Borgia. Michel Zevaco
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Un beau jour, celui qu’on appelait le chevalier La Rapière et qui, entre la Bastille et le Louvre, était devenu ce qu’on appelait une « Terreur », disparut soudain.
Nous le retrouvons assagi. Les bonnes qualités l’ont emporté sur les mauvaises. Le chevalier de Ragastens a jeté sa gourme et, à bon droit, il peut alors se considérer comme un parfait gentil-homme.
Au moment où le cavalier franchit la porte de Rome, il con-clut, en secouant la tête comme pour laisser derrière lui un passé qui était bien mort :
– Me voici avec deux ennemis sur les bras : le signor Astorre et le moine Garconio. J’ai menacé l’un et malmené l’autre. Oui, mais j’ai un protecteur puissant…
Et le chevalier jeta autour de lui un regard conquérant. Pourtant, dans cet avenir rose et or qu’il entrevoyait, un point noir obscurcissait son horizon. Bien qu’il s’en défendît, il pensait à cette mystérieuse inconnue au nom si doux, au visage plus doux encore, et ce fut avec un profond soupir, qu’il répéta :
– Primevère !… La reverrai-je jamais ?… Qui est-elle ?… Pourquoi cet horrible moine la poursuivait-il ?…
Cependant, ayant tout à coup levé la tête, il s’aperçut que des gens le regardaient avec curiosité. Il jeta les yeux autour de lui et vit qu’il se trouvait sur un pont.
– Quel est ce pont ? demanda-t-il à un gamin en lui jetant une menue pièce de monnaie.
– Excellence, c’est le pont des Quatre-Têtes…
– Et le Palais-Riant, le connais-tu ?
– Le palais de la signora Lucrézia ! s’exclama l’enfant, avec une évidente terreur.
– Oui, sais-tu où il est ?
– Là ! fit le gamin en étendant le bras.
Puis, il s’enfuit comme s’il eût eu à ses trousses une armée des diables d’enfer. Le chevalier se dirigea dans la direction qui venait de lui être désignée, réfléchissant à cette étrange frayeur qu’avait manifestée l’enfant.
Une fois encore, il demanda son chemin à un homme. Et l’homme, au nom du Palais-Riant, le regarda tout à coup d’un air sombre, puis passa son chemin en grommelant une malédiction.
– Étrange ! murmura le chevalier.
Il arriva enfin sur une place déserte. Au fond de cette place se dressait une somptueuse demeure. Une double rangée de co-lonnes en marbre rose, que doraient les rayons du soleil à son dé-clin, formaient une sorte de galerie couverte qui s’étendait en avant du palais.
Au fond de cette galerie, par une large baie ouverte, on aper-cevait un escalier monumental, également en marbre… Quant à la façade du palais, elle était décorée de motifs d’ornements, pré-cieux travaux de sculpture antique pris, raflés au hasard des trouvailles parmi les trésors de l’ancienne Rome.
Le chevalier se dit que ce devait être là le Palais-Riant qui, à coup sûr, méritait son nom grâce à la profusion de statues blanches et riantes qui l’ornaient, grâce aussi à la profusion de plantes rares et de fleurs merveilleuses qui formaient, sous la ga-lerie, un incomparable jardin.
En avant de ce jardin, pareils à deux statues équestres, deux cavaliers immobiles, silencieux, montaient la garde. Ragastens s’adressa à l’un d’eux.
– C’est ici le Palais-Riant ? demanda-t-il.
– Oui… au large ! répondit la statue d’un ton menaçant.
– Diable ! murmura le chevalier en poursuivant son chemin, voilà un palais bien gardé.
La place était déserte : pas un passant… pas une boutique ouverte On eût dit d’un lieu maudit ! Ragastens poussa son cheval et une cinquantaine de pas plus loin, en entrant dans la rue qui faisait suite à la place, il se trouva devant une hôtellerie. Là, la vie semblait renaître, mais avec une sorte de crainte et d’hésitation encore.
Ragastens mit pied à terre et pénétra dans l’hôtellerie qui, par un singulier caprice du patron, ou par un excès de bizarre la-tinité, s’appelait Auberge du beau Janus.
Le chevalier demanda une place à l’écurie pour Capitan et une chambre pour lui. Un domestique s’empara du cheval et l’hôtelier conduisit Ragastens à une chambrette du rez-de-chaussée.
– C’est humide, observa-t-il.
– Nous n’en avons pas d’autre disponible.
– Je la prends tout de même, parce que vous êtes tout près du Palais-Riant.
– Vous êtes bien servi, fit l’hôte étonné, car de votre fenêtre vous pouvez justement voir le derrière du palais.
L’hôte ouvrit la fenêtre ou plutôt la porte-fenêtre, et Ragas-tens reçut au visage une bouffée d’humidité.
– Qu’est-ce que cela ? fit-il.
– Cela ?… C’est le Tibre, donc !
En effet, le fleuve coulait entre deux rangées de maisons, sans quai, sans berge. Derrière chaque maison, un escalier de quelques marches aboutissait au ras de l’eau. Devant sa porte-fenêtre, un de ces escaliers montrait quatre marches de pierre verdâtre.
– Tenez, reprit l’hôte, voyez là-bas… au coude du fleuve, cet escalier plus large que les autres… c’est celui du Palais-Riant.
– Bon ! fit Ragastens en rentrant et refermant la porte, cette chambre me plaît, tout humide qu’elle est…
– On paie d’avance, seigneur, observa l’hôte.
Le chevalier s’exécuta.
Puis, ayant demandé du fil et une aiguille, il s’absorba en une méticuleuse réparation de ses pauvres effets, qu’il brossa, battit, nettoya de fond en comble. Après quoi, il dîna de bon ap-pétit.
Ces diverses occupations le conduisirent jusqu’à neuf heures. Une heure plus tard, Ragastens, flamboyant de propreté, l’épée au côté, attendait avec impatience le moment de se rendre au palais de Lucrèce Borgia.
Un profond silence pesait sur la ville, endormie depuis long-temps. Seul, le sourd murmure du Tibre qui roulait au pied de la maison ses eaux grisâtres, élevait dans la nuit des voix tristes comme des plaintes fugitives. Le chevalier les écoutait avec une émotion dont il n’était pas le maître… Il se secoua pour échapper à cette impression nerveuse. Bientôt, d’ailleurs, il allait être mi-nuit…
Le chevalier souffla sa chandelle et, drapé dans son man-teau, s’apprêta à sortir. À ce moment, une plainte plus déchirante monta du fleuve. Ragastens tressaillit.
– Cette fois, murmura-t-il, ce n’est pas une illusion… c’est une voix humaine.
Un nouveau cri de détresse se fit entendre. On eût dit qu’il venait de retentir dans la chambre. Ragastens frémit… Ses tempes se mouillèrent. Pour la troisième fois une plainte s’éleva,