Le Blé qui lève. Rene Bazin
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Une seconde fois, Michel se sentit enveloppé de ce dédain qui s'étendait à tout, aux idées de Michel, à la profession de Michel, au corps médiocre de Michel, au silence que Michel avait gardé tout à l'heure, et que le général avait dû prendre pour de la peur. Il ne retrouva plus la force qu'il s'était promis d'avoir toujours, de discuter, de réfuter, d'expliquer, et de se montrer à la fois respectueux avec son père et conséquent avec soi-même. Il dit:
– Venez, mon père. Puisque vous devez être demain à Paris, venez…
Il releva le col de sa veste. Le général aussitôt déboutonna sa jaquette. Tous deux se mirent à marcher dans le chemin forestier qui ramenait au château. Il faisait très froid; le vent avait déjà bu, sur les branches, la tiédeur amassée pendant le jour; il rebroussait les brindilles, courbait les gaulis et leur arrachait une plainte monotone, comme celle des vies pauvres. L'odeur des feuilles mortes montait plus vive dans l'ombre. Au-dessus des branches, les hauteurs du ciel étaient pâles, et des étoiles commençaient à poindre.
– Reviendrez-vous? demanda Michel. J'ai à peine eu le temps de vous voir.
– Mon commandement à Paris est terriblement assujettissant, mon ami. Et puis il y a le monde, les relations. J'hésite toujours à prendre une permission. Cependant, tu m'as bien dit que le marchand de bois acceptait de payer les chênes nouvellement marqués, avant l'abatage?
– Oui.
– Je reviendrai alors pour l'échéance du 31. Tu as marqué tous les anciens des deux coupes?
– Presque tous.
– Comment, presque? Il me faut les trente mille francs que je t'ai demandés, en quatre termes, et, s'il est possible, en deux. Y sont-ils?
Michel fit un geste évasif.
– Je te dis qu'il me les faut! reprit M de Meximieu en haussant la voix: c'est à toi de les trouver; tu retourneras dans les coupes, dès demain; à défaut d'anciens, tu feras tomber des soixantes, et, à défaut de cadettes, des modernes.
– Non, mon père.
Les deux hommes s'arrêtèrent en plein bois, dans le vent, oublieux l'un et l'autre de l'heure qui pressait le départ. La main du marquis de Meximieu, – un paquet de fils d'acier où passait un courant électrique, – s'abattit sur l'épaule de Michel.
– Dis donc, qui est le maître ici? Je n'ai pas l'habitude de répéter mes ordres.
M. de Meximieu put entrevoir, levé vers lui, un visage aussi ferme, aussi rude d'expression que pouvait être le sien.
– Ce n'est pas possible, mon père. Qu'est-ce que vous faites de l'avenir du domaine?
– Il est à moi, je suppose.
– Vous oubliez que c'est aussi mon avenir, et que ma vie est ici, et que je ne peux pas ravager les bois…
Pour toute raison, le général reprit sa route, en disant:
– Je n'ai qu'une raison à te donner, mon ami, elle vaut toutes les autres: j'ai besoin d'argent.
Ils continuèrent à marcher, vite et sans plus parler, dans les ténèbres. Après quelques minutes la forêt s'ouvrit, les futaies s'écartèrent en ailes géantes hérissées tout au bout par le vent, et entre elles, sur le sol renflé qu'elles avaient dû longtemps occuper, Fonteneilles apparut dans le crépuscule, au milieu des champs libres et montants. C'était un château du XVIIIe siècle, élevé sur une terrasse: un seul étage au-dessus du rez-de-chaussée ayant sept fenêtres de façade; un toit de tuiles incliné et deux tours rondes, coiffées d'un toit pointu, mais qui ne dépassaient point en hauteur le reste de l'habitation. Ces tours formaient avant-corps aux deux extrémités; elles n'allongeaient point la façade, qui gardait son aspect austère, serré et tassé. Les deux hommes traversèrent une pelouse de peu d'étendue, montèrent les marches du petit escalier de pierre qui conduisait sur la terrasse où s'alignaient, en été, les orangers en caisses, et, tournant à droite, aperçurent dans la cour les lanternes de la victoria qui attendait.
M. de Meximieu qui, en marchant, avait changé non pas d'idée, mais d'humeur, s'arrêta. Il avait si peu vu son fils, pendant ces vingt-quatre heures de séjour à Fonteneilles! Tout un arriéré de questions se présenta à son esprit, en peloton. A l'angle du château dont le mur descendait en oblique et pénétrait dans le sol mouillé, il retint Michel.
– Tu es toujours bien avec tes voisins?
– Ni bien, ni mal, je les rencontre aux foires.
– Drôles de fêtes; pas mondaines. Tu vois Jacquemin, l'ancien lieutenant qui a servi sous mes ordres?
– Je le rencontre; la Vaucreuse est si près. Je suis même allé lui faire visite.
– Il paraît qu'il fait de l'agriculture qui rapporte? C'est un malin.
– C'est un simple.
– Il a une fille, qu'on dit jolie. Est-ce vrai?
– Une enfant: dix-sept ou dix-huit ans.
– Blonde comme la mère, n'est-ce pas?
– Oui, d'un blond rare: des gerbes d'or rouge et d'or jaune assemblées.
– Tiens! tu es connaisseur, mon petit? Sapristi, que la mère était jolie! Pauvre femme! Je me la rappelle, un soir, chez les Monthuilé. Elle n'était pas tout à fait belle, mais elle était la grâce, la joie, la vie.
– Vous l'avez beaucoup connue?
– Non, admirée au passage, saluée, retenue dans mes songes… comme tant d'autres. Et ton nouvel abbé, comment l'appelles-tu?
– Roubiaux.
– Il ne doit pas avoir eu d'agrément, depuis six mois qu'il est ici? Mais je parie que vous vous entendez bien, toi et lui. Tu es peut-être le plus clérical des deux?
– J'ignore, dit Michel sérieusement; nous n'avons jamais causé à fond. Mais il m'a fait bonne impression.
– Allons, tant mieux. Un petit Morvandiau, tout brun?
– Oui.
– Qui a les oreilles sans ourlet et la peau tannée? Timide en diable?
– Pas quand il faut être crâne.
– Oui, c'est lui que j'ai dû croiser hier en venant ici. Il a de fichus paroissiens.
Le général chercha son porte-monnaie, et en tira un billet de cent francs.
– Dis-moi, Michel, ça te fera plaisir de lui remettre cela pour ses œuvres. Ne me nomme pas, c'est inutile. Mais je viens si rarement à Fonteneilles que c'est bien le moins que j'y laisse une aumône.
En prenant le billet, Michel serra la main de son père, qui reprit aussitôt:
– Tu