Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi
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Bien que très fatigué par les fièvres, M. Ribor compte, après quelques jours de repos, poursuivre sa route.
On sait, en effet, qu’il visite les colonies françaises, en vue de s’assurer de visu des débouchés que le commerce de la métropole peut trouver dans chacune d’elles.
Yvonne parcourut cette dépêche, puis subitement pâlie, elle la lut d’une voix altérée.
– À Madagascar, termina-t-elle, c’est là qu’il faut aller. Mon frère, mon pauvre frère!
La secousse était violente. La jeune fille pleurait, lorsque Diana survint.
– Tant mieux, s’écria-t-elle après explication. Le Sénégal c’était trop près, Madagascar me va, je vous posséderai plus longtemps.
Le 4, de grand matin, le Fortune, actionné par son hélice, quitta le bassin de Birkenhead et gagna la Mersey.
Lentement, pour éviter les collisions avec les nombreux vapeurs qui incessamment évoluent d’une rive à l’autre, il descendit le cours du fleuve, rasa le Floatingpier, colossal quai flottant construit en 1857, brûlé en 1874 et réédifié depuis.
Un instant les passagers purent embrasser sa surface, qui n’a pas moins d’un hectare et demi et qui perpétuellement est encombrée de caisses, de balles de coton, de café, de colis expédiés de tous les points du globe.
Ils admirèrent les sept ponts qui relient au rivage ce quai sans rival, puis ils le laissèrent en arrière, saluèrent en passant la ligne interminable des docks, les chantiers de construction, puis le faubourg de Bootle.
Enfin le Fortune doubla la pointe de New-Brigthon que couronne un phare et s’élança à toute vapeur dans la mer d’Irlande.
Presque à la même heure, le paquebot Tropagine, de la Compagnie havraise péninsulaire, fendait les flots de la Méditerranée à la hauteur de la Sardaigne.
Sur le pont un voyageur se promenait songeur.
C’était Canetègne.
– Pourvu, mâchonnait-il entre ses dents, que la note que j’ai remise au Petit Journal et au Figaro leur ait passé sous les yeux! Ah! c’est probable. La petite lit son journal chaque jour, et ceux-là se trouvent facilement en Angleterre. S’ils l’ont lue, ils viendront à Madagascar, et là…
Le négociant fit claquer ses doigts d’une façon menaçante.
– Je voudrais être arrivé!
Pour des raisons différentes, les passagers du Fortune exprimaient la même pensée, et Diana, qui les écoutait d’un air attendri, murmura si bas qu’ils ne l’entendirent point:
– Mon Dieu! mon Dieu! comme je m’ennuierai, après!
VII. OBOK
– William Sagger, mon intendant… Mais c’est un gentleman, M. Bérard.
– Alors, si je comprends qu’il soit licencié,… un autre problème se pose.
– Lequel?
– Pourquoi gentleman et intendant?
– Vous êtes curieux de le savoir?
– Je l’avoue.
– Écoutez donc.
Ces répliques échangées, miss Diana sourit à ses auditeurs assis autour d’elle sur le pont du Fortune.
Le yacht avait contourné les côtes de France et d’Espagne, franchi le détroit de Gibraltar et filait, au sud de la Sicile, sur les flots bleus de la Méditerranée. Aucune aventure n’avait troublé le voyage. Claude et Simplet avaient seulement décidé qu’ils se tutoieraient désormais, et ils se donnaient du « tu » à qui mieux mieux.
À quelques pas du groupe, le factotum de l’Américaine, penché sur le bastingage, semblait absorbé par la contemplation des remous de l’hélice.
– Monsieur William Sagger! appela doucement Diana.
Il se retourna aussitôt.
– Vous désirez, miss?
– Approchez, je vous prie.
Et quand il eut obéi.
– Mes passagers, reprit-elle, ne sont pas des indifférents. J’ai été amenée à leur dévoiler votre qualité de gentleman. Ils me pressent de questions, trouvez-vous bon que je leur dise tout?
– Si vous le jugez à propos, miss.
– Asseyez-vous donc.
Puis s’adressant aux Français, Diana commença ainsi:
– Vous saurez donc que sir William – pour un instant, je lui rends l’appellation qui lui convient – que sir William, dis-je, est un homme qui n’a pas de chance.
– Comme moi, murmura Yvonne.
– Comme moi, répéta Claude.
– Moi, fit à son tour Marcel, j’en ai et c’est…
Mlle Ribor l’interrompit.
– Tout simple. Nous connaissons le refrain. Je vous en prie, miss, continuez.
– Géographe des plus distingués, membre de la plupart des sociétés savantes d’Amérique, il avait épousé une femme charmante qu’il adorait. Une scierie à vapeur lui rapportait, bon an, mal an, quinze mille dollars. Il possédait deux enfants. Il était heureux.
Sagger détournait la tête, ses joues tremblotaient.
– Une nuit le feu consuma l’usine et, sous les décombres noircis, on chercha longtemps trois cadavres: mistress Sagger et ses babies surpris pendant leur sommeil…
– Permettez que je m’éloigne, demanda William. C’est trop pénible.
Il était pâle. Sur un signe de miss Pretty, il se leva, et à grandes enjambées, gagna l’avant du navire.
– Pauvre homme! dit Yvonne d’une voix émue.
– Attendez. Le notaire, chargé de ses intérêts, avait négligé d’acquitter la prime d’assurance de la scierie. Sir Sagger se trouva donc isolé, ruiné et sans courage pour les luttes à venir. Il réfléchit et, seul en face de lui-même, résolut de mourir. Ainsi il fuirait sûrement la misère, et il rejoindrait peut-être les chers disparus.
Tous les yeux étaient humides.
– Alors, poursuivit l’Américaine avec un accent tremblé, un duel étrange s’engagea entre lui, pressé d’en finir, et la mort qui ne voulait pas de lui. Il essaya de tout. En vain! Le pistolet rata; la carabine éclata sans lui faire aucun mal; la corde se rompit; le poignard rencontra une côte et se brisa. Il s’était fusillé, pendu, poignardé