Les conteurs à la ronde. Dickens Charles

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Les conteurs à la ronde - Dickens Charles

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son apprentissage étant achevé, le temps vint pour Carl de quitter la maison d'Elsen pour voyager, comme tous les ouvriers allemands sont tenus de le faire par les lois de leur compagnonnage. Il résolut de parler de son amour à Marguerite avant de partir. Pouvait-il, pour cela, choisir un meilleur temps qu'une soirée d'été où Marguerite était venue par hasard dans l'atelier, après la sortie des compagnons? Il appela la jeune fille près de la porte qui donnait sur la rivière, pour regarder le coucher du soleil, et il lui parla longtemps de la «Klar» et de sa source mystérieuse. Lorsqu il commença à faire noir et qu'il n'y eut plus moyen de tarder davantage, son secret lui échappa, et Marguerite lui révéla à son tour le sien, qui était qu'elle l'aimait aussi: Mais, ajouta-t-elle, je dois le dire à mon père.

      Ce soir-là même, après le souper, les deux jeunes gens racontèrent à Jacob Elsen ce qui s'était passé entre eux. Jacob était un homme dans toute la fleur de l'âge; il n'était pas avare, mais prudent en toutes choses. «Que Carl, dit-il, revienne après son temps de voyage avec cinquante florins d'or, et alors, ma fille, si vous voulez vous marier avec lui, je le ferai recevoir maître tonnelier.» Carl n'en demandait pas davantage. Il ne doutait pas de pouvoir rapporter cette somme, et il savait que la loi ne lui permettait pas de se marier avant son voyage pour se perfectionner dans son métier; il lui tardait donc de partir pour revenir bientôt, et le lendemain, de grand matin, il prit congé de Marguerite avant qu'il y eût encore aucun mouvement dans les rues.

      Carl était plein d'espérance, mais Marguerite pleurait tandis qu'il se tenait sur le seuil. «Trois années, dit-elle, opèrent quelquefois de si grands changements en nous, que nous ne sommes plus les mêmes!

      – Elles me feront vous aimer davantage, répondit Carl.

      – Vous en rencontrerez de plus belles que moi dans les pays où vous irez; et je penserai encore à vous dans cette maison, longtemps après que vous l'aurez oubliée.

      – Maintenant, je suis certain de votre affection, Marguerite, dit Carl avec joie, mais il ne faut pas douter de moi pendant mon absence; aussi certainement que je vous aime, je reviendrai, avec les cinquante florins d'or, réclamer de votre père l'accomplissement de sa promesse.»

      Marguerite resta longtemps sur le seuil, et Carl regarda bien des fois en arrière avant de tourner l'angle de la rue. Malgré cette séparation, il se sentait le coeur assez léger, car il avait toujours envisagé ce voyage comme le moyen d'obtenir la main de la fille de son patron. «Il ne faut pas perdre de temps, pensait-il, et pourtant ce serait une grande chose, si je découvrais la source de notre rivière. Je fais justement route vers le Sud, j'essaierai!»

      Le troisième jour, il prit un bateau dans un petit village et remonta le courant; mais, dans l'après-midi, il arriva près des rochers, et ce courant devint plus fort. Il continuait pourtant de ramer. Le double mur de roche grisâtre grandissait toujours sur l'une et l'autre rive, et lorsqu'il regardait en l'air, il ne voyait plus qu'une étroite bande du ciel. À la fin, toute la vigueur de ses bras suffisait à peine pour maintenir le bateau en place. De temps en temps, et par un effort soudain, il avançait bien de quelques brasses, mais il ne pouvait conserver l'espace qu'il avait gagné, et cédant à la lassitude, il fut obligé de se laisser aller à la dérive. Ainsi donc, pensa-t-il, ce qu'on disait des rochers et de l'impétuosité du courant est vrai, je puis au moins l'attester.»

