Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas

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Le Chevalier de Maison-Rouge - Alexandre  Dumas

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furieusement ses amis, ce qui lui avait fait une réputation digne des beaux jours de Rome et de la Grèce.

      La guerre déclarée, Maurice s’enrôla et partit pour la frontière, en qualité de lieutenant, avec les quinze cents premiers volontaires que la ville envoyait contre les envahisseurs, et qui chaque jour devaient être suivis de quinze cents autres.

      À la première bataille à laquelle il assista, c’est-à-dire à Jemmapes, il reçut une balle qui, après avoir divisé les muscles d’acier de son épaule, alla s’aplatir sur l’os. Le représentant du peuple connaissait Maurice, il le renvoya à Paris pour qu’il se guérît. Un mois entier Maurice, dévoré par la fièvre, se roula sur son lit de douleur; mais janvier le trouva sur pied et commandant, sinon de nom, du moins de fait, le club des Thermopyles, c’est-à-dire cent jeunes gens de la bourgeoisie parisienne, armés pour s’opposer à toute tentative en faveur du tyran Capet; il y a plus: Maurice, le sourcil froncé par une sombre colère, l’œil dilaté, le front pâle, le cœur étreint par un singulier mélange de haine morale et de pitié physique, assista le sabre au poing à l’exécution du roi, et, seul peut-être dans toute cette foule, demeura muet, lorsque tomba la tête de ce fils de saint Louis, dont l’âme montait au ciel; seulement, lorsque cette tête fut tombée, il leva en l’air son redoutable sabre, et tous ses amis crièrent: « Vive la liberté! » sans remarquer que, cette fois par exception, sa voix ne s’était pas mêlée aux leurs.

      Voilà quel était l’homme qui s’acheminait, le matin du 11 mars, vers la rue Lepelletier, et auquel notre histoire va donner plus de relief dans les détails d’une vie orageuse, comme on la menait à cette époque.

      Vers dix heures, Maurice arriva à la section dont il était le secrétaire.

      L’émoi était grand. Il s’agissait de voter une adresse à la Convention pour réprimer les complots des girondins. On attendait impatiemment Maurice.

      Il n’était question que du retour du chevalier de Maison-Rouge, de l’audace avec laquelle cet acharné conspirateur était rentré pour la deuxième fois dans Paris, où sa tête, il le savait cependant, était mise à prix. On rattachait à cette rentrée la tentative faite la veille au Temple, et chacun exprimait sa haine et son indignation contre les traîtres et les aristocrates.

      Mais, contre l’attente générale, Maurice fut mou et silencieux, rédigea habilement la proclamation, termina en trois heures toute sa besogne, demanda si la séance était levée, et, sur la réponse affirmative, prit son chapeau, sortit et s’achemina vers la rue Saint-Honoré.

      Arrivé là, Paris lui sembla tout nouveau. Il revit le coin de la rue du Coq, où, pendant la nuit, la belle inconnue lui était apparue se débattant aux mains des soldats. Alors il suivit, depuis la rue du Coq jusqu’au pont Marie, le même chemin qu’il avait parcouru à ses côtés, s’arrêtant où les différentes patrouilles les avaient arrêtés, répétant aux endroits qui le lui rendaient, comme s’ils avaient conservé un écho de leurs paroles, le dialogue qu’ils avaient échangé; seulement, il était une heure de l’après-midi, et le soleil, qui éclairait toute cette promenade, rendait saillants à chaque pas les souvenirs de la nuit.

      Maurice traversa les ponts et arriva bientôt dans la rue Victor, comme on l’appelait alors.

      – Pauvre femme! murmura Maurice, qui n’a pas réfléchi hier que la nuit ne dure que douze heures et que son secret ne durerait probablement pas plus que la nuit. À la clarté du soleil, je vais retrouver la porte par laquelle elle s’est glissée, et qui sait si je ne l’apercevrai pas elle-même à quelque fenêtre?

