Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

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Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi

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À l’est le cours de la Mersey se dessinait, et sur la rive droite, une forêt de mâts indiquait l’emplacement des divers bassins de Liverpool.

      – C’est un superbe port! fit derrière eux une voix.

      C’était William Sagger déjà vêtu de noir, déjà cravaté de blanc. Après une inclination, il reprit:

      – Mais, hélas! combien de misères à côté de cette prospérité! Croiriez-vous, gentlemen, que sur les cinq cent quatre-vingt mille habitants de la ville, un trentième demeure dans les caves, sans air et sans clarté? Croiriez-vous que cette cité si riche lésine pour se procurer de bonne eau potable; que sur dix mille enfants qui naissent, la moitié à peine atteint l’âge de cinq ans?

      Et d’un ton pénétré:

      – Aussi la débauche, le crime fleurissent. Chaque année la police opère, à Liverpool, cinquante mille arrestations. Songez un peu, un cinquième de la population totale. En aucun pays du monde on ne rencontre pareille proportionnalité.

      Lancé sur ce terrain, le licencié ès sciences géographiques aurait continué longtemps. Par bonheur, un domestique parut sur le pont et vint lui murmurer quelques paroles à l’oreille. William laissa échapper un geste d’étonnement, regarda les voyageurs en roulant des yeux effarés, s’éloigna de quelques pas avec le laquais et, finalement, revint aux passagers.

      – Gentlemen, lady, une communication invraisemblable, mais vraie cependant. Miss Diana Pretty vous prie de vous rendre au salon d’arrière où elle vous attend.

      – Cela vous étonne? interrompit Claude dont le visage s’illumina. Il me semble tout naturel d’être admis à présenter nos adieux à votre maîtresse.

      – C’est que vous ne savez pas?

      – Quoi donc?

      – Cela ne s’est jamais fait!

      – Ne prolongeons pas l’attente de miss Pretty, dit Yvonne. Répondre par quelque empressement à une exception flatteuse est obligatoire.

      – C’est juste!

      Et les voyageurs se dirigèrent vers l’arrière. L’Américaine était déjà au parloir.

      En les apercevant, elle vint à eux les mains tendues:

      – Asseyez-vous, je vous prie, j’ai à vous parler.

      Ils obéirent.

      – Si j’ai bien compris votre récit, miss Yvonne, fit-elle alors, vous partez à la recherche de votre frère qui détient le précieux document…

      – Dont la production me réhabilitera. C’est exact.

      – Étant donnée votre situation… particulière vis-à-vis de la justice de votre pays, vous devez éviter de naviguer à bord de bateaux français, bien qu’ils aient les services les plus rapides pour le Sénégal. C’est vers cette région, n’est-ce pas, que vous vous dirigez?

      – Oui, puisque c’est là que mon frère a cessé de m’écrire.

      – Vous prendrez donc passage sur un steamer anglais.

      – Affrété pour Sierra-Leone ou une colonie voisine.

      – Tenez-vous absolument à être couverts par les couleurs de la Grande-Bretagne?

      – Pourquoi cette question?

      – Pour savoir si vous auriez une aversion insurmontable pour un autre pavillon.

      – Un autre?

      – Celui de l’Union, par exemple.

      D’un même mouvement, les Français se dressèrent. Calme, Diana poursuivit:

      – Mon yacht est bon marcheur, et vous arriverez aussi vite.

      Puis avec expansion:

      – Acceptez, vous me ferez plaisir. C’est un service que je sollicite de vous. Ma cervelle est peuplée d’idées noires; aidez-moi à les chasser.

      Et malicieuse, regardant Claude en face:

      – Voilà le fruit de vos conseils d’hier soir, monsieur Bérard. Cherchez les honnêtes gens, m’avez-vous dit. Chercher… c’est dur, je suis si paresseuse! J’en ai trouvé sans me donner de peine, je préfère m’y tenir.

      Elle coupa court aux remerciements des voyageurs:

      – Maintenant vous êtes chez vous. S’il manque quelque chose dans vos cabines, il vous suffira d’en avertir William. Ici est le salon commun. Nous quitterons Liverpool après-demain.

      Les yeux d’Yvonne étaient humides. Elle fit un pas vers l’Américaine. Celle-ci lui sourit, les jeunes filles s’enlacèrent et échangèrent un affectueux baiser.

      – Nous serons amies, affirma miss Pretty.

      – Certainement, répliqua Mlle Ribor.

      Quand le personnel du bateau sut que le Fortune prenait des passagers, ce fut une surprise générale; mais on se garda d’en rien faire voir. Seulement tous les domestiques, depuis Sagger jusqu’au cuisinier Jobson, tout l’équipage, depuis le blond capitaine Maulde et le gros lieutenant Follway, jusqu’au mousse Jack, firent assaut de prévenances. Tous s’ingéniaient à charmer les étrangers assez heureux pour avoir changé l’humeur de la millionnaire Diana.

      Un mouvement inaccoutumé se produisit à bord. Des provisions, du charbon, des armes, des munitions s’empilèrent dans les soutes. On se préparait au départ.

      Le lendemain matin en entrant au parloir, Marcel et Claude poussèrent une exclamation de joie. Tout un assortiment d’armes était rangé sur la table: des winchester à répétition, des rifles à balles explosibles pour la chasse au gros gibier, des revolvers, etc.

      Auprès, un paquet de journaux du jour. À côté des feuilles anglaises, de l’américain New-York-Herald, des papiers français le Petit Journal, le Figaro.

      – Ah! murmura Yvonne en prenant le premier. Miss Diana est adorable, elle nous gâte.

      – Certes, appuya Marcel, et j’en éprouve quelque confusion.

      Claude ne dit rien, mais il eut, à l’adresse de l’absente, une mimique expressive.

      Tout en parlant, Mlle Ribor déployait le journal et le parcourait des yeux, heureuse, après deux journées d’Angleterre et de Saxons, de contempler ces colonnes où les mots de la langue maternelle se pressaient en lignes serrées. Soudain elle tomba en arrêt sur un sous-titre.

      – Tiens! s’écria-t-elle.

      Au même instant, Marcel qui tenait le Figaro le lui tendit:

      – Regarde, petite sœur.

      Elle lui désigna le Petit Journal. Dans les deux la même note s’étalait en première page. Elle était ainsi conçue:

      Diego-Suarez, 1er décembre 1892.

      L’explorateur

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