      Carl erra bien des jours avant de trouver de l'ouvrage, et quand il en trouva, cet ouvrage était mal payé et suffisait à peine à le faire vivre; il fut donc obligé de se remettre en route. Déjà la moitié du terme prescrit s'était écoulé, et quoiqu'il eût fait bien des centaines de lieues et travaillé dans bien des villes, il avait à peine épargné dix florins d'or. Force lui fut de chercher encore fortune ailleurs. Après plusieurs journées de marche, il arriva dans une petite ville située sur le bord d'une rivière, dont les eaux étaient si transparentes qu'elles le firent penser à celles de la «Klar.» La ville elle-même ressemblait tellement à Stromthal, qu'il pouvait presque s'imaginer être revenu à son point de départ, après un long circuit; mais il ne pouvait être encore question pour Carl de rentrer dans sa ville natale. Le terme n'était qu'à moitié expiré, et ses dix florins d'or, dont l'un venait de s'entamer en voyage, feraient, pensait-il, pauvre figure après qu'il s'était vanté d'en rapporter cinquante. Il ne se sentait plus le coeur aussi léger que le jour où il avait quitté Marguerite sur Ie seuil de la maison de son père. Combien le monde était différent de son attente! La dureté des étrangers avait aigri son coeur, et il éprouvait plutôt de la peine que du plaisir à se rappeler Stromthal ce jour-là. Sans la fatigue qui l'accablait, il aurait tourné le dos à la ville, et continué son chemin sans s'arrêter; mais le soir étant venu, il avait besoin de réparer ses forces. Il entra donc dans des rues tortueuses qui lui rappelaient de plus en plus Stromthal, et gagna la place du marché, au milieu de laquelle s'élevait une grande et blanche statue, représentant une fortune qui tenait une branche d'olivier à la main; sa tête, était nue: mais les plis d'une draperie l'enveloppaient de la ceinture aux pieds…

      – Quelle est cette statue? demanda Carl à un passant.

      Le passant répondit dans un dialecte étranger, qui fut pourtant compris de Carl:

      – C'est la statue de notre rivière.

      – Et comment nomme-t-on votre rivière?

      – Le «Geber» (Le Bienfaiteur), parce qu'elle enrichit la ville et lui permet de trafiquer avec beaucoup de grandes cités.

      – Et pourquoi cette statue a-t-elle la tête nue et les pieds cachés?

      – Parce que nous savons où la rivière prend sa source; mais tout le monde ignore où elle aboutit.

      – Ne peut-on savoir où aboutit le courant?

      – C'est une entreprise dangereuse. Le courant devient très impétueux; resserré longtemps entre des rochers escarpés; il finit par se précipiter dans une profonde caverne où il se perd.

      – C'est bien étrange, pensa Carl, que cette, ville ressemble sous tant de rapports à la mienne.»

      Il n'était pas au bout de ses surprises.

      Un peu plus loin, dans une rue étroite, il aperçut, une maison de bois avec un petit tonneau suspendu au-dessus de la porte en guise d'enseigne. Cette maison ressemblait tellement à celle de Jacob Elsen, que si les mots Peter Schonfuss, tonnelier du Duc, n'avaient pas été inscrits au-dessus de la porte, il aurait cru qu'il y avait de la magie.

      Carl frappa, et une jeune femme vint ouvrir. Ici finissait la ressemblance, car il suffit d'un regard pour voir que Marguerite était cent fois plus belle.

      – Je ne sais pas si mon père a besoin d'ouvriers, dit la jeune femme, mais si vous êtes un voyageur, vous pouvez vous reposer et vous rafraîchir en l'attendant.»

      Carl la remercia et entra. La cuisine, au plafond très bas comme celle de Jacob Elsen, ne l'étonna point, car la plupart des maisons étaient ainsi bâties à cette époque. La fille du tonnelier mit une nappe blanche, lui donna de la viande et du pain, et lui apporta de l'eau pour se laver; mais tandis qu'il mangeait, elle lui fit beaucoup de questions sur le lieu d'où il venait et sur ceux qu'il avait déjà parcourus. Jamais elle n'avait entendu parler de Stromthal, et elle ne savait rien du pays situé au-delà du Himmelgebirge. Quand son père entra, Carl vit qu'il était beaucoup plus vieux que Jacob Elsen.

      – Ainsi donc vous cherchez du travail? demanda le père.

      Carl, qui se tenait debout le bonnet à la main, s'inclina.

      En ce cas, suivez-moi. Le vieillard marcha devant lui et le fit entrer dans un atelier au fond duquel une, porte entr'ouverte laissait voir

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