La dégringolade. Emile Gaboriau

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La dégringolade - Emile Gaboriau

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si consterné qu'elle ajouta:

      – N'était-ce donc pas un devoir sacré?

      – Oui, répondit l'avocat, oui. Seulement il est des occasions, et celle-ci en est une, où le devoir devient une imprudence insigne…

      – Oh! monsieur, de telles paroles dans votre bouche! Et moi qui supposais…

      Mais il ne la laissa pas poursuivre, et vivement:

      – Croyez-vous donc que je blâme votre bonne action, madame! s'écria-t-il. Non certes! Mais il fallait vous en cacher comme d'une faute. Secourir la femme de Cornevin était votre devoir et votre intérêt, mais vous deviez la tenir à l'écart, ne la voir qu'en secret et employer, pour lui venir en aide, une main étrangère.

      – Et pourquoi cela, monsieur?

      – Pourquoi? répéta-t-il; pourquoi?..

      Et plus lentement:

      – Parce que Laurent Cornevin, abandonné de tout le monde, eût été vite oublié. Lui donner ouvertement votre appui, c'est rappeler l'attention sur lui. Pauvre, seul, sans amis, chargé de famille, il ne devait guère inquiéter des ennemis tout-puissants. Devenu l'allié de la veuve du général Delorge, il constitue un danger permanent. L'oubli était sa meilleure chance de salut et de liberté. On ne l'oubliera plus. Trois mots sur son dossier vont le condamner à une active et incessante surveillance. Le jour où vous avez admis sa femme chez vous, madame, vous avez donné un tour de clef de plus à la porte de sa prison…

      Mme Delorge baissait la tête, accablée d'un immense découragement.

      Qu'objecter à de telles raisons?..

      L'expérience de Me Roberjot en arrivait à la même conclusion que jadis les terreurs égoïstes du digne M. Ducoudray.

      Veiller toujours, mais dans l'ombre, s'effacer, s'appliquer à se faire oublier, patienter, attendre…

      Attendre!.. quand son sang bouillait dans ses veines, quand il y avait des instants où l'idée lui venait de s'armer d'un poignard et d'en frapper cet homme qui, avec la vie de son mari, lui avait pris sa vie, à elle, tout son bonheur, toutes ses espérances!..

      – Malheureusement, dit-elle, ma faute est irréparable. Changer quoi que ce soit à ce que j'ai décidé serait une faute de plus. Mais après…

      – Après?.. Nous chercherons autre chose. Un homme qui traîne un passé comme celui de M. de Combelaine, ne saurait être invulnérable… On peut le connaître, ce passé, si mystérieux qu'il soit… Ma position va me donner de grandes facilités… Avec un peu d'adresse… en risquant certaines démarches… Mais il me faudrait votre autorisation, madame, et je ne sais si je dois… si je puis…

      Tout avocat qu'il était, accoutumé à tout dire, il s'embarrassait dans ses phrases, il hésitait, il balbutiait.

      Mais Mme Delorge ne voyait rien de ce manège, pas plus qu'elle n'avait remarqué certaines phrases, cependant bien significatives.

      La femme était morte en elle, cette nuit fatale où on lui avait rapporté le cadavre de son mari…

      L'idée qu'on pouvait l'aimer encore, avec l'espoir d'être un jour aimé d'elle, l'eût révoltée comme la pensée d'un sacrilège…

      Me Roberjot dut comprendre qu'il ne serait pas compris, car tout à coup, prenant, comme on dit, son cœur à deux mains:

      – Mon petit ami, dit-il à Raymond, sur la table de mon salon se trouvent des albums superbes… Voulez-vous aller regarder les gravures, pendant que je parlerai à votre maman?..

      L'enfant se leva, cherchant dans les yeux de sa mère quelle conduite tenir.

      – Va, mon enfant, lui dit-elle, non sans une visible surprise, fais ce que monsieur te demande…

      Qui eût vu Me Sosthènes Roberjot en ce moment, l'eût pris, positivement, pour le plus timide des hommes…

      Il s'agitait sur son fauteuil, son regard vacillait, il toussait, il tracassait son couteau à papier pour se donner une contenance…

      Enfin, dès que Raymond fut sorti:

      – Je vous l'ai dit, madame, commença-t-il, la première fois que j'ai eu l'honneur de vous voir, votre cause devint la mienne. Ne m'en veuillez pas de ce qui serait, sans cela, une indiscrétion… Vous ne m'avez pas parlé de la déposition de M. de Combelaine, que cependant le juge d'instruction a dû vous lire.

      – Il ne me l'a pas lue, monsieur.

      – Est-ce possible?..

      – Je ne lui en ai pas laissé le temps…

      L'avocat ne fut point maître d'un mouvement de contrariété:

      – Eh! madame, s'écria-t-il, cette déposition était pour vous la plus importante… Elle vous eût appris à quels motifs il plaît à M. de Combelaine d'attribuer son duel avec le général Delorge.

      Cette idée si simple ne s'était pas présentée à l'esprit de Mme Delorge.

      – C'est pourtant vrai, fit-elle, c'est une faute encore que j'ai commise. Mais celle-là, du moins, je puis la réparer, je puis demander à M. d'Avranchel communication du dossier…

      Me Roberjot hocha la tête:

      – C'est inutile, prononça-t-il.

      – Cependant…

      – Loin de faire mystère de sa déposition, M. de Combelaine use de tous les moyens dont il dispose pour l'ébruiter, pour la répandre.

      – Quelle nouvelle infamie a-t-il imaginée?..

      – Il attribue son altercation avec le général Delorge à une question toute personnelle, toute privée…

      – Quelle?

      Positivement le futur tribun rougissait presque.

      – C'est que, balbutia-t-il, je ne sais trop si je dois…

      – Eh! monsieur, je puis tout entendre!

      – Eh bien! madame, M. de Combelaine affirme que le général Delorge ne lui pardonnait pas ses assiduités près d'une certaine dame…

      Il s'arrêta. Il s'était préparé à une explosion d'indignation, de jalousie rétrospective, peut-être.

      Quelle erreur! Mme Delorge ne sourcilla pas.

      – C'est absurde! prononça-t-elle tranquillement.

      – Voilà ce que j'ai répondu, se hâta de dire Me Roberjot. Cependant…

      – C'est ridicule encore plus qu'odieux, insista Mme Delorge, avec cette confiance superbe de la femme qui sait bien de quel amour profond et exclusif elle a été aimée. Et véritablement, M. de Combelaine est bien bon de prendre la peine d'inventer de pareilles histoires.

      Elle sourit tristement, puis d'un tout autre ton, – d'un ton d'indicible mépris:

      – Et sait-on, demanda-t-elle, quelle

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