Le Blé qui lève. Rene Bazin
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Il s'y était résolu, bien avant qu'on lui demandât une réponse. Il aimait, d'un amour hérité sans doute de lointains aïeux, de l'amour aussi d'un enfant dont le monde a souri, les bois, les herbages, la solitude que la rencontre des paysans ne détruit pas, le château où survivaient quelques souvenirs du passé familial. Il voulait reprendre la tradition d'une partie des siens, le rôle noble et utile de terrien libéral et savant, refaire les forêts, repeupler les étables, introduire les modes de culture nouveaux, servir la terre et par elle la France. Les seuls beaux jours qu'il se rappelât, c'étaient, au retour de la saison de Trouville, chaque année, les trois ou quatre semaines du début de l'automne passées à Fonteneilles.
Très peu de temps après cette conversation qui décidait de sa vie, Michel partait pour le Nord, et suivait les cours de l'école d'agriculture que dirigeaient les Frères de la Doctrine chrétienne à Beauvais. L'année suivante, il faisait son service militaire à Bourges. Et enfin, au milieu de novembre 1900, il arrivait à Corbigny. Par un jour languissant et doré, il traversait la forêt de Fonteneilles; il se découvrait en apercevant les toits du château abandonné; il écoutait avec ravissement le bruit des contrevents, que la main du garde Renard poussait, l'un après l'autre; il entrait; il caressait la pierre des murs; il était chez lui.
Cinq ans passés! Que d'efforts! Que de projets! Quelle intimité consolatrice entre la terre et l'enfant d'ancienne race qui lui était revenu! Cinq ans très rapides, très remplis, sans événement, le temps de connaître son métier, de diminuer, chez quelques hommes, les préjugés et les inimitiés grandis pendant l'absence, de préparer des plans d'avenir, de goûter tout le soleil et toute l'ombre de chez soi. Et voici que M de Meximieu menaçait de tout compromettre, avec ses demandes d'argent. C'est le domaine qui aurait eu besoin de ce capital, c'est le château…
La lumière augmentait au-dessus de la forêt, et les franges flottantes de la brume devaient voir déjà le globe rouge de la lune entre les collines. Un chien «criait au perdu», très loin, vers le lac de Vaux. Des vols légers, oiseaux de passage ou de maraude, chuchotaient dans la nuit.
Comment faire, pour obtenir que le général assurât l'avenir de son fils? Qui pourrait lui parler? Qui? Peut-être, tout simplement madame de Meximieu. Elle était bonne cette mère toujours blonde malgré la cinquantaine, très bonne. Sans doute il ne dépendait pas d'elle de constituer en dot la ferme et le château, qui ne lui appartenaient pas. Mais elle ne refuserait pas d'intervenir, de solliciter, de plaider. Elle recommandait habilement les jeunes officiers qui lui confiaient leurs intérêts; n'était-ce pas le tour de Michel à présent? Elle ne ferait point d'objections. Elle aimait son fils d'une affection déconcertante et cependant véritable. Longtemps, elle lui en avait voulu de ne pas être une fille, une fille qu'elle eût gâtée, adulée, gardée près de soi. Mais depuis que Michel habitait la Nièvre, elle était venue deux fois à Fonteneilles, par tendresse, par besoin de revoir son fils et de l'encourager. Les forêts ni les prés ne l'attiraient; elle avait horreur de la campagne: quelles bonnes promenades cependant, quel empressement à s'informer des choses rurales! «Tu vas me montrer ton bélier de Rambouillet!.. Fais-moi voir la différence entre un chêne et un hêtre?.. Peux-tu faire semer du blé devant moi, à la volée? Il paraît que c'est très joli…»
Oui, elle serait une alliée, à l'occasion. Par elle ou autrement il fallait défendre le domaine et s'y maintenir. Là était peut-être la richesse à venir, peut-être le bonheur; là était sûrement la vie utile. La vision des bûcherons en troupe, chantant l'Internationale et provoquant le général de Meximieu, le chef militaire, le descendant d'une race féodale, le riche, traversa l'esprit du jeune homme. Ses lèvres s'allongèrent, et il regarda dans la nuit, avec un sourire triste, ces fumées onduleuses des futaies paternelles, sous lesquelles avait couru tantôt le chant de la haine.
