Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3. George Gordon Byron
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55. Vous qui serez saisis d'étonnement en apprenant son histoire, oh! si vous l'aviez connue dans des heures plus heureuses; si vous aviez admiré son œil noir, qui eût défié la noirceur de son voile; si vous aviez entendu ses accens si vifs et si légers dans les bosquets de l'amour; si vous aviez vu ses longs cheveux qui échappent au pouvoir du peintre; sa forme aérienne, avec une grâce au-dessus de son sexe; auriez-vous pu penser que la tour de Saragosse la verrait sourire un jour en face du danger le plus menaçant, éclaircir les rangs épais, et conduire la chasse redoutable de la gloire?
56. Son amant tombe; – elle ne répand point de larmes inutiles; son chef est tué; elle le remplace à son poste fatal; ses compagnons d'armes fuient; – elle s'oppose à leur lâche retraite. L'ennemi recule; – elle est en tête des vainqueurs: qui pourrait apaiser comme elle l'ombre d'un amant? Qui pourrait venger aussi bien la mort d'un chef? Quelle femme retrouverait l'espérance quand celle de l'homme s'est évanouie? Qui s'acharnerait si fièrement sur l'ennemi que la main d'une femme a mis en fuite devant des murs abattus par le feu des batteries18?
57. Les filles d'Espagne ne sont pas cependant d'une race d'amazones; mais elles sont formées pour tous les arts magiques de l'amour. Quoiqu'elles rivalisent de courage avec leurs frères dans les batailles, et qu'elles ne craignent pas de se mêler dans leurs redoutables phalanges, cette ardeur belliqueuse n'est que la tendre fureur de la colombe perçant de son bec la main qui menace de lui ravir son époux. Bien supérieure par sa douceur et par son courage aux femmes des autres contrées, renommées pour leurs frivolités verbeuses, l'Espagnole a une ame plus noble, plus sûre, et ses charmes sont peut-être aussi séduisans.
58. Cette fossette que le doigt arrondi de l'amour a imprimée sur son menton annonce toute la délicatesse de sa beauté19; ses lèvres, d'où les baisers sont prêts à s'envoler, rendent le jeune homme vaillant avant qu'il les mérite. Que son regard est fier et beau! Comme Phœbus, en caressant sa joue, a tenté vainement de lui faire perdre sa fraîcheur! Cette joue brille avec plus d'éclat en échappant de ses rayons amoureux. Qui voudrait lui préférer les pâles beautés du Nord? Que leurs formes semblent chétives, et qu'elles sont frêles et languissantes!
59. Dites-moi, vous, climats que les poètes aiment à chanter; dites-moi, vous, harems de cette contrée où j'élève maintenant la voix pour célébrer de loin des beautés qu'un cynique même serait forcé d'admirer; dites-moi si vous oseriez comparer vos houris à qui vous permettez à peine de respirer l'air pur des cieux, de crainte que l'amour ne vole sur les ailes du vent, avec les filles de l'Espagne aux yeux éblouissans et noirs? – Daignez donc reconnaître que nous trouvons dans leur patrie le paradis de votre sage prophète, ses vierges célestes aux yeux noirs et leur douceur angélique.
60. O toi, Parnasse20, que je découvre en ce moment, non dans le délire d'un rêve fantastique, non dans les régions fabuleuses d'un poème, mais élevant dans ton ciel natal ton front couronné de neige et de vapeurs, dans la pompe sauvage d'une majesté de montagne sublime! qui s'étonnera si j'essaie de te chanter? Le plus humble de tes pélerins passant près de toi voudrait-il ne pas réjouir tes échos de ses chants, quoique aucune muse aujourd'hui ne plane sur tes hauteurs?
61 Que de fois j'ai rêvé de toi, ô Parnasse! Qui ne connaît pas ton nom glorieux, ne connaît pas ce qu'il y a de plus divin dans la science de l'homme! Et maintenant que je te contemple, je rougis, hélas! de t'honorer avec de si faibles accens. Quand je pense à tes adorateurs du passé, je tremble, et je ne puis que fléchir le genou devant toi. Je n'ose élever ma voix, ni prendre un vain essor; mais j'admire ton dais de nuage, et je me réjouis en silence de penser qu'au moins je te contemple en réalité.
