Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1 - Bastiat Frédéric

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exprimer le vœu de ces affreux massacres; celui qui les faisait doit être satisfait.

      La nation était dirigée par une foule de députés et pairs de France, entre autres les généraux Sémélé, Gérard, Lafayette, Lobeau, etc., etc. Le despotisme avait confié sa cause à Marmont, qui, dit-on, a été tué.

      L'École polytechnique a beaucoup souffert et bravement combattu.

      Enfin, le calme est rétabli, il n'y a plus un seul soldat dans Paris; et cette grande ville, après trois jours et trois nuits consécutives de massacres et d'horreurs, se gouverne elle-même et gouverne la France, comme si elle était aux mains d'hommes d'État

      Il est juste de proclamer que la troupe de ligne a partout secondé le vœu national. Ici, les officiers, au nombre de cent quarante-neuf, se sont réunis pour délibérer; cent quarante-huit ont juré qu'ils briseraient leurs épées et leurs épaulettes, avant de massacrer un peuple uniquement parce qu'il ne veut pas qu'on l'opprime. À Bordeaux, à Rennes, leur conduite a été la même; cela me réconcilie un peu avec la loi du recrutement.

      On organise partout la garde nationale, on en attend trois grands avantages: le premier, de prévenir les désordres, le second, de maintenir ce que nous venons d'acquérir, le troisième, de faire voir aux nations que nous ne voulons pas conquérir, mais que nous sommes inexpugnables.

      On croit que, pour satisfaire aux vœux de ceux qui pensent que la France ne peut exister que sous une monarchie, la couronne sera offerte au duc d'Orléans.

      Pour ce qui me regarde personnellement, mon cher Félix, j'ai été bien agréablement désappointé, je venais chercher des dangers, je voulais vaincre avec mes frères ou mourir avec eux; mais je n'ai trouvé que des figures riantes et, au lieu du fracas des canons, je n'entends que les éclats de la joie. La population de Bayonne est admirable par son calme, son énergie, son patriotisme et son unanimité; mais je crois te l'avoir déjà dit.

      Bordeaux n'a pas été si heureux. Il y a eu quelques excès. M. Curzay s'empara des lettres. Le 29 ou le 30 quatre jeunes gens ayant été envoyés pour les réclamer comme une propriété sacrée, il passa à l'un d'eux son épée au travers du corps et en blessa un autre; les deux autres le jetèrent au peuple, qui l'aurait massacré, sans les supplications des constitutionnels.

      Adieu, je suis fatigué d'écrire, je dois oublier bien des choses; il est minuit, et depuis huit jours je n'ai pas fermé l'œil. Aujourd'hui au moins nous pouvons nous livrer au sommeil.

      … On parle d'un mouvement fait par quatre régiments espagnols sur notre frontière. Ils seront bien reçus.

      Adieu.

Bayonne, le 5 août 1830.

      Mon cher Félix, je ne te parlerai plus de Paris, les journaux t'apprennent tout ce qui s'y passe. Notre cause triomphe, la nation est admirable, le peuple va être heureux.

      Ici l'avenir paraît plus sombre, heureusement la question se décidera aujourd'hui même. Je te dirai le résultat par apostille.

      Voici la situation des choses. – Le 3 au soir, des groupes nombreux couvraient la place publique et agitaient, avec une exaltation extraordinaire, la question de savoir si nous ne prendrions pas sur-le-champ l'initiative d'arborer le drapeau tricolore. Je circulais sans prendre part à la discussion, ce que j'aurais dit n'aurait eu aucun résultat. Comme il arrive toujours, quand tout le monde parle à la fois, personne n'agit; et le drapeau ne fut pas arboré.

      Le lendemain matin, la même question fut soulevée, les militaires étaient toujours bien disposés à nous laisser faire; mais, pendant cette hésitation, des dépêches arrivaient aux colonels et refroidissaient évidemment leur zèle pour la cause. L'un d'eux s'écria même devant moi que nous avions un roi et une charte, et qu'il fallait lui être fidèles, que le roi ne pouvait mal faire, que ses ministres étaient seuls coupables, etc., etc. On lui répondit solidement… mais tous ces retours à l'inertie me firent concevoir une idée, qu'à force de remuer dans ma tête, j'y gravai si fixement, que depuis je n'ai pensé et ne pense encore qu'à cela.