«Utile à quoi? murmura-t-il. Je n'ai pas voulu venir ici pour m'y enfermer, y vivre et y mourir pour moi seul; j'ai voulu, je veux toujours le relèvement de ces hommes de la terre. Quel bien moral ai-je fait jusqu'à présent? Quelle influence ai-je acquise? Quelle amitié, d'un seul d'entre eux?.. Ce défilé de ce soir! Ces mots, si nobles en somme de mon père, et cette réponse de Gandhon, d'un soldat d'hier!.. Ah! je sais bien que ce n'est pas toute la France, que c'est un coin de la France plus travaillé que d'autres par le mal, plus abaissé par la passion jalouse, mais tout de même!.. Quelle joie ce devait être, autrefois, de vivre dans une nation saine!.. La même foi! Les mêmes fêtes! Des mots qui signifiaient pour tous la même chose! Quelle source d'intelligence et d'amour perdue! Et ils ne le comprennent pas! Je les vois avaler le poison, et rire, et chanter, et ils sont déjà tout pâles du voisinage de la mort! Ah! les pauvres gens, qui célèbrent leur mal comme une victoire!»
Michel se redressa, écouta un moment; quelque chose en lui parlait, et disait:
«Quand même! Je leur appartiens pour toujours! Il le faut! Je les aime!»
La nuit augmentait de douceur, et une paix inconnue au jour était bue par les champs déserts…
A quelques centaines de mètres de cette fenêtre où Michel songeait, dans un pli d'ombre et de brume, un hameau dormait, les feux éteints: cinq maisons en tout, trois à gauche de la ligne forestière et deux à droite. Dans l'une d'elles, un pauvre songeait aussi. C'était Gilbert Cloquet, et le songe qui le tenait était celui de la misère. Couché dans un lit de noyer, entre le mur et l'âtre, il pensait à «ses affaires» qui allaient mal. Il gagnait moins qu'il n'eût fallu. «C'est vrai, disait-il, que j'ai ma suffisance de pain, et même de fricot pour mettre dessus; c'est vrai que j'achète toujours mon vin à l'éclusier du canal, – l'odeur aigrelette du petit baril, calé dans un coin de la chambre, flottait à travers la pièce, avec un reste de fumée; – mais mon vêtement des dimanches, il faudrait le remplacer… Je ne peux pas… Le malheur n'est pas grand. Mais le chagrin vient d'ailleurs. Il vient de Marie. Elle est dépensière; elle est toujours revenue: – Père, je n'ai plus de grain pour la volaille!.. Père, le boulanger nous refuse crédit… Nous sommes en retard pour les fermages. Le propriétaire de l'Épine va nous saisir!.. Saisir la fille de Gilbert Cloquet! Non, je ne verrai pas ça… D'abord, j'irai demain porter à Marie la moitié des vingt francs que j'ai reçus, pour mon travail qui n'est pas commencé dans les bois… Et puis, quand l'herbe deviendra haute, j'irai me louer pour les foins chez monsieur Michel…»
Le journalier se retourna dans le lit, essayant de chasser les idées sombres qui le tenaient depuis des heures éveillé… Il entendit le roquet des Justamond, ses voisins, qui aboyait aux feuilles mortes roulées par le vent, ou au passage d'une bête rôdeuse… Un silence absolu suivit… La rosée froide, dehors, relevait les herbes. Le pauvre continua de penser: «Il n'y a personne qui prenne garde à moi, excepté monsieur Michel, qui m'embauche le plus qu'il peut; et encore, c'est un noble, et ils disent que les nobles ne valent rien.»
II
LA VIE MORALE D'UN PAUVRE
Gilbert Cloquet avait été à l'école chez l'instituteur public de Fonteneilles vers 1860, – oh! que cela était loin! – il avait appris à lire, à écrire, à compter, et, à cinquante ans passés, aujourd'hui, s'il ne savait plus guère écrire, faute d'usage, il comptait fort bien, lisait les journaux, les affiches et même «l'écriture moulée» sans difficulté, ce qui prouve que l'instruction avait été bonne et solide. Il avait aussi récité le catéchisme, tantôt bien, tantôt mal, à l'instituteur qui se montrait exigeant, pour