Les conteurs à la ronde. Dickens Charles
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Читать онлайн книгу Les conteurs à la ronde - Dickens Charles страница 3
– Que Dieu me vienne en aide, Christiana, répondis-je. Vous dites la vérité.
– Michel, dit-elle en mettant sa main dans la mienne avec la candeur de son dévouement virginal, ne vivons plus chacun de notre côté. Je vous assure que je puis très bien me contenter du peu que vous avez, comme vous vous en contentez vous-même. Vous êtes heureux, je veux être heureuse avec vous. Je vous parle du fond de mon coeur. Ne travaillez plus seul, réunissons nos efforts dans la lutte. Mon cher Michel, ce n'est pas bien à moi de vous cacher ce dont vous n'avez aucun soupçon, ce qui fait le malheur de ma vie. Ma mère… sans considérer que ce que vous avez perdu vous l'avez perdu pour moi et parce que vous avez cru à mon affection… ma mère veut que je fasse un riche mariage et elle ne craint pas de m'en proposer un qui me rendrait misérable. Je ne puis souffrir cela, car le souffrir ce serait manquer à la foi que je vous ai donnée. Je préfère partager votre travail de tous les jours, plutôt que d'aspirer à une brillante fortune. Je n'ai pas besoin d'une meilleure maison que celle que vous pouvez m'offrir. Je sais que vous travaillerez avec un double courage et une plus douce espérance, si je suis tout entière à vous… que ce soit donc quand vous voudrez.»
Je fus, en effet, dans le ravissement ce jour-là; nous nous mariâmes peu de temps après, et je conduisis ma femme sous mon heureux toit. Ce fut le commencement de la belle résidence dont je vous ai parlé; le château où nous avons, depuis lors, toujours vécu ensemble, date de cette époque. Tous nos enfants y sont nés. Notre premier enfant fut une petite fille, aujourd'hui mariée, et que nous nommâmes Christiana comme sa mère. Son fils ressemble tellement au petit Franck, que j'ai peine à les distinguer l'un de l'autre.
C'est encore une idée erronée que celle qu'on s'est faite de la conduite de mon associé à mon égard. Il ne commença pas à me traiter froidement, comme un pauvre imbécile, lorsque mon oncle et moi nous eûmes cette querelle si fatale. Il n'est pas vrai, non plus, que, par la suite, il parvint graduellement à s'emparer de notre maison de commerce et à m'éliminer; au contraire, il fut un modèle d'honneur et de probité.
Voici comment les choses se passèrent: Le jour où mon oncle me donna mon congé, et même avant l'arrivée de mes malles (qu'il renvoya, port non payé), je descendis au bureau que nous avions au bord de la Tamise, et, là, je racontai à John Spatter ce qui venait d'avoir lieu. John ne me fit pas cette réponse que les riches parents étaient des faits palpables, tandis que l'amour et le sentiment n'étaient que clair de lune et fiction; non, il m'adressa ces paroles:
– Michel, nous avons été à l'école ensemble, j'avais le tact d'obtenir de meilleures places que vous dans la classe, et de me faire une réputation de bon écolier.
– Cela est vrai, John, répondis-je.
– Quoique j'empruntasse vos livres et les perdisse, dit John; quoique j'empruntasse l'argent de vos menus plaisirs et ne le rendisse jamais; quoique je vous revendisse mes couteaux et mes canifs ébréchés plus cher qu'ils ne m'avaient coûté neufs; quoique je vous fisse payer les carreaux de vitres que j'avais brisés…
– Tout cela ne vaut pas la peine qu'on en parle, John Spatter, remarquai-je, mais tout cela est vrai.
– Quand vous vous fûtes établi dans cette maison de commerce, qui promet si bien de prospérer, poursuivit John, je vins me présenter à vous après avoir vainement parcouru toute la Cité pour trouver un emploi, et vous me fîtes votre commis.
– Tout cela ne vaut pas la peine qu'on en parle, mon cher John
Spatter, répétai-je; mais tout cela est encore vrai.»
