplique. Comme la première, les mots n’étaient pas d’elle.
— Ne crie pas, dit Chryssie. N’aie pas peur. Ça ne fera pas mal du tout, et ensuite tu seras dans un monde meilleur.
Chryssie se souvenait encore du jour où sa sœur avait été emmenée. Elle avait été présente dans la chambre avec elle. Sa petite main enfouie dans la main de sa grande sœur. Jacinthe avait désespérément voulu aller mieux. Pas juste pour elle-même, mais pour Chryssie aussi. Elles venaient juste de perdre leur mère l’année précédente. Elles étaient tout ce qui leur restait.
Le médecin avait prononcé ces mots, l’avait emmenée au bloc, et Jacinthe avait disparu. On ne l’avait plus jamais revue. Excepté quand des morceaux de son corps étaient réapparus lors d’un coup de filet du FBI, dans une version moderne des profanateurs de sépulture. Les autorités avaient pincé les étudiants en médecine qui avaient acheté les morceaux de corps malades, mais elles n’avaient jamais été capables d’identifier le revendeur. Quand les noms des personnes décédées avaient été révélés, Chryssie s’était immédiatement souvenue du dernier jour où elle avait vu sa sœur, ainsi que du médecin qui avait prononcé ces dernières paroles.
— C’est ce que vous avez dit à ma sœur avant de la tuer et de la découper comme une tarte aux patates douces à Thanksgiving.
— J’ai dit la vérité, dit-il. Elle n’a pas souffert.
— Vous l’avez tuée.
— Elle allait mourir. Il n’y avait rien que quiconque pouvait faire, à part étudier les symptômes de sa maladie.
Le doigt de Chryssie posé sur la détente recula d’un millimètre vers l’intérieur. Mais les yeux du médecin avaient perdu leur frayeur. Il la regardait à nouveau comme si elle était un spécimen de laboratoire.
— Vous savez à quel point les gens comme vous sont rares ? demanda-t-il en jetant un œil vers le sommet de son crâne. Et ils ont toujours les cheveux roux.
Chryssie s’empêcha de passer la main dans ses mèches rouge sang. Tout comme sa mère et sa sœur, la couleur ressemblait à des flammes lui sortant directement du crâne.
— Il y a de l’hélium dans votre sang, continua-t-il. Ce n’est pas normal. Vous devriez être morte. À vous regarder, vous le serez dans peu de temps.
— Vous d’abord.
Elle tendit les bras. Ses mains étaient fermes, ce qui était surprenant vu qu’elle s’était sentie faible tous les jours de sa vie depuis qu’elle avait douze ans. Mais son index ne voulait toujours pas plier. Elle avait envie de poignarder cet homme. Elle devrait peut-être faire ça avec un pieu, à la place.
— Écoute, chérie, je vois bien qu’il faut faire la queue, mais je n’ai pas que ça à faire.
Chryssie et le médecin tournèrent tous les deux brusquement la tête vers la fenêtre d’où provenait la voix. Sur le rebord se trouvait assise l’incarnation même de la définition d’héroïne balèze. La femme était vêtue d’un corsage bleu argenté qui soutenait une poitrine généreuse. Ses abdos musclés étaient parfaitement plats et sans un seul bourrelet, malgré qu’elle soit assise avec un genou relevé. Des cheveux violets flottaient dans la brise comme si un ventilateur était dirigé vers elle. Et puis, il y avait ses bottes. Si celles de Chryssie étaient du genre balèze de dépôt-vente, celles de cette femme étaient clairement d’authentiques fouteuses de branlée.
Dans ses mains, la femme tenait une grosse boule noire, semblable à une boule de billard, avec le chiffre huit peint dans un cercle blanc. Elle lançait la boule de haut en bas, la rattrapant adroitement dans sa main. Au bout des doigts, elle avait de longs ongles ressemblant à des serres qui se refermaient autour de la boule. Ses yeux étaient fixés sur Chryssie. Ils étaient dorés. Pas noisettes. De l’or véritable, brillant comme le métal.
— Tu vas appuyer sur la détente ou pas, beaux nichons ?
— Je…
Chryssie hésita. En partie parce qu’on l’avait appelée beaux nichons. Ses seins n’avaient jamais attiré l’attention de personne. C’était un peu flatteur.
Ou peut-être que c’était le choc de voir une femme, qui n’était pas là auparavant, assise à la fenêtre d’un immeuble de trois étages.
— Qu’est-ce que tu en penses, Magic 8 Ball ? Elle a les couilles d’exploser la tête de ce crétin ? Ou je dois le faire moi-même ?
La femme secoua la boule et scruta le cube à l’intérieur de celle-ci.
— Réponse difficile, essaie plus tard. Quelle connerie.
Le beau visage de la femme grimaça de mécontentement. Elle balança la boule par la fenêtre. Puis elle tourna son regard doré vers Chryssie.
— Qu’est-ce que tu fais, poupée ? Je serais ravie que tu fasses mon boulot à ma place.
— Votre boulot ? demanda Chryssie.
— Je suis une escorte. J’escorte les enfoirés tordus et criminels humains comme celui-là dans les boyaux de l’enfer.
L’enfoiré criminel, qui faisait maintenant face non pas à une, mais à deux folles furieuses qui voulaient sa mort, saisit l’opportunité de se diriger vers la porte.
Oh non, pas si vite. Chryssie n’allait pas le laisser s’échapper. Oubliant sa rivale, mieux habillée, en meilleure forme, et carrément canon, à la fenêtre, Chryssie tourna rapidement son arme vers le médecin en fuite.
Le temps que l’arme soit dirigée vers le médecin, l’autre femme était là. La vraie tueuse