Les conteurs à la ronde. Dickens Charles
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Quelquefois ils s'arrêtaient à quelque carrefour de la forêt d'où partaient différentes avenues, et l'un des enfants disait: «Père, je vais à la mer;» un autre: «Père, je vais aux Indes;» un autre: «Père, je vais aller chercher fortune où je pourrai;» un autre enfin: «Père, je vais au ciel.» C'est ainsi qu'après bien des larmes au moment de la séparation, chacun des ces enfants prenait une des avenues et il s'éloignait solitaire; mais l'enfant qui avait dit: «Je vais au ciel,» s'élevait dans l'air et y disparaissait.
Chaque fois qu'avait lieu une de ces séparations, le voyageur regardait le père qui levait les yeux au-dessus des arbres où le jour commençait à décliner et le soleil à descendre sur l'horizon. Il remarquait aussi que ses cheveux grisonnaient; mais ils ne pouvaient s'arrêter longtemps, car ils avaient un long voyage devant eux, et il leur fallait travailler sans cesse.
À la fin, il y avait eu tant de séparations qu'il ne restait plus un seul des enfants. Le père, la mère et le voyageur se trouvèrent seuls à continuer leur route. Le bois était devenu jaune, puis il avait bruni et déjà les feuilles tombaient d'elles-mêmes.
Ils arrivaient à une avenue plus sombre que les autres, et ils pressaient le pas sans y jeter un regard, quand la femme s'arrêta.
– Mon mari, dit-elle, on m'appelle.
Ils écoutèrent, et entendirent dans la sombre avenue une voix qui criait de loin: «Mère, mère!»
C'était la voix du premier enfant qui avait dit; «Je vais au ciel.» Et le père lui répondit: «Pas encore, je vous prie, pas encore; le soleil va se coucher, pas encore.»
Mais la voix répétait: «Mère, mère!» sans faire attention à ce qu'avait dit le père, quoique ses cheveux fussent alors tout à fait blancs, et quoiqu'il versât des larmes.
Alors la mère qui, déjà enveloppée à moitié des ombres de l'avenue, tenait encore son mari embrassé, lui dit: «Mon ami, il faut que je parte, je suis appelée.» Et elle partit, et le voyageur resta seul avec le père.
Ils reprirent leur chemin ensemble jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés presque à la limite de la forêt, de manière à apercevoir, au-delà, le soleil qui colorait l'horizon de sa flamme mourante.
Là encore, cependant, tandis qu'il s'ouvrait une voie à travers les branches, le voyageur perdit son compagnon. Il appela, il appela… point de réponse, et lorsqu'il eut franchi l'extrême lisière du bois, au moment où du soleil couchant il ne restait plus que la trace brillante dans un ciel de pourpre, il rencontra un vieillard assis sur un arbre abattu.» Que faites-vous ici?» demanda-t-il à ce vieillard; et le vieillard lui répondit avec un sourire paisible: «Je suis toujours à me souvenir. Venez-vous souvenir avec moi.»
Le voyageur alors s'assit auprès du vieillard, à la lueur d'un beau soleil couchant, et tous ses précédents compagnons de route vinrent doucement se placer debout devant lui: le joli enfant, le beau jeune garçon, le jeune amoureux, le père, la mère et tous leurs enfants; tous étaient là et il n'en avait perdu aucun. Donc il les aima tous, bon et indulgent pour tous, toujours charmé de les revoir, et eux ils l'honoraient et l'aimaient tous. Je crois que vous devez être ce voyageur, grand-papa; car c'est ce que vous faites pour nous, et c'est ce que nous faisons pour vous.
III – L'HISTOIRE DE QUELQU'UN ou LA LÉGENDE DES DEUX RIVIÈRES
On ferait une année entière des jours de Noël qui se sont succédé depuis qu'un riche tonnelier, nommé Jacob Elsen, fut élu syndic de la corporation des tonneliers de Stromthal, ville de l'Allemagne méridionale. Le nom de sa famille ne se retrouve peut-être nulle part aujourd'hui; la ville elle-même n'existe plus. À une époque postérieure, les habitants accusèrent injustement les Juifs d'avoir égorgé de petits enfants chrétiens. Ils les expulsèrent de la ville, et leur firent défense d'en franchir les portes; mais les Juifs prirent tranquillement leur revanche, car ils bâtirent une seconde ville à une certaine distance de la première, et ils y attirèrent tout le commerce, en sorte que la ville nouvelle vit graduellement croître ses richesses, tandis que l'ancienne se vit peu à peu réduite à rien.