      Il entra alors dans la vieille rue Saint-Jacques, se plaça comme l’inconnue l’avait placé la veille. Un instant il ferma les yeux, croyant peut-être, le pauvre fou! que le baiser de la veille allait une seconde fois brûler ses lèvres. Mais il n’en ressentit que le souvenir. Il est vrai que le souvenir brûlait encore.

      Maurice rouvrit les yeux, vit les deux ruelles, l’une à sa droite et l’autre à sa gauche. Elles étaient fangeuses, mal pavées, garnies de barrières, coupées de petits ponts jetés sur un ruisseau. On y voyait des arcades en poutres, des recoins, vingt portes mal assurées, pourries. C’était le travail grossier dans toute sa misère, la misère dans toute sa hideur. Çà et là un jardin, fermé tantôt par des haies, tantôt par des palissades en échalas, quelques-uns par des murs; des peaux séchant sous des hangars et répandant cette odieuse odeur de tannerie qui soulève le cœur. Maurice chercha, combina pendant deux heures et ne trouva rien, ne devina rien; dix fois il revint sur ses pas pour s’orienter. Mais toutes ses tentatives furent inutiles, toutes ses recherches infructueuses. Les traces de la jeune femme semblaient avoir été effacées par le brouillard et la pluie.

      « Allons, se dit Maurice, j’ai rêvé. Ce cloaque ne peut avoir un instant servi de retraite à ma belle fée de cette nuit. »

      Il y avait dans ce républicain farouche une poésie bien autrement réelle que dans son ami aux quatrains anacréontiques, puisqu’il rentra sur cette idée, pour ne pas ternir l’auréole qui éclairait la tête de son inconnue. Il est vrai qu’il rentra désespéré.

      – Adieu! dit-il, belle mystérieuse: tu m’as traité en sot ou en enfant. En effet, serait-elle venue ici avec moi si elle y demeurait? Non! elle n’a fait qu’y passer, comme un cygne sur un marais infect. Et, comme celle de l’oiseau dans l’air, sa trace est invisible.

      VI. Le temple

      Ce même jour, à la même heure où Maurice, douloureusement désappointé, repassait le pont de la Tournelle, plusieurs municipaux, accompagnés de Santerre, commandant de la garde nationale parisienne, faisaient une visite sévère dans la tour du Temple, transformée en prison depuis le 13 août 1792.

      Cette visite s’exerçait particulièrement dans l’appartement du troisième étage, composé d’une antichambre et de trois pièces.

      Une de ces chambres était occupée par deux femmes, une jeune fille et un enfant de neuf ans, tous vêtus de deuil.

      L’aînée de ces femmes pouvait avoir trente-sept à trente-huit ans. Elle était assise et lisait près d’une table.

      La seconde était assise et travaillait à un ouvrage de tapisserie: elle pouvait être âgée de vingt-huit à vingt-neuf ans.

      La jeune fille en avait quatorze et se tenait près de l’enfant, qui, malade et couché, fermait les yeux comme s’il dormait, quoique évidemment il fût impossible de dormir au bruit que faisaient les municipaux.

      Les uns remuaient les lits, les autres déployaient les pièces de linge; d’autres enfin, qui avaient fini leurs recherches, regardaient avec une fixité insolente les malheureuses prisonnières, qui se tenaient les yeux obstinément baissés, l’une sur son livre, l’autre sur sa tapisserie, la troisième sur son frère.

      L’aînée de ces femmes était grande, pâle et belle; celle qui lisait paraissait surtout concentrer son attention sur son livre, quoique, selon toute probabilité, ce fussent ses yeux qui lussent et non son esprit.

      Alors, un des municipaux s’approcha d’elle, saisit brutalement le livre qu’elle tenait et le jeta au milieu de la chambre.

      La prisonnière allongea la main vers la table, prit un second volume et continua de lire.

      Le montagnard fit un geste furieux pour arracher ce second volume, comme il avait fait du premier. Mais, à ce geste, qui fit tressaillir la prisonnière qui brodait près de la fenêtre, la jeune fille s’élança, entoura de ses bras la tête de la lectrice

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