Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas
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– Sans le lire?
– Sans le lire.
– Adieu donc, dernière lueur, suprême espérance! murmura Madame Élisabeth.
– Oh! vous avez raison, vous avez raison, ma sœur, c’est trop souffrir!
Puis, se retournant vers sa fille:
– Mais vous avez vu l’écriture, du moins, Marie?
– Oui, ma mère, un moment.
La reine se leva, alla regarder à la porte pour voir si elle n’était point observée, et, tirant une épingle de ses cheveux, elle s’approcha de la muraille, fit sortir d’une fente un petit papier plié en forme de billet, et, montrant ce billet à madame Royale:
– Rappelez tous vos souvenirs avant de me répondre, ma fille, dit-elle; l’écriture était-elle la même que celle-ci?
– Oui, oui, ma mère, s’écria la princesse; oui, je la reconnais!
– Dieu soit loué! s’écria la reine en tombant à genoux avec ferveur. S’il a pu écrire, depuis ce matin, c’est qu’il est sauvé, alors. Merci, mon Dieu! merci! un si noble ami méritait bien un de tes miracles.
– De qui parlez-vous donc, ma mère? demanda madame Royale. Quel est cet ami? Dites-moi son nom, que je le recommande à Dieu dans mes prières.
– Oui, vous avez raison ma fille; ne l’oubliez jamais, ce nom, car c’est le nom d’un gentilhomme plein d’honneur et de bravoure; celui-là n’est pas dévoué par ambition, car il ne s’est révélé qu’aux jours du malheur. Il n’a jamais vu la reine de France, ou plutôt la reine de France ne l’a jamais vu, et il voue sa vie à la défendre. Peut-être sera-t-il récompensé, comme on récompense aujourd’hui toute vertu, par une mort terrible… Mais… s’il meurt… oh! là-haut! là-haut! je le remercierai… Il s’appelle…
La reine regarda avec inquiétude autour d’elle et baissa la voix:
– Il s’appelle le chevalier de Maison-Rouge… Priez pour lui!
VII. Serment de joueur
La tentative d’enlèvement, si contestable qu’elle fût, puisqu’elle n’avait eu aucun commencement d’exécution, avait excité la colère des uns et l’intérêt des autres. Ce qui corroborait, d’ailleurs, cet événement, de probabilité presque matérielle, c’est que le comité de sûreté générale apprit que, depuis trois semaines ou un mois, une foule d’émigrés étaient rentrés en France par différents points de la frontière. Il était évident que des gens qui risquaient ainsi leur tête ne la risquaient pas sans dessein, et que ce dessein était, selon toute probabilité, de concourir à l’enlèvement de la famille royale.
Déjà, sur la proposition du conventionnel Osselin, avait été promulgué le décret terrible qui condamnait à mort tout émigré convaincu d’avoir remis le pied en France, tout Français convaincu d’avoir eu des projets d’émigration; tout particulier convaincu d’avoir aidé dans sa fuite, ou dans son retour, un émigré ou un émigrant, enfin tout citoyen convaincu d’avoir donné asile à un émigré.
Cette terrible loi inaugurait la Terreur. Il ne manquait plus que la loi des suspects.
Le chevalier de Maison-Rouge était un ennemi trop actif et trop audacieux pour que sa rentrée dans Paris et son apparition au Temple n’entraînassent point les plus graves mesures. Des perquisitions, plus sévères qu’elles ne l’avaient jamais été, furent exécutées dans une foule de maisons suspectes. Mais, hormis la découverte de quelques femmes émigrées qui se laissèrent prendre, et de quelques vieillards qui ne se soucièrent pas de disputer aux bourreaux le peu de jours qui leur restaient, les recherches n’aboutirent à aucun résultat.
Les sections, comme on le pense bien, furent, à la suite de cet événement, fort occupées pendant plusieurs jours, et, par conséquent, le secrétaire de la section Lepelletier, l’une des plus influentes de Paris, eut peu de temps pour penser à son inconnue.
D’abord, et comme il l’avait résolu en quittant la rue vieille Saint-Jacques, il avait tenté d’oublier; mais, comme lui avait dit son ami Lorin:
En songeant qu’il faut qu’on oublie,
On se souvient.
Maurice, cependant, n’avait rien dit ni rien avoué. Il avait renfermé dans son cœur tous les détails de cette aventure qui avaient pu échapper à l’investigation de son ami. Mais celui-ci, qui connaissait Maurice pour une joyeuse et expansive nature, et qui le voyait maintenant sans cesse rêveur et cherchant la solitude, se doutait bien, comme il le disait, que ce coquin de Cupidon avait passé par là.
Il est à remarquer que, parmi ses dix-huit siècles de monarchie, la France a eu peu d’années aussi mythologiques que l’an de grâce 1793.
Cependant, le chevalier n’était pas pris; on n’entendait plus parler de lui. La reine, veuve de son mari et orpheline de son enfant, se contentait de pleurer, quand elle était seule, entre sa fille et sa sœur.
Le jeune dauphin commençait, aux mains du cordonnier Simon, ce martyre qui devait, en deux ans, le réunir à son père et à sa mère. Il y eut un instant de calme.
Le volcan montagnard se reposait avant de dévorer les girondins.
Maurice sentit le poids de ce calme, comme on sent la lourdeur de l’atmosphère en temps d’orage, et, ne sachant que faire d’un loisir qui le livrait tout entier à l’ardeur d’un sentiment qui, s’il n’était pas l’amour, lui ressemblait fort, il relut la lettre, baisa son beau saphir, et résolut, malgré le serment qu’il avait fait, d’essayer d’une dernière tentative, se promettant bien que celle-là serait la dernière.
Le jeune homme avait bien pensé à une chose: c’était de s’en aller à la section du Jardin des Plantes, et là, de demander des renseignements au secrétaire, son collègue. Mais cette première idée, et nous pourrions même dire cette seule idée qu’il avait eue que sa belle inconnue était mêlée à quelque trame politique, le retint; l’idée qu’une indiscrétion de sa part pouvait conduire cette femme charmante à la place de la Révolution, et faire tomber cette tête d’ange sur l’échafaud, faisait passer un horrible frisson dans les veines de Maurice.
Il se décida donc à tenter l’aventure seul et sans aucun renseignement. Son plan, d’ailleurs, était bien simple. Les listes placées sur chaque porte devaient lui donner les premiers indices; puis des interrogatoires aux concierges devaient achever d’éclaircir ce mystère. En sa qualité de secrétaire de la section Lepelletier, il avait plein et entier droit d’interrogatoire.
D’ailleurs, Maurice ignorait le nom de son inconnue, mais il devait être conduit par les analogies. Il était impossible qu’une si charmante créature n’eût pas un nom en harmonie avec sa forme: quelque nom de sylphide, de fée ou d’ange; car, à son arrivée sur la terre, on avait dû saluer sa venue comme celle d’un être supérieur et surnaturel.
Le nom le guiderait donc infailliblement.
Maurice revêtit une carmagnole de gros drap brun, se coiffa du bonnet rouge des grands jours, et partit, pour son exploration, sans prévenir personne.