La dégringolade. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La dégringolade - Emile Gaboriau страница 5
L'accent de Raymond, le feu sombre de son regard, éveillaient dans l'esprit du docteur un monde de conjectures. Mais il les écarta.
Il venait de remarquer un des rares «déguisés» du bal qui, depuis un moment, les épiait.
C'était un petit homme taillé en force, d'une physionomie plutôt vulgaire que méchante. Il portait un costume d'ordre composite: un large pantalon de velours éraillé, à bandes de satin jadis blanc, et une veste espagnole dont la moitié des boutons manquait. Sur la tête il avait une toque rouge, ornée d'un grand plumet.
– Serait-ce donc celui que nous attendons? pensait M. Legris.
C'était lui.
Il s'approcha de Raymond, lui frappa familièrement sur l'épaule, et d'une voix dont l'alcool avait depuis longtemps détrempé les cordes:
– Je viens du jardin de l'Élysée, prononça-t-il.
Comme s'il eût été mû par un ressort, Raymond se dressa tout d'une pièce et dit:
– Je suis prêt à vous suivre.
– En ce cas, arrivez vite, car nous sommes en retard.
Ce n'était pas sans une intime et bien naturelle satisfaction que le docteur Legris avait pris la mesure de cet inconnu, à qui Raymond et lui allaient s'abandonner.
– Ou je n'ai jamais su ce qu'est une physionomie, pensait-il, ou ce gros gaillard est absolument incapable d'un crime.
Cependant le docteur songeait aussi:
– Ah çà! est-ce dans ce costume qu'il va nous conduire Dieu sait où?..
Pas tout à fait.
Arrivé au vestiaire, l'inconnu y prit un large mac-farlane qu'il jeta sur ses épaules et échangea contre un chapeau de feutre mou sa toque à plumet. Puis, d'un air content de soi:
– Hein! fit-il, je ne suis pas long à changer de pelure, moi, et si vous avez de bonnes jambes…
Mais il s'interrompit, tout interloqué, en reconnaissant que Raymond n'était pas seul.
– Oh! oh! oh! gronda-t-il sur trois tons différents, et d'une voix toujours plus éraillée que le velours de son pantalon… On ne m'avait annoncé qu'une pratique.
Le docteur s'avançait pour intervenir; Raymond le prévint.
– C'est possible, répondit-il, mais si monsieur ne peut m'accompagner, je renonce à vous suivre.
L'homme, évidemment perplexe, se grattait le nez avec une sorte de rage. Ce devait être un moyen à lui de provoquer l'éclosion des idées. Et il lui réussit, car soudain:
– Bête que je suis! s'écria-t-il, je vais régler cela en un tour de main. Ne bougez pas, je reviens.
Et il se rejeta dans la mêlée du bal.
– Ah! c'est nous qui sommes des niais! fit presque aussitôt M. Legris. Cet homme rentre chercher des instructions; donc celui qui l'emploie et le paye, l'auteur de la lettre anonyme, est dans la salle. J'aurais dû me lancer sur ses talons, et si je savais qu'il fût encore temps…
Non… l'homme reparaissait.
– Tout est arrangé, dit-il gaîment, arrivez tous deux; ce sera le même prix…
L'instant d'après ils étaient dehors.
Il était bien près d'une heure, à ce moment. L'économe administration de la Reine-Blanche avait éteint son illumination extérieure. Le pâtissier avait mis les volets de son échoppe. Tout était fermé aux environs. Il ne passait plus un chat sur le boulevard Clichy, et c'est à peine si de loin en loin on apercevait un sergent de ville s'abritant sous quelque porte cochère.
Le temps, après avoir menacé toute la journée, était devenu affreux. C'était une véritable tempête qui s'abattait sur Paris, pliant comme des roseaux les jeunes arbres du boulevard, tordant les tuyaux de cheminées, faisant voler au loin les ardoises des toits.
Cependant la nuit n'était pas sombre, et par moments, à travers les déchirures des nuages noirs chassés par un vent furieux, la lune apparaissait, accentuant la silhouette des maisons et faisant resplendir comme des miroirs d'argent les flaques d'eau des avenues.
Mais qu'importait le temps, au docteur et à Raymond? Ayant relevé le collet de leur paletot, ils s'étaient pris par le bras, et, silencieux, ils marchaient derrière leur guide.
Lui allait, d'une allure insoucieuse, les mains dans les poches, sifflotant un air de valse.
En sortant de l'allée boueuse de la Reine-Blanche, il avait pris du côté de la cité Véron, la cité par excellence des «jolis cabinets à louer».
Il fit ainsi cent cinquante pas, dans la direction des Batignolles, puis tournant court, il s'engagea dans l'avenue du cimetière du Nord.
C'est une large avenue plantée d'arbres où se fait dans le jour un grand commerce de vins et d'emblèmes funéraires, mais qui n'a d'autre issue que le cimetière dont on aperçoit, à l'extrémité, le large portail.
Aussi, le docteur s'arrêta-t-il net, et lâchant le bras de Raymond:
– Ah çà! l'ami, demanda-t-il à leur guide, où nous menez-vous par là?
– Où l'on m'a dit.
– Soit! Mais la nuit, quand le cimetière est fermé, cette avenue est une impasse…
– Possible!.. Allons, avançons-nous?..
– Vous nous accorderez bien dix secondes, interrompit M. Legris.
Et attirant Raymond à l'écart:
– Si vous me connaissiez mieux, lui dit-il très vite, je n'aurais pas besoin de vous affirmer que je ne suis pas homme à reculer jamais. Seulement j'aime à me renseigner. Notre expédition me paraît prendre une tournure singulière. Donc, excusez mes questions: neuf fois sur dix, quand on reçoit une lettre anonyme, on sait quel nom mettre au bas…
Raymond l'arrêta d'un geste:
– La lettre peut aussi bien venir d'un ami dévoué que d'un ennemi mortel, répondit-il, voilà tout ce que je puis dire…
M. Legris ne broncha pas.
– Parfait! dit-il, comme s'il eût été satisfait de cette réponse évasive.
Et de ce ton goguenard dont les hommes forts voilent leurs impressions:
– Nous sommes à vous, l'ami, cria-t-il à leur guide: allez…
Il alla droit à la porte du cimetière, et il s'apprêtait à tirer la corde de la cloche, quand Raymond, d'un geste rapide, lui arrêta le bras.
– Prenez garde, lui dit-il, ni mon ami ni moi ne sommes de ceux qu'on mystifie impunément.
Dédaigneusement l'homme haussa les épaules.
– J'ai