Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 47
– De laquelle de ces dames est-ce le tour? demanda-t-il.
C'était le tour de la dame évaporée; elle se levait déjà, lorsque le grand couturier l'arrêta d'un geste.
Il venait d'apercevoir B. Mascarot, et s'avançait vers lui avec un empressement marqué.
– Comment, c'est vous, cher monsieur, qui êtes là, disait-il, on vous a fait attendre, oh!.. que d'excuses!..
Il y eut un murmure dans l'assemblée, mais si léger, si léger!..
– De grâce, prenez la peine de passer dans mon cabinet, poursuivait Van Klopen; monsieur est avec vous? très bien; passez, messieurs, passez…
Il entraînait, tout en parlant, B. Mascarot et son protégé; il les poussait devant lui.
Il allait se retirer sans une excuse, quand une des clientes bondit jusqu'à lui et le poussa presque de force dans le corridor, tirant la porte après elle.
– Monsieur, disait-elle, au nom du ciel, un mot.
Van Klopen la toisa d'un air ennuyé.
– Qu'y a-t-il encore? demanda-t-il.
– Monsieur, c'est demain l'échéance du billet de 3,000 francs que je vous ai souscrit.
– C'est fort possible.
– Eh bien! je n'ai pas d'argent pour le payer.
– Ni moi non plus.
– Je viens pourtant vous conjurer de me le renouveler, à deux mois, monsieur, à un mois même, aux conditions que vous voudrez…
Le tailleur pour dames haussa les épaules.
– Dans deux moi, fit-il, vous serez encore moins en mesure qu'aujourd'hui. Si le billet n'est pas acquitté demain, on poursuivra…
– Mon Dieu!.. mais alors mon mari saura…
– J'y compte bien, et je sais qu'il paira.
La malheureuse femme était glacée d'effroi.
– Oui, dit-elle, mon mari paiera, mais je suis perdue, moi.
– Je n'y puis rien, j'ai des associés…
– Oh!.. ne me dites pas cela, monsieur, je vous en supplie… sauvez-moi. Mon mari a déjà payé mes dettes trois fois, et il m'a juré… s'il ne s'agissait que de moi!.. Mais j'ai des enfants, mon mari est capable dans sa colère de me les retirer… Par pitié!.. monsieur, mon bon monsieur Van Klopen…
Elle se tordait les mains, elle sanglotait, elle était presque à genoux.
L'illustre couturier restait de glace.
– Quand on est mère de famille, prononça-t-il, on prend une couturière à la journée, il y en a qui bâtissent des robes charmantes.
Elle essaya pourtant encore de le toucher, elle lui avait pris les mains, pour un mot elle les eût portées à ses lèvres.
– Monsieur, si vous saviez… je n'oserai jamais rentrer chez moi… je n'aurai pas le courage d'avouer à mon mari…
Van Klopen eut un ricanement d'un épouvantable cynisme.
– Eh bien! dit-il, si votre mari vous fait peur, adressez-vous à un autre!..
Et se dégageant brutalement, abandonnant la malheureuse dans le couloir, il rentra dans son cabinet où l'attendaient Paul et Mascarot.
Il était vraiment mécontent, l'arbitre des élégances, et la preuve c'est qu'il ferma la porte de son cabinet avec une violence éloignée de son caractère et de ses habitudes. Les véritables puissances sont calmes et sereines.
– Avez-vous entendu, dit-il à Mascarot, cette scène pitoyable? Il m'en arrive comme cela de temps à autre, et ce n'est pas gai.
Il s'interrompit, parce qu'il sentait à la main un léger chatouillement; il l'examina curieusement et l'essuya en disant avec un rire épais:
– Tiens!.. elle m'a pleuré sur la main!..
Paul était franchement révolté.
La première inspiration de son cœur était encore bonne. S'il eût eu trois mille francs, il les eût portés à cette pauvre femme, dont on entendait encore dans le couloir les gémissements étouffés.
– C'est épouvantable!.. fit-il.
L'exclamation sembla scandaliser Van Klopen.
– Ah!.. dit-il, avec un intraduisible cynisme d'expressions, monsieur donne dans les crises de nerfs!.. Si monsieur était à ma place, il saurait promptement ce que cela vaut au juste. C'est mon argent, après tout, et celui de mes associés que je défends. Vous ne savez donc pas que toutes ces farceuses que j'habille sont comme folles de vanité et enragées de toilettes. Père, mère, mari, elles donneraient tout, avec les enfants par-dessus le marché, pour se faire ouvrir un compte. Vous ne pouvez savoir ce dont une femme est capable pour se procurer la robe qui fera crever une rivale de dépit… Ce n'est jamais qu'au moment de régler qu'elles songent à la famille…
– Cependant, vous savez qu'avec celle-ci, vous ne perdrez rien; son mari…
– Ah! oui, les maris, s'écria Van Klopen, qui s'animait à la discussion, parlons-en. Il me font encore mourir de rire, ceux-là. Apporte-t-on des robes? Ils vous reçoivent avec toutes sortes de politesses, car ils aiment les belles étoffes, eux aussi, qui leur font honneur. Quand on présente la facture, c'est une autre paire de manches. Ils roulent des yeux terribles et parlent de vous faire jeter à la porte…
De la meilleure foi du monde, Paul s'imaginait plaider la cause de la pauvre débitrice.
– Les maris sont souvent trompés, objecta-t-il.
– Laissez-moi donc!.. Ils savent; et dans tous les cas, leur métier est de s'informer. Mais non… ils font les ignorants, c'est plus commode. Quand ils ont donné cent louis par mois, ils se croient quittes et regardent défiler à la douzaine des toilettes à faire cabrer des chevaux de fiacre. S'ils ne se disent pas que leurs femmes les achètent à crédit, où pensent-ils donc qu'elles les prennent?.. Mais, non, on s'entend. Madame commence par se faire ouvrir un compte, et Monsieur, après, discute le total et demande des réductions. Je connais ce jeu!..
Le grand couturier paraissait si fort en colère que B. Mascarot jugea son intervention nécessaire.
– Vous avez peut-être été un peu dur, dit-il.
Van Klopen lui jeta un coup d'œil d'intelligence.
– Bah!.. répondit-il, demain je serai payé, je sais bien par qui et comment, et j'aurai une autre commande. Pour agir comme je l'ai fait, j'avais mes raisons…
Ces raisons n'étaient peut-être pas fort honnêtes, car il n'osa les dire tout haut.
Il entraîna l'honorable placeur dans l'embrasure d'une fenêtre, et là, tous deux, ils se mirent à causer très bas, riant abondamment comme au récit d'un bon tour.