Le chasseur noir. Emile Chevalier

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Le chasseur noir - Emile Chevalier

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il poursuivait d’un ton grave:

      – Je vas vous donner un avis, étranger: Evitez la Vallée du Trappeur, la ville des Rochers et la contrée environnante; évitez-les comme vous éviteriez un parti des Pieds-Noirs, ou la peste.

      – Merci, Jack Wiley, merci! Je n’ai peur ni des hommes, ni des fantômes. Pendant bien des années, j’ai parcouru bois, montagnes et prairies, et il n’y a pas un endroit que je redoute plus qu’un autre. Tout coin de terre ou d’eau, entre la baie d’Hudson et la rivière Colombia m’est égal. Je connais le repaire du loup, de l’ours, de la panthère et des animaux destructeurs de cette région, tout aussi bien que les villages, pistes, campements et territoires de chasse de ces damnés serpents rouges. Et moi, Nick Wiffles, je vais ça et là, où bon me semble, en homme qui sait son chemin, et l’étendue des forces que le créateur de de toutes choses lui a données, oui bien, je le jure, votre serviteur!

      Le brave chasseur prononça ces paroles avec la bonhomie, moitié sérieuse, moitié joviale, qui lui était habituelle, et, jetant sa carabine sur son épaule, il reprit fermement sa marche en homme qui a foi en son jugement, en sa prévoyance.

      IV. LE CHASSEUR NOIR

      Après avoir atteint le plateau, le jeune garçon – Sébastien Delaunay – pénétra dans une petite hutte cachée dans un bouquet de cotonniers.

      Les chiens le suivirent, mais en se retournant de temps à autre sous la direction que leur maître avait prise.

      Au centre de la hutte flambait un bon feu de branchages. Sébastien s’assit auprès. Pendant quelques instants il s’occupa à empenner des flèches, tandis que Maraudeur et Infortune, étendus à ses pieds, l’observaient en silence, d’un air somnolent, les yeux à demi clos.

      Toutefois, bientôt fatigué de son travail, il décrocha un grand arc indien, pendu à la paroi de la hutte, et, après l’avoir bandé avec soin, il jeta un carquois sur ses épaules et se dirigea vers le lieu d’où il s’était séparé du trappeur.

      Il faisait sombre; mais les chiens, saisissant la piste de leur maître, partirent devant Sébastien et le guidèrent à la vallée.

      Comme une sentinelle vigilante, jusqu’à ce que la lune se levât, il inspecta minutieusement le terrain en parlant quelquefois aux chiens et en réfléchissant parfois aussi.

      Tout-à-coup Maraudeur s’arrêta court, dressa ses oreilles et pointa son nez vers le fond de la vallée qu’argentaient faiblement les rayons de la lune. Son compagnon à quatre pattes gronda, tressaillit. Il se serait précipité en bas de la montagne si Sébastien ne l’eût retenu.

      L’adolescent connaissait assez les habitudes du chien pour savoir que les siens avaient vu ou senti un homme ou un animal. Mais, vainement s’efforça-t-il de découvrir quelque nouvel être vivant. Un groupe d’arbres nains, un peu plus bas, près du lit de la vallée, offrait un point d’observation meilleur et plus sûr; il y descendit.

      Aussitôt, il reconnut l’avantage de son mouvement; car, en dirigeant ses regards au sud, il aperçut un individu qui approchait.

      C’était un blanc, mais pas Nicolas.

      Sa taille, ses vêtements l’indiquaient.

      Sébastien se prit à l’examiner.

      A l’élasticité de sa démarche, à la flexibilité de ses membres on jugeait qu’il était jeune. Il portait un habillement tout noir, différant matériellement par la coupe de ceux des trappeurs, mais prouvant peut-être que son propriétaire arrivait récemment des pays civilisés.

      Il était impossible de distinguer les traits de cet homme. Ses armes consistaient en un fusil à deux coups passé derrière l’épaule.

      L’indispensable couteau de chasse et des pistolets pendaient à sa ceinture de cuir uni.

      Quoique seul et au coeur d’un pays sauvage, le jeune chasseur (ainsi le désignerons-nous) paraissait brave et sûr de lui.

      C’est au moins ce que pensa Sébastien, dont l’attention fut appelée d’un autre côté par Maraudeur, qui aboya, bondit, et parut décidé à s’élancer dans la vallée.

      Sébastien eut quelque peine à le calmer et tâcha de saisir la cause de cette nouvelle excitation. Mais il fut assez désagréablement surpris en remarquant, à une courte distance, trois hommes mal vêtus qui sournoisement longeaient aussi le vallon. Leur aspect parlait du trappeur nomade et de l’Indien farouche et pillard.

      Ils cheminaient en silence.

      A leur vue Sébastien trembla; son visage se couvrit de pâleur.

      Se couchant entre les deux chiens, et arrondissant son bras autour du cou de chacun d’eux, il considéra ces gens, en retenant son haleine et comme dominé par l’incertitude et l’effroi.

      La vaillantise et la gaîté du jeune garçon s’étaient évanouies.

      Ses craintes, cependant, ne semblaient pas le résultat d’une vile lâcheté, mais bien d’une horreur soudaine inspirée par quelque puissance formidable et mystérieuse.

      Frissonnant, Sébastien, jeta un regard vers le jeune chasseur: il avait fait halte et apprêté son fusil.

      Les trois individus et lui s’étaient découverts au même instant.

      Qu’allaient-ils faire? La rencontre serait-elle amicale? Sébastien Delaunay ne le supposait pas.

      Le chasseur noir semblait avoir aussi ses doutes. De vrai, les autres avaient l’air de blancs et de francs trappeurs; mais leur extérieur était plus sauvage que celui des indigènes eux-mêmes.

      Nous sommes facilement accessibles au soupçon; parfois, l’intuition nous désigne qui nous devons fuir et qui nous devons rechercher.

      Celui qui marchait en tête de ces êtres hybrides, ayant lancé une oeillade au chasseur noir, ôta un fantastique casque de peau, orné d’une queue de renard, et, après avoir passé dans ses cheveux hérissés une main qu’on eût pu prendre pour la patte d’un volverenne, il hurla comme un Indien.

      Son salut resta sans réponse.

      – Ohé! ohé! dit-il, voilà mon mangeux de lard.

      – Pas plus mangeux de lard que vous, répliqua froidement le chasseur.

      – Point d’impudence, mon garçon. Nous autres, on est né sur les prairies, moitié ours-gris, moitié panthère, moitié Français et moitié Indien. Huh! houh!

      Le chasseur noir releva son arme et appuya son index sur la détente.

      – Je suis d’humeur paisible, dit-il; je ne me mêle pas des affaires d’autrui, et je réclame le privilège d’être laissé tranquille. Mais les fanfaronnades et les grands airs ne me font pas peur, sachez-le. Si je désire demeurer en paix avec tous, blancs, rouges ou métis, je ne souffre pas les insultes.

      Un des trappeurs grogna comme un ours, tandis qu’un second hurlait comme un loup et que le troisième imitait le chant perçant du coq.

      Le naturel du jeune homme était évidemment paisible.

      – Si, dit-il, vous croyez qu’il convient d’aborder de cette

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