62. Plus heureux en cela que tant de grands génies, dont le sort fut confiné dans leurs contrées lointaines, verrai-je, sans être ému, ces lieux sacrés que d'autres s'évertuent à chanter sans les avoir jamais vus? Quoique Apollon ne fréquente plus sa grotte, et que toi, le séjour des muses, tu sois maintenant leur tombeau, quelque aimable génie pénètre encore ces lieux, soupire dans l'air, repose en silence dans la grotte, et glisse d'un pied transparent sur ces flots mélodieux.
63. À toi, plus tard. – Je me suis même écarté au milieu de mes chants pour te rendre mon hommage, oubliant l'Espagne, ses vierges, ses enfans, sa destinée chère à toute ame libre, et je t'ai salué, non peut-être sans verser une larme. Maintenant, à mon sujet. – Mais permets-moi d'emporter de ton séjour sacré quelque gage de souvenir; accorde-moi une feuille de la plante impérissable de Daphné, et ne souffre pas que l'espérance de celui qui t'est dévoué soit considérée comme une puérile vanité.
64. Mais, ô la plus belle des montagnes! jamais, quand la Grèce était jeune, tu n'as vu autour de ta base gigantesque un chœur si brillant; jamais quand sa prêtresse, embrasée d'un feu qui n'était point mortel, entonnait l'hymne pythien, jamais Delphes ne vit une troupe de jeunes vierges plus propres à inspirer les chants de l'amour que les vierges de l'Andalousie, élevées dans le sein brûlant du tendre désir. Oh! que ne leur est-il donné de paisibles ombrages, comme la Grèce peut encore en offrir, quoique la gloire ait abandonné son asile!
65. L'orgueilleuse Séville est belle; sa nation peut vanter sa force, sa richesse et sa haute antiquité21; mais Cadix, qui apparaît sur la côte lointaine, demande de plus flatteuses, mais de moins nobles louanges. O vice! que tes sentiers voluptueux sont séduisans! Quand le sang de la jeunesse agite les cœurs, qui peut se soustraire à la fascination de ton regard magique? Tu glisses autour de nous sous la forme d'un serpent à tête de chérubin, et tu sais varier pour tous les goûts ton aspect séduisant et trompeur.
66. Quand Paphos tomba, détruite par le tems, – tems maudit! la reine qui soumet tout à sa puissance, dut te céder aussi! – Les plaisirs prirent la fuite; mais ils cherchèrent un climat aussi doux; et Vénus, fidèle seulement à la mer, son berceau, daigna se réfugier en ces lieux, et établir ses autels dans la cité aux blanches murailles. Elle n'a pas circonscrit son culte dans un seul temple; mais, voués à ses cérémonies, mille autels lui sont consacrés, où brûle jour et nuit l'encens des sacrifices.
67. Du matin jusqu'à la nuit, et de la nuit jusqu'au matin, qui s'éveille en éclairant de ses rayons jaunissans la troupe joyeuse des plaisirs nocturnes, on entend des chants d'amour, on voit tresser des guirlandes de fleurs, inventer des jeux bizarres, des folies nouvelles. Celui qui vient se fixer à Cadix dit un long adieu aux jours paisibles. Rien n'interrompt les orgies bruyantes, quoique, au lieu de la véritable dévotion, l'encens monacal brûle seul sur les autels; l'amour et la prière s'unissent, ou se partagent les heures tour à tour.
68. Le jour du dimanche arrive; c'est le jour heureux du repos. Comment le sanctifie-t-on sur ce rivage chrétien? Regardez! il est consacré à une fête solennelle. Silence! – N'entendez-vous pas le mugissement du roi des forêts? Il brise les lances et se repaît du sang jaillissant des chevaux et des cavaliers renversés par ses cornes terribles. L'arène populeuse retentit d'appels à un nouveau combat. La foule insensée applaudit en voyant les entrailles fumantes; la beauté n'a pas détourné ses regards; elle n'a pas même affecté d'être émue.
69. C'est le septième jour, le jubilé de l'homme: Londres, tu connais bien ce jour de la prière. Alors ton bourgeois élégant, ton artisan, et ton apprenti, parés de leurs habits de fêtes, se hâtent d'aller respirer l'air
18
Tels furent les exploits de la fille de Saragosse. Quand l'auteur était à Séville, elle se promenait journellement au Prado, portant les décorations et les médailles que la junte lui avait données.
19
(Aul. Gell.)
20
Ces stances furent écrites à Castri (Delphes), au pied du Parnasse, appelé maintenant Λιαχυρα, Liakura.
21
Séville était l'