L'homme qui rit. Victor Hugo
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L’agonie est une échéance. A cette seconde fatale, on sent sur soi la responsabilité diffuse. Ce qui a été complique ce qui sera. Le passé revient et rentre dans l’avenir. Le connu devient abîme aussi bien que l’inconnu, et ces deux précipices, l’un où l’on a ses fautes, l’autre où l’on a son attente, mêlent leur réverbération. C’est cette confusion des deux gouffres qui épouvante le mourant.
Ils avaient fait leur dernière dépense d’espérance du côté de la vie. C’est pourquoi ils se tournèrent de l’autre côté. Il ne leur restait plus de chance que dans cette ombre. Ils le comprirent. Ce fut un éblouissement lugubre, tout de suite suivi d’une rechute d’horreur. Ce que l’on comprend dans l’agonie ressemble à ce qu’on aperçoit dans l’éclair. Tout, puis rien. On voit, et l’on ne voit plus. Après la mort, l’oeil se rouvrira, et ce qui a été un éclair deviendra un soleil.
Ils crièrent au docteur:
– Toi! toi! il n’y a plus que toi. Nous t’obéirons. Que faut-il faire? parle.
Le docteur répondit:
– Il s’agit de passer par-dessus le précipice inconnu et d’atteindre l’autre bord de la vie, qui est au delà du tombeau. Étant celui qui sait le plus de choses, je suis le plus en péril de vous tous. Vous faites bien de laisser le choix du pont celui qui porte le fardeau le plus lourd.
Il ajouta:
– La science pèse sur la conscience.
Puis il reprit;
– Combien de temps nous reste-t-il encore?
Galdeazun regarda à l’étiage et répondît:
– Un peu plus d’un quart d’heure.
– Bien dit le docteur.
Le toit bas du capot, où il s’accoudait, faisait une espèce de table. Le docteur prit dans sa poche son écritoire et sa plume, et son portefeuille d’où il tira un parchemin, le même sur le revers duquel il avait écrit, quelques heures auparavant, une vingtaine de lignes tortueuses et serrées.
– De la lumière, dit-il.
La neige, tombant comme une écume de cataracte, avait éteint les torches l’une après l’autre. Il n’en restait plus qu’une. Ave-Maria la déplanta, et vint se placer debout, tenant cette torche, à côté du docteur.
Le docteur remit son portefeuille dans sa poche, posa sur le capot la plume et l’encrier, déplia le parchemin, et dit:
– Ecoutez.
Alors, au milieu de la mer, sur ce ponton décroissant, sorte de plancher tremblant du tombeau, commença, gravement faite par le docteur, une lecture que toute l’ombre semblait écouter. Tous ces condamnés baissaient la tête autour de lui. Le flamboiement de la torche accentuait leurs pâleurs. Ce que lisait le docteur était écrit en anglais. Par intervalles, quand un de ces regards lamentables paraissait désirer un éclaircissement, le docteur s’interrompait et répétait, soit en français, soit en espagnol, soit en basque, soit en italien, le passage qu’il venait de lire. On entendait des sanglots étouffés et des coups sourds frappés sur les poitrines. L’épave continuait de s’enfoncer.
La lecture achevée, le docteur posa le parchemin à plat sur le capot, saisit la plume, et, sur une marge blanche ménagée au bas de ce qu’il avait écrit, il signa:
DOCTOR GERHARDUS GEESTEMUNDE.
Puis, se tournant vers les autres, il dit:
– Venez, et signez.
La basquaise approcha, prit la plume, et signa ASUNCION. Elle passa la plume à l’irlandaise qui, ne sachant pas écrire, fit une croix.
Le docteur, à côté de cette croix, écrivit:
– BARBARA FERMOY, de l’île Tyrryf, dans les Ébudes.
Puis il tendit la plume au chef de la bande.
Le chef signa GAÏZDORRA, captal.
Le génois, au-dessous du chef, signa GIANGIRATE.
Le languedocien signa JACQUES QUATOURZE, dit le NARBONNAIS.
Le provençal signa LUC-PIERRE CAPGAROUPE, du bagne de Mahon.
Sous ces signatures, le docteur écrivit cette note:
– De trois hommes d’équipage, le patron ayant été enlevé par un coup de mer, il ne reste que deux, et on signé.
Les deux matelots mirent leurs noms au-dessous de cette note. Le basque du nord signa GALDEAZUN. Le basque du sud signa AVE-MARIA, voleur.
Puis le docleur dit:
– Capgaroupe.
– Présent, dit le provençal.
– Tu as la gourde de Hardquanonne?
– Oui.
– Donne-la moi.
Capgaroupe but la dernière gorgée d’eau-de-vie et tendit la gourde au docteur.
La crue intérieure du flot s’aggravait. L’épave entrait de plus en plus dans la mer.
Les bords du pont en plan incliné étaient couverts d’une mince lame rongeante, qui grandissait.
Tous s’étaient groupés sur la tonture du navire.
Le docteur sécha l’encre des signatures au feu de la torche, plia le parchemin à plis plus étroits que le diamètre du goulot, et l’introduisit dans la gourde. Il cria:
– Le bouchon.
– Je ne sais où il est, dit Capgaroupe.
– Voici un bout de funin, dit Jacques Quatourze.
Le docteur boucha la gourde avec ce funin, et dît:
– Du goudron.
Galdeazun alla de l’avant, appuya un étouffoir d’étoupe sur la grenade à brûlot qui s’éteignait, la décrocha de l’étrave et l’apporta au docteur, à demi pleine de goudron bouillant.
Le docteur plongea le goulot de la gourde dans le goudron, et l’en retira. La gourde, qui contenait le parchemin signé de tous, était bouchée et goudronnée.
– C’est fait, dit le docteur.
Et de toutes ces bouches sortit, vaguement bégayé en toutes langues, le brouhaha lugubre dos catacombes.
– Ainsi soit-il!
– Mea culpa!
– Asi