John Spatter reprit sans être arrêté par mon interruption: – Puis, quand vous reconnûtes que j'avais une bonne tête pour les affaires et que j'étais vraiment utile à votre maison, vous ne voulûtes pas me laisser simplement votre commis, et bientôt vous pensâtes n'être que juste en me faisant votre associé.
– À quoi bon rappeler encore ces circonstances, John Spatter? m'écriai-je. J'appréciais, j'apprécie toujours votre capacité, supérieure à la mienne.»
John, à ces mots, passa son bras sous le mien, comme il avait coutume de le faire à l'école, et, les yeux tournés vers le fleuve, nous pûmes, à travers les croisées de notre comptoir en forme de proue; remarquer deux navires qui voguaient de conserve avec la marée, à peu près comme nous descendions nous-mêmes amicalement le fleuve de la vie. Nous fîmes mentalement, tous les deux, la même comparaison en souriant, et John ajouta:
– Mon ami, nous avons commencé sous ces heureux auspices; qu'ils nous accompagnent pendant tout la reste: du voyage, jusqu'à, ce que le but commun soit atteint; marchons toujours d'accord, soyons toujours francs l'un pour l'autre, et que cette explication prévienne tout malentendu. Michel, vous êtes, trop facile. Vous, n'êtes l'ennemi de personne que de vous même. Si j'allais-vous faire cette réputation fâcheuse parmi ceux avec qui nous entretenons des relations d'affaires, en haussant les épaules, en hochant la tête avec un soupir, et si j'abusais de votre confiance avec moi…
– Mais vous n'en abuserez jamais, John jamais…
– Jamais, sans doute, Michel, mon ami; mais je fais une supposition… Si j'abusais de votre confiance en cachant ceci, en mettant cela au grand jour, et puis en plaçant ceci dans un jour douteux, je fortifierais ma position et j'affaiblirais la vôtre, jusqu'à ce qu'enfin je me trouverais seul lancé sur la voie de la fortune et vous laisserais perdu sur quelque rive déserte, loin, bien loin derrière moi.
– C'est ce qui arriverait, en effet, John!
– Afin de prévenir cela, Michel, dit John Spatter, pour rendre la chose à peu près impossible, il doit y avoir une entière franchise entre nous; nous ne devons rien nous dissimuler l'un à l'autre, nous ne devons avoir qu'un seul et même intérêt.
– Mon cher John Spatter, je vous assure que c'est là précisément comme je l'entends.
– Et quand vous serez trop facile, poursuivit John, dont les yeux s'animèrent de la divine flamme de l'amitié, il faut que vous m'autorisiez à faire en sorte que personne ne prenne avantage de ce défaut de votre caractère; vous ne devez pas exiger que je le flatte et le favorise, n'est-ce pas?..
– Mon cher John Spatter, interrompis-je, je suis loin d'exiger cela. Je veux, au contraire, que vous m'aidiez à le corriger.
– C'est bien là mon intention.
– Nous sommes d'accord, m'écriai-je, nous avons tous les deux le même but devant nous, nous y marchons ensemble, nous cherchons à l'atteindre honorablement; mêmes vues, un seul et même intérêt; nous sommes deux amis confiants l'un dans l'autre, notre association ne peut donc qu'être heureuse.
– J'en suis assuré, reprit John Spatter, et nous nous secouâmes la main très affectueusement.»
J'emmenai John à mon château, et nous y passâmes une journée de bonheur. Notre association prospéra. Mon ami suppléa à tout ce qui me manquait, comme je l'avais bien prévu; il m'aida à me corriger en m'aidant à faire fortune, et montra ainsi largement sa reconnaissance de ce que j'avais moi-même fait pour lui en l'associant à moi au lieu de le laisser mon commis.
Je ne suis pas cependant très riche, car je n'ai jamais eu l'ambition de le devenir, dit le parent pauvre en jetant un coup d'oeil sur le feu et se frottant les mains; mais j'en ai assez. Je suis au-dessus de tous les besoins et de tous les soucis, grâce à ma modération. Mon château n'est pas un magnifique château; mais il