Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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Costume d'eaux de Mlle H… de R…
Péplum de Mlle S…
C'est le tailleur lui-même qui a imaginé ce moyen de léguer ces conceptions à la postérité.
Tel qu'il est, ce salon surprit si bien Paul par sa magnificence, que, décontenancé, ébloui, il restait sur le seuil, n'osant avancer, n'apercevant pas de siège où s'asseoir.
Mais B. Mascarot a du sang-froid pour deux.
Saisissant son protégé par le bras, il l'attira près de lui sur un canapé en murmurant à son oreille:
– De la tenue, morbleu! l'héritière est là!
L'entrée de B. Mascarot et de son protégé, dans la «salle des Pas-Perdus» de l'illustre Van Klopen, avait presque fait scandale.
Il est si rare qu'un homme ose pénétrer dans ce sanctuaire des élégances, que toutes les belles dames qui attendaient patiemment le bon plaisir du roi des couturiers furent stupéfaites et comme saisies de la témérité de ces intrus.
L'impression était peut-être augmentée par la surprenante beauté de Paul, cet adolescent aux yeux tremblants, plus timide et plus rougissant qu'une vierge.
Les conversations avaient cessé comme par enchantement, et sous le feu d'une douzaine de paires d'yeux, sentant ses joues brûlantes, Paul perdait contenance, tourmentait son chapeau comme un paysan devant un tribunal, et n'osait lever la tête.
Cette confusion ne pouvait convenir à l'honorable placeur.
Il avait amené son protégé pour voir: il voulait qu'il regardât.
C'est qu'il n'était pas intimidé, lui, par cette imposante assemblée.
Dès en entrant, il avait salué à la ronde avec les grâces surannées d'un mirliflor de 1820, et maintenant, sur son canapé, il semblait aussi à l'aise qu'à son agence, au milieu de ses cordons bleus.
L'imperturbable assurance de B. Mascarot tient, c'est lui qui l'avoue, à son mépris profond de l'humanité et à ses lunettes.
Si on savait au juste quels services peuvent rendre ces verres de couleur derrière lesquels s'abritent et se cachent toutes les impressions, l'univers entier chausserait des lunettes bleues.
Cependant le bon placeur voulut laisser à son protégé quelques minutes pour se remettre et aussi pour s'habituer à l'atmosphère tiède et trop chargée de parfums du salon.
Mais, à la longue, voyant que Paul s'obstinait à rester le nez dans son gilet, légèrement, du coude, il lui poussa le bras.
– C'est donc la première fois, lui dit-il à l'oreille, que vous voyez des femmes en grande toilette? Avez-vous peur?
Paul fit un effort pour se redresser.
– Regardez à droite, murmurait Mascarot, entre le piano et la fenêtre… c'est elle!
Près de la fenêtre, à côté de sa femme de chambre, était assise une toute jeune fille qui paraissait avoir dix-huit ans à peine.
Elle n'était pas aussi jolie que l'avait annoncé l'estimable placeur, mais sa beauté avait quelque chose de vif, d'étrange, d'inquiétant, même pour l'observateur.
Elle était petite, mignonne, frêle en apparence et très brune.
Ses traits manquaient de régularité, mais ses cheveux noirs et lumineux semblaient lancer des gerbes d'étincelles; ses yeux, d'un bleu sombre, avaient d'irrésistibles langueurs. La pourpre de ses lèvres un peu charnues affirmait les ardeurs du sang qui y affluait, aussi sûrement que son front bombé trahissait une opiniâtreté exagérée jusqu'à l'absurde.
Tout, en elle, respirait la passion, ou plutôt elle paraissait être la passion même.
Il fallut à Paul un appel énergique à sa volonté pour prendre sur lui de la regarder.
Cependant, il osa: leurs yeux se rencontrèrent, et tous deux en même temps tressaillirent comme au choc de la même batterie électrique.
Paul demeura immobile fasciné. Quant à la jeune fille, si violente fut son émotion, qu'elle se détourna brusquement, craignant d'être remarquée.
Mais personne ne songeait à observer.
La conversation avait repris son cours, et toutes les clientes du célèbre Van Klopen écoutaient avec une religieuse admiration une jeune dame aux airs évaporés qui décrivait une de ses dernières toilettes de bois.
– C'était renversant, disait-elle, et il n'y a que Klopen pour des créations pareilles. Toutes ces demoiselles à calèches à huit ressorts étaient furieuses. Je tiens du marquis de Croisenois que Jenny Fancy en pleurait de rage. Imaginez trois jupes vertes, de nuances différentes, découpées et étagées…
L'excellent Mascarot ne s'intéressait pas à la description.
Il avait épié et il avait vu.
Le frémissement des deux jeunes gens fit monter un sourire à ses lèvres flétries.
– Eh bien? demanda-t-il à son protégé.
Paul eut quelque peine à étouffer une exclamation d'admiration.
– Adorable! murmura-t-il.
– Et millionnaire!.. insista le placeur.
– Elle n'aurait pas un sou qu'on serait encore fou d'elle.
B. Mascarot toussa et éprouva le besoin de rajuster ses lunettes.
– Maintenant, pensa-t-il, je te tiens, mon garçon! Que ton émotion soit feinte ou réelle, que tu adores la femme ou la dot, peu importe; tu passeras partout où je voudrai.
Sur cette paternelle réflexion, il se pencha de nouveau vers son protégé.
– Voulez-vous savoir son nom? souffla-t-il.
– Oh! dites, je vous en prie.
– Flavie.
Paul était en extase. Il osait maintenant regarder la jeune fille, elle s'était un peu détournée et il pensait, oubliant le jeu des glaces, qu'elle ne pouvait le voir.
La jeune dame ne tarissait toujours pas.
– C'est navrant! disait-elle, ce qui arrive à cette pauvre comtesse de Luxé qui est un ange. Oui, mesdames, elle mettait des tirettes à ses jupes et faisait teindre ses robes. Elle économisait. Quelle duperie! Pendant ce temps, M. de Luxé faisait des folies pour une demoiselle des Bouffes. En apprenant cela, elle a failli mourir de douleur, et moi, j'ai juré que si mon mari est jamais ruiné, ce sera par moi et non par une autre.
Elle s'interrompit.
La porte du fond s'ouvrait avec fracas, et Van Klopen, en personne, apparaissait dans sa gloire.
Il a cinq pieds et demi; il est large plus qu'à proportion; sa face rouge tient registre des petits verres qu'il