Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas

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Le Chevalier de Maison-Rouge - Alexandre  Dumas

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se mit donc à parcourir de nouveau la rue Saint-Victor, la rue vieille Saint-Jacques, lisant, à la lueur du jour défaillant, tous ces noms écrits d’une main plus ou moins exercée sur le panneau de chaque porte.

      Maurice en était à sa centième maison, et par conséquent à sa centième liste, sans que rien eût pu lui faire croire encore qu’il fût le moins du monde sur la trace de son inconnue, qu’il ne voulait reconnaître qu’à la condition que s’ouvrirait à ses yeux un nom dans le genre de celui qu’il avait rêvé, lorsqu’un brave cordonnier, voyant l’impatience répandue sur la figure du lecteur, ouvrit sa porte, sortit avec sa courroie de cuir et son poinçon, et, regardant Maurice par-dessus ses lunettes:

      – Veux-tu avoir quelque renseignement sur les locataires de cette maison? dit-il. En ce cas, parle, je suis prêt à te répondre.

      – Merci, citoyen, balbutia Maurice, mais je cherchais le nom d’un ami.

      – Dis ce nom, citoyen, je connais tout le monde dans ce quartier. Où demeurait cet ami?

      – Il demeurait, je crois, vieille rue Saint-Jacques; mais j’ai peur qu’il n’ait déménagé.

      – Mais comment se nommait-il? Il faut que je sache son nom.

      Maurice surpris resta un instant hésitant; puis il prononça le premier nom qui se présenta à sa mémoire.

      – René, dit-il.

      – Et son état?

      Maurice était entouré de tanneries.

      – Garçon tanneur, dit-il.

      – Dans ce cas, dit un bourgeois qui venait de s’arrêter là et qui regardait Maurice avec une certaine bonhomie, qui n’était pas exempte de défiance, il faudrait s’adresser au maître.

      – C’est juste, ça, dit le portier, c’est très juste; les maîtres savent les noms de leurs ouvriers, et voilà le citoyen Dixmer, tiens, qui est directeur de tannerie et qui a plus de cinquante ouvriers dans sa tannerie, il peut te renseigner, lui.

      Maurice se retourna et vit un bon bourgeois d’une taille élevée, d’un visage placide, d’une richesse de costume qui annonçait l’industriel opulent.

      – Seulement, comme l’a dit le citoyen portier, continua le bourgeois, il faudrait savoir le nom de famille.

      – Je l’ai dit: René.

      – René n’est qu’un nom de baptême, et c’est le nom de famille que je demande. Tous les ouvriers inscrits chez moi le sont sous leur nom de famille.

      – Ma foi, dit Maurice que cette espèce d’interrogatoire commençait à impatienter, le nom de famille, je ne le sais pas.

      – Comment! dit le bourgeois avec un sourire dans lequel Maurice crut remarquer plus d’ironie qu’il n’en voulait laisser paraître, comment, citoyen, tu ne sais pas le nom de famille de ton ami?

      – Non.

      – En ce cas, il est probable que tu ne le retrouveras pas.

      Et le bourgeois, saluant gracieusement Maurice, fit quelques pas et entra dans une maison de la vieille rue Saint-Jacques.

      – Le fait est que, si tu ne sais pas son nom de famille…, dit le portier.

      – Eh bien, non, je ne le sais pas, dit Maurice, qui n’aurait pas été fâché, pour avoir une occasion de faire déborder sa mauvaise humeur, qu’on lui cherchât querelle, et même, il faut le dire, qui n’était pas éloigné d’en chercher une exprès. Qu’as-tu à dire à cela?

      – Rien, citoyen, rien du tout; seulement, si tu ne sais pas le nom de ton ami, il est probable, comme te l’a dit le citoyen Dixmer, il est probable que tu ne le retrouveras point.

      Et le citoyen portier rentra dans sa loge en haussant les épaules.

      Maurice avait bonne envie de rosser le citoyen portier, mais ce dernier était vieux: sa faiblesse le sauva.

      Vingt ans de moins, et Maurice eût donné le spectacle scandaleux de l’égalité devant la loi, mais de l’inégalité devant la force.

      D’ailleurs, la nuit allait tomber, et Maurice n’avait plus que quelques minutes de jour.

      Il en profita pour s’engager d’abord dans la première ruelle, ensuite dans la seconde; il en examina chaque porte, il en sonda chaque recoin, regarda par-dessus chaque palissade, se hissa au-dessus de chaque mur, lança un coup d’œil dans l’intérieur de chaque grille, par le trou de chaque serrure, heurta à quelques magasins déserts sans avoir de réponse, enfin consuma près de deux heures dans cette recherche inutile.

      Neuf heures du soir sonnèrent. Il faisait nuit close: on n’entendait plus aucun bruit, on n’apercevait plus aucun mouvement dans ce quartier désert, d’où la vie semblait s’être retirée avec le jour.

      Maurice, désespéré, allait faire un mouvement rétrograde, quand tout à coup, au détour d’une étroite allée, il vit briller une lumière. Il s’aventura dans le passage sombre, sans remarquer qu’au moment même où il s’y enfonçait, une tête curieuse qui, depuis un quart d’heure, du milieu d’un massif d’arbres s’élevant au-dessus de la muraille, suivait tous ses mouvements, venait de disparaître avec précipitation derrière cette muraille.

      Quelques secondes après que la tête eut disparu, trois hommes, sortant par une petite porte percée dans cette même muraille, allèrent se jeter dans l’allée où venait de se perdre Maurice, tandis qu’un quatrième, pour plus grande précaution, fermait la porte de cette allée.

      Maurice, au bout de l’allée, avait trouvé une cour; c’était de l’autre côté de cette cour que brillait la lumière. Il frappa à la porte d’une maison pauvre et solitaire; mais au premier coup qu’il frappa, la lumière s’éteignit.

      Maurice redoubla, mais nul ne répondit à son appel; il vit que c’était un parti pris de ne pas répondre. Il comprit qu’il perdait inutilement son temps à frapper, traversa la cour et rentra sous l’allée.

      En même temps, la porte de la maison tourna doucement sur ses gonds; trois hommes en sortirent et un coup de sifflet retentit.

      Maurice se retourna et vit trois ombres à la distance de deux longueurs de son bâton.

      Dans les ténèbres, à la lueur de cette espèce de lumière qui existe toujours pour les yeux depuis longtemps habitués à l’obscurité, reluisaient trois lames aux reflets fauves.

      Maurice comprit qu’il était cerné. Il voulut faire le moulinet avec son bâton; mais l’allée était si étroite que son bâton toucha les deux murs. Au même instant, un violent coup, porté sur la tête, l’étourdit. C’était une agression imprévue faite par les quatre hommes qui étaient sortis de la muraille. Sept hommes se jetèrent à la fois sur Maurice, et, malgré une résistance désespérée, le terrassèrent, lui lièrent les mains et lui bandèrent les yeux.

      Maurice n’avait pas jeté un cri, n’avait pas appelé à l’aide. La force et le courage veulent toujours se suffire à eux-mêmes et semblent avoir honte d’un secours étranger.

      D’ailleurs, Maurice eût appelé que, dans ce quartier

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