      Il me parut évident que nous étions trahis. Le roi, me disais-je, ne peut avoir qu'un espoir, celui de conserver Bayonne et Perpignan; de ces deux points, soulever le Midi et l'Ouest et s'appuyer sur l'Espagne et les Pyrénées. Il pourrait allumer une guerre civile dans un triangle dont la base serait les Pyrénées et le sommet Toulouse; les deux angles sont des places fortes. Le pays qu'il comprend est la patrie de l'ignorance et du fanatisme; il touche par un des côtés à l'Espagne, par le second à la Vendée, par le troisième à la Provence. Plus j'y pensai, plus je vis clairement ce projet. J'en fis part aux amis les plus influents qui, par une faute inexcusable, ont été appelés par le vœu des citoyens à s'occuper des diverses organisations et n'ont plus le temps de penser aux choses graves.

      D'autres que moi avaient eu la même idée, et à force de crier et de répéter, elle est devenue générale. Mais que faire, surtout quand on ne peut délibérer et s'entendre, ni se faire entendre? Je me retirai pour réfléchir et je conçus plusieurs projets.

      Le premier, qui était déjà celui de toute la population bayonnaise, était d'arborer le drapeau et de tâcher, par ce mouvement, d'entraîner la garnison du château et de la citadelle. Il fut exécuté hier, à deux heures de l'après-midi, mais par des vieux qui n'y attachaient pas la même idée que Soustra, moi et bien d'autres; en sorte que ce coup a manqué.

      Je pris alors mon passe-port pour aller en poste chercher le général Lamarque. Je comptais sur sa réputation, son grade, son caractère de député, son éloquence pour entraîner les deux colonels; au besoin sur sa vigueur, pour les arrêter pendant deux heures et se présenter à la citadelle, en grand costume, suivi de la garde nationale avec le drapeau en tête. J'allais monter à cheval quand on vint m'assurer que le général est parti pour Paris, ce qui fit manquer ce projet, qui était assurément le plus sûr et le moins dangereux.

      Aussitôt je délibérai avec Soustra, qui malheureusement est absorbé par d'autres soins, dépêches télégraphiques, poste, garde nationale, etc., etc. Nous fûmes trouver les officiers du 9me, qui sont d'un esprit excellent, nous leur proposâmes de faire un coup de main sur la citadelle, nous nous engageâmes à mener six cents jeunes gens bien résolus; ils nous promirent le concours de tout leur régiment, après avoir cependant déposé leur colonel.

      Ne dis pas, mon cher Félix, que notre conduite fut imprudente ou légère. Après ce qui s'est passé à Paris, ce qu'il y a de plus important c'est que le drapeau national flotte sur la citadelle de Bayonne. Sans cela, je vois d'ici dix ans de guerre civile; et quoique je ne doute pas du succès de la cause, je sacrifierais volontiers jusqu'à la vie, et tous les amis sont dans les mêmes sentiments, pour épargner ce funeste fléau à nos misérables provinces.

      Hier soir, je rédigeai la proclamation ci-jointe au 7me léger, qui garde la citadelle; nous avions l'intention de l'y faire parvenir avant l'action.

      Ce matin, en me levant, j'ai cru que tout était fini, tous les officiers du 9me avaient la cocarde tricolore, les soldats ne se contenaient pas de joie, on disait même qu'on avait vu des officiers du 7me parés de ces belles couleurs. Un adjudant m'a montré à moi-même l'ordre positif, donné à toute la 11me division, d'arborer notre drapeau. Cependant les heures s'écoulent et la bannière de la liberté ne s'aperçoit pas encore sur la citadelle. On dit, que le traître J… s'avance de Bordeaux avec le 55me de ligne; quatre régiments espagnols sont à la frontière, il n'y a pas un moment à perdre. Il faut que la citadelle soit à nous ce soir, ou la guerre civile s'allume. Nous agirons avec vigueur, s'il le faut; mais moi que l'enthousiasme entraîne sans m'aveugler, je vois l'impossibilité de réussir, si la garnison, qu'on dit être animée d'un bon esprit, n'abandonne pas le gouvernement.

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