Le Blé qui lève. Rene Bazin

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Le Blé qui lève - Rene  Bazin

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la haine qu'on leur a versée à pleine bouteille. Mais combien n'ont vu d'abord que l'étiquette! Elle était belle…

      – Tu trouves? Le meurtre des officiers?

      – Non, la fraternité.

      – Écoute!

      Les bûcherons approchaient. Le vent, sur ses ailes froides, portait leurs cris. Par moment, on eût dit des cantiques. Ils en avaient l'ampleur et la longue résonance à travers la forêt. La nuit commençante rendait l'espace attentif. Tout à coup, un groupe d'hommes déboucha par la gauche, dans l'étroite ligne, presque perpendiculaire à celle où se tenaient M. de Meximieu et son fils. Ils marchaient sans ordre; l'un d'eux portait un clairon en sautoir; plusieurs avaient sur l'épaule une perche, la «lance» qu'ils rapportaient de la coupe et dont l'extrémité, flexible, battait en arrière les feuilles du chemin. Le premier, en tête, c'était Ravoux, le président du syndicat des bûcherons de Fonteneilles, un pâle à la barbe noire, un théoricien, un exalté froid, qui ne chantait pas et dont les yeux avaient dû déjà découvrir les bourgeois. A côté de lui, deux jeunes gens tendaient leur poitrine au vent et riaient en chantant. Puis venait Lureux, avec une lance énorme, puis une dizaine d'autres, visages frustes, éveillés ou ternes, mouillés de sueur, poudrés de morceaux de feuilles, jeunes gens, hommes mûrs, tous vêtus de sombre, coiffés de casquettes ou de chapeaux de feutre mou, tous portant la carnassière ou la musette, que gonflaient d'un seul côté un litre vide et le reste de pain qu'on n'avait pas mangé. Quand ils débouchèrent sur le carrefour et qu'ils aperçurent les deux bourgeois immobiles à l'entrée du chemin de Fonteneilles, ils hésitèrent. La chanson s'arrêta dans la bouche ouverte des jeunes qui marchaient en avant. Mais Ravoux, qui ne chantait pas jusque-là, reprit le couplet d'une voix cuivrée, et noueuse comme un brin de frêne.

      Les compagnons l'imitèrent. Une étincelle de joie illumina les yeux des hommes, la joie malsaine de vexer et d'injurier impunément l'adversaire. Ils passèrent. Presque tous cependant soulevèrent leur chapeau, et Ravoux fut du nombre. Plusieurs dirent, s'interrompant de chanter: «Bonsoir, messieurs.» Ils s'éloignèrent dans la direction du village. Une autre troupe arrivait, plus nombreuse.

      – Ils reviennent de mes bois, dit M. de Meximieu, et ils insultent celui qui leur donne du pain! Tu les connais, ces gaillards?

      Les têtes sortaient de l'ombre, une à une.

      – Tous, répondit Michel.

      Les hommes s'avançaient, criant ou muets, levant leur chapeau ou restant couverts.

      Le jeune homme les nommait à mesure: Lampoignant, Trépard, Dixneuf, Bélisaire Paradis, Supiat, Gilbert Cloquet, – celui-là détournait la tête vers l'autre côté du bois, et saluait quand même, – Fontroubade, Méchin, Padovan, Durgé, Gandhon…

      – Gandhon? mais, je le connais moi aussi! C'est un de mes cavaliers d'il y a cinq ans! Tu vas voir ce que je sais en faire! Gandhon?

      De la bande un homme se détacha, un grand roux aux yeux rieurs et mobiles, qui avait, malgré le froid, les poignets de sa chemise relevés jusqu'au-dessus du coude et sa veste attachée au cou par un bouton et flottant en arrière.

      – C'est bien toi, Gandhon, le cavalier de 1re classe du 3e escadron, à Vincennes, hein, je te reconnais?

      En approchant, l'homme s'était découvert.

      – Oui, mon général.

      – A la bonne heure, tu ne restes pas coiffé comme ces malappris qui passent devant moi comme devant une borne. Tu es donc devenu amateur de grèves?

      – Non, je sommes pas en grève, pour le moment.

      – Comprends bien, ce n'est pas la grève que je te reprocherais; c'est ton droit; ma famille aussi est en grève.

      Le bûcheron haussa les épaules, en riant.

      – Vous voulez plaisanter, mon général!

      – Mais non. La seule différence avec vous autres, c'est qu'elle est en grève depuis quatre cents ans, ma famille, et qu'elle en a profité pour servir le pays à peu près gratuitement dans l'armée, dans le clergé, dans la diplomatie. Nous n'avons pas changé de maître, nous autres, ni de chanson: c'est toujours la France. Mais toi, voyons, tu te souviens encore du régiment?

      – Oui, mon général.

      – Tu te rappelles nos manœuvres, en septembre? Et les charges? Et la revue?

      – Oui, mon général.

      – Est-ce qu'on était mal commandé, mal nourri, mal traité?

      L'homme mit une seconde de réflexion avant de répondre, car il sentait que la «politique» allait être en cause. Il répondit: – Mon général, on était bien, je n'ai pas eu à me plaindre.

      – Tu vois, Michel, tu vois: il a été formé à mon école, celui-là; il a du bon sens! Dis-moi, Gandhon, tu as tort de te mettre avec ces révoltés-là.

      – C'est le parti.

      – Du désordre.

      – Possible!

      L'homme s'était mis en garde, et son visage, qui jusque-là souriait avec embarras, devenait dur et défiant. Le général se redressa. Entre son fils et le bûcheron, il ressemblait à un chêne de futaie à côté de deux baliveaux. Le bras tendu, comme s'il donnait un ordre dans la cour du quartier:

      – Je ne veux pas que tu te perdes avec ce monde-là, Gandhon! Je te connais, tu as mauvaise tête, mais, en cas de mobilisation, nous marcherons tous deux, et ce que tu chantais là, tu n'en penses pas un mot!

      Il n'y eut pas de réponse.

      Le général blêmit. Il s'avança.

      – Ce n'est pas possible! Toi, mon soldat! Viens serrer la main de ton général!

      Le bûcheron se reculait en ricanant. On l'attendait, on le surveillait. Tout à coup il tourna lentement sur lui-même, et courut en avant, dans la ligne déjà piétinée par les camarades.

      – Dites donc, mon général, le règlement défend de tutoyer les soldats!

      – C'est par amitié, tu le sais bien!

      – Je n'en veux pas!..

      Gandhon courait, à grandes enjambées, maladroites à cause des sabots, vers un groupe de camarades arrêtés à cinquante mètres de là. Ils reprirent leur marche. Une voix jeune lança de nouveau un des couplets haineux de la chanson haineuse. Dans l'immense paix trompeuse des bois, les mots passaient, et s'en allaient apprendre au loin que les pires passions politiques avaient envahi les campagnes.

      Quand le bruit des pas et des voix eut cessé, M. de Meximieu cessa de regarder l'ombre bleue où tout ce mauvais songe avait disparu, et il regarda son fils, qui était debout à sa droite, son fils moins grand que lui, moins beau, moins bien taillé, semblait-il, pour la vie de lutte, d'audace et de défi. Quoique les ténèbres fussent lourdes déjà, Michel sentit la compassion dédaigneuse, l'espèce de désaveu dont toute sa jeunesse avait été accablée.

      – Dis donc, mon petit, ton métier n'est pas drôle avec des brutes comme ces gens-là!

      – Que

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