La dégringolade. Emile Gaboriau

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La dégringolade - Emile Gaboriau

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pourquoi pas?..

      Mme Delorge n'avait-elle pas encore la fraîcheur et toutes les grâces pudiques d'une jeune fille! Où trouver une âme plus tendre et plus énergique à la fois, un esprit plus ferme, une intelligence plus élevée?..

      Mais tout à coup, il tressaillit.

      – M'aimera-t-elle jamais! pensait-il.

      Et avec un inexprimable serrement de cœur, il se mit à examiner ses chances… Hélas! elles étaient bien chétives, si même il en avait.

      On triomphe d'un vivant, on le supplante, on l'efface, mais un mort!.. Comment atteindre, aux plus secrets replis de l'âme d'une femme, le souvenir brûlant d'un être immatériel, paré de qualités surhumaines, divinisé par les regrets?

      – Et cependant, songeait l'avocat, il est un moyen peut-être d'arriver au cœur de cette femme si malheureuse: la reconnaissance. Rien ne la peut plus émouvoir que l'espérance de venger son mari. Que n'accordera-t-elle pas à l'homme qui l'aidera dans cette tâche, et qui lui livrera ses ennemis!..

      Il s'exaltait à cette idée, et en ce moment, lui qui jamais ne s'était exercé qu'aux luttes oratoires, il eût voulu tenir à longueur d'épée le comte de Combelaine…

      Mais un léger bruit dans son cabinet fit évanouir toutes les visions.

      Il se retourna vivement, et se trouva en présence de son domestique.

      – Qu'est-ce que vous voulez? lui dit-il d'une voix irritée, et qui vous a permis?..

      – Monsieur, il y a là des clients…

      – Ils reviendront demain.

      – Il y a là aussi ce gros entrepreneur, monsieur sait bien qui je veux dire, qui a tant d'ouvriers, et qui chauffe la candidature de monsieur…

      – Qu'il aille au diable!..

      Le domestique demeura béant de surprise.

      Ce mot: candidature produisait d'ordinaire un tout autre effet.

      – J'ai besoin d'être seul, reprit l'avocat, dites que je suis en affaires et pris pour toute la soirée…

      – Alors je vais congédier tout le monde, fit le domestique; seulement, j'aurai du mal à renvoyer un ami de monsieur, qui veut absolument lui parler, M. Verdale…

      – Oh! à celui-là vous n'avez qu'à répondre…

      Mais il s'arrêta court, en se frappant le front.

      Cet ami était précisément celui dont il avait parlé à Mme Delorge, et qui connaissait la baronne d'Eljonsen.

      – Faites-le entrer, dit-il.

      XIII

      M. Verdale était un gros, grand et large homme, avec d'énormes mains velues, affreusement commun, mais ne manquant, on le voyait à ses yeux, ni d'esprit ni de finesse.

      Architecte de son état, il avait obtenu au concours un grand prix qui lui avait valu un séjour de trois ans à Rome, aux frais de l'État.

      Il en était revenu avec un portefeuille tout gonflé de plans et de devis, et la résolution bien arrêtée de faire fortune très vite et par n'importe quels moyens…

      Mais c'est en vain que depuis dix ans il avait usé ses bottes à courir après l'occasion. Elle l'avait fui. Ses plans n'étaient pas sortis de leur carton.

      Et il était resté pauvre, et plus que jamais enragé de convoitises…

      C'est au collège, à Saint-Louis, où ils étaient dans la même classe, que s'étaient connus M. Verdale et Me Roberjot. Et depuis, bien que cheminant dans la vie par des routes fort différentes, ils avaient toujours conservé des relations.

      Cela tenait, il est vrai, à ce que plus d'une fois M. Verdale, l'architecte incompris, comme il se nommait lui-même, avait eu besoin de son ancien copain, tantôt pour un prêt d'une couple de cent francs, lorsque la gêne était pressante, tantôt pour une consultation, lorsqu'il avait des difficultés avec les rares imprudents qui s'étaient adressés à lui.

      Mais ni la misère, ni les procès, ni les déceptions n'avaient altéré sa bonne humeur. Car il était gai, d'une grosse gaîté impudente et vulgaire, et il s'était créé une sorte de langage à part, emprunté à ses souvenirs classiques, au vocabulaire de sa profession et au répertoire des théâtres à la mode.

      Il entra chez son ami le chapeau sur la tête, en brandissant un rouleau de papier, et dès le seuil:

      – Qu'est-ce? s'écria-t-il. Tu te fais céler, comme nous disons à la Comédie-Française!.. Es-tu déjà ministre?

      – Pas encore.

      – Mais tu vas être représentant du peuple… si j'en crois la rumeur.

      – Mes amis me pressent de poser ma candidature, c'est vrai, mais je ne suis pas encore décidé…

      L'architecte éclata de rire, puis d'un air de gravité:

      – Pauvre cher ami, fit-il, combien tu dois souffrir de la violence qu'on fait à ta modestie de violette!.. Cruels amis! Douloureuses obligations!.. Mais l'hésitation serait un crime: il est grand, il est beau de se sacrifier au salut de la patrie!..

      Accoutumé aux façons de son ami, Me Roberjot souriait, encore qu'il n'en eût peut-être pas bien envie.

      – Bref, reprit M. Verdale, tu te sens assez d'estomac pour avaler tous les crapauds et toutes les vipères d'une candidature!.. Tu vas essayer d'être nommé représentant.

      – Oui.

      – De l'opposition, naturellement?

      – Tu l'as dit.

      – Eh bien! c'est une faute.

      – Et pourquoi, s'il te plaît!

      – Parce que… tu sais le mot de Thiers? L'Empire est fait.

      L'avocat haussa les épaules.

      – Eh bien! nous le déferons, dit-il.

      M. Verdale ôta son chapeau.

      – Tous mes compliments! dit-il. Cette confiance me charme.

      Puis d'un ton de feinte humilité:

      – Cependant, reprit-il, tu le laisseras bien durer assez pour que j'aie le temps de faire fortune! Voyons, mon vieux Roberjot, fais cela pour un camarade, quand ce ne serait que pour me fournir le moyen de te rendre ce que je te dois…

      – Tu penses donc que l'Empire t'enrichira?

      – J'ai cette candeur! dirait Arnal. Or, comme nous sommes à Paris cinquante mille gaillards qui nous berçons de cet espoir, l'Empire du-re-ra.

      – Diable!

      – Tous ne réussiront pas, c'est évident, mais moi, je réussirai. L'empereur… je veux dire le prince-président, a des projets

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