Toutefois Jacob Elsen ne connut pas cette persécution. De son temps, les Juifs circulaient dans les rues sombres et tortueuses, trafiquaient sur la place du marché, tenaient des boutiques et jouissaient, comme tous les autres habitants, des privilèges de la bourgeoisie.
Une rivière coulait à travers la ville de Stromthal, rivière étroite, sinueuse, mais navigable pour les petits bateaux. On l'appelle encore la «Klar». Comme l'eau de la «Klar» est très pure, très agréable à boire, et que la rivière est fort utile au commerce, les habitants du pays l'avaient surnommée la «grande amie» de Stromthal. Ils lui attribuaient la propriété de guérir les maux de l'esprit aussi bien que ceux du corps, et de nos jours encore, bien que beaucoup de personnes, affligées des uns ou des autres, s'y soient plongées ou aient bu de son onde sans s'en trouver beaucoup mieux, leur foi reste la même. Ils lui donnent aussi des noms féminins, comme si c'était une femme, une déesse. La «Klar» est le sujet d'innombrables ballades et histoires qu'ils savent par coeur, ou plutôt qu'ils savaient du temps de Jacob Elsen, car il y avait alors très peu de livres et encore moins de lecteurs à Stromthal. On célébrait aussi une fête annuelle, nommée «la fête de la Klar,» pendant laquelle on jetait dans le courant des fleurs et des rubans qui flottaient à travers les prairies jusqu'à la grande rivière où la «Klar» se jette.
– La Klar, disait une de ces ballades populaires, n'est-elle pas une merveille entre les rivières? Les autres courants sont alimentés, goutte à goutte, par les rosées et les pluies; mais la «Klar» descend toute grande des montagnes.» Et ce n'était pas une invention des poètes, car personne ne connaissait la source de cette rivière. En vain le conseil municipal avait offert une récompense de cinq cents brins d'or à celui qui la découvrirait; tous ceux qui avaient essayé de remonter la «Klar» étaient arrivés à un certain endroit situé à un grand nombre de lieues au-dessus de Stromthal, où son onde s'échappait entre des rochers escarpés, et où son courant était si rapide, que ni voiles ni rames ne pouvaient lutter contre lui. Au-delà de ces rochers se trouvaient les montagnes nommées «Himmel-gebirge», et l'on supposait que la «Klar»prenait naissance dans ces régions inaccessibles.
Si les gens de Stromthal honoraient leur rivière, ils aimaient encore plus leur commerce. Au lieu de planter des promenades publiques sur les rives, ils avaient bâti la plupart de leurs maisons tout au bord de l'eau. Quelques habitations dans les faubourgs avaient bien des jardins, mais, au centre de la ville, le courant ne reflétait d'autres ombres que celles des magasins et des façades en surplomb des vieilles maisons de bois. La demeure de Jacob Elsen était de ce nombre. Elle s'ouvrait sur un petit embarcadère garni de pieux de bouleau, et ses fondements étaient creusés si près de l'eau, qu'en ouvrant la porte de l'atelier, on pouvait remplir une cruche à la rivière.
L'intérieur de Jacob Elsen se composait de trois personnes sans le compter; à savoir, sa fille Marguerite, son apprenti Carl et une vieille servante. Il avait des ouvriers, mais qui ne couchaient pas chez lui. Carl était un jeune homme de dix-huit ans, et la fille de son maître étant un peu plus jeune, il s'éprit d'elle comme tous les apprentis dans ce temps-là. L'amour de Carl pour Marguerite était pur et profond. Jacob la connaissait, mais il ne disait rien; il avait foi dans la prudence de sa fille.
Marguerite aimait-elle alors Carl? Elle seule le savait. Tous les dimanches, il allait avec elle à l'église; et là, tandis que ses prières devenaient quelquefois des sons insignifiants pour lui, parce qu'il pensait à elle et épiait tous ses mouvements, il l'entendait murmurer dévotement les siennes; ou, lorsque le prédicateur parlait et que la figure de Marguerite restait fixée sur la chaire, il