Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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– Il paraît, mon garçon, remarqua-t-il, que ton maître, contrairement à ses habitudes, s'est levé avec l'aurore, aujourd'hui.
Non seulement, le domestique, genre anglais, ne sourit point de l'épigramme, mais il parut vivement choqué.
– Monsieur le marquis, prononça-t-il, me donne par an quinze louis en sus de mes gages pour se passer la fantaisie de me tutoyer. Il est le seul à avoir ce droit.
– Ah!.. fit le placeur sur trois tous différents, ah! ah!..
Sa pantomime, en même temps, était des plus expressive.
– Je vous demande un peu, pensa-t-il, où vont se loger la dignité et l'amour-propre! Son maître, si l'idée me prenait de le tutoyer, ne se formaliserait pas, lui!
L'envoyé de M. de Croisenois, son observation faite, revint à sa mission.
– Je pense, reprit-il, que monsieur le marquis dort encore à cette heure. Il a écrit ce billet en rentrant de son cercle.
– Et il y a une réponse?
– Yès, sir.
– En ce cas, attendez.
D'un geste exercé, B. Mascarot fit sauter l'enveloppe et lut:
«Mon cher maître,
«Le bac a des rigueurs… vous devinez le reste, n'est-ce pas? J'ai joué si malheureusement, cette nuit, que j'ai perdu, outre tout mon argent comptant, trois mille francs sur parole. Cette somme doit être chez mon débiteur avant midi. Mon honneur l'exige…»
L'honorable placeur ne se gêna pas pour hausser les épaules.
Puis, entre haut et bas, de façon que le domestique, qu'il épiait du coin de l'œil, pût, selon sa conscience, l'entendre ou non, il murmura:
– Son honneur!.. Ma parole, c'est à mourir de rire; son honneur!..
Pas un muscle du visage si bien rasé du serviteur si formaliste ne bougea.
Il restait raide autant qu'un soldat prussien à la parade, semblant ne rien voir, ne rien entendre.
B. Mascarot avait reprit sa lecture:
«…Ai-je tort de compter sur vous pour cette bagatelle? Je pense que non. Je suis même certain que vous m'enverrez cent cinquante ou deux cents louis de plus, car je ne puis rester sans un sou.
«Et pour la grande affaire, quelles nouvelles? C'est les pieds dans le feu que j'attends votre décision.
– Et voilllà!.. grommela le placeur, cinq mille francs, là, hic et nunc! Puie, bon Mascarot, tire de l'argent de ta caisse. On n'est pas plus régence! Méchant noble, va! Si je n'avais pas irrémissiblement besoin du beau nom que t'ont légué tes ancêtres et que tu traînes dans le ruisseau, tu pourrais les chercher tes cinq mille francs!
Le malheur est que Croisenois était une des pièces importantes de la grosse partie de l'aventureux placeur.
Lentement et visiblement à regret, il sortit de la caisse où, la veille, il puisait pour Hortebize, cinq billets de mille francs qu'il tendit à l'envoyé du marquis.
– Monsieur désire-t-il un reçu? demanda le domestique.
– Inutile, la lettre m'en tiendra lieu. Cependant, attendez.
Mascarot, ce ponte prudent et assidu de la banque du hasard, cherchait dans son gousset une pièce de vingt francs.
L'ayant trouvée, il la poussa, de l'air le plus engageant, sur la tablette de son bureau, en disant:
– Prenez ceci, mon ami, pour votre course.
Mais l'autre, au lieu d'avancer la main, recula.
– Monsieur m'excusera si je refuse, dit-il nettement. Quand j'entre dans une maison, j'exige des gages assez élevés pour n'avoir aucunement besoin de pourboires.
Sur cette stoïque réponse, il salua, sérieux et grave comme un quaker, et se retira à pas comptés.
Ma foi! le placeur était désorienté.
Vingt années d'expérience ne lui fournissaient pas le pendant d'une aussi invraisemblable aventure.
– C'est à n'y pas croire, murmurait-il. Où diable Croisenois va-t-il recruter ses gens? Serait-il, par impossible, bien plus fort que je ne l'ai supposé jusqu'ici?
Une inquiétude inexplicable, vague et confuse comme un pressentiment, troublait son assurance habituelle.
– Ou plutôt, continua-t-il, ce gaillard si sûr ne serait-il pas un faux domestique? J'ai tant amassé d'ennemis en ma vie, et de toutes sortes, qu'il doivent maintenant former comme une avalanche. Si habilement que je tienne mes cartes, on peut avoir vu dans mon jeu.
Cette seule pensée le fit frissonner.
Il est de ces parties si périlleuses qu'à l'instant décisif tout devient sujet de méfiance et de crainte.
B. Mascarot en était à ce point d'avoir peur de son ombre.
C'est surtout quand on n'est plus séparé du but que par la longueur du bras que l'anxiété est terrible.
– Non, répondit-il, je suis un fou, et je me mets martel en tête pour des soupçons chimériques. S'il se trouvait un homme habile à ce point de m'avoir pénétré, patient jusque-là d'endosser la livrée de Croisenois pour me surveiller de plus près, cet homme ne serait pas assez simple pour se créer cette originalité qui me l'a fait remarquer.
Il se disait cela, mais il se raisonnait aussi vainement qu'un poltron siffle dans l'obscurité pour dissiper ses terreurs.
Entre tous ses expédients, parmi ses moyens d'investigations, il devait bien s'en trouver un qui lui permit de fouiller dans le passé de ce domestique si susceptible, et il cherchait.
Il se creusait la tête, lorsque Beaumarchef parut de nouveau tout effaré.
– Encore toi! dit durement le placeur; qui t'a appelé? Je ne saurais donc rester tranquille une minute aujourd'hui?
– Patron, c'est que…
– Va-t'en.
Mais le docile sous-off ne recula pas d'une semelle.
– C'est le petit qui est là, insista-t-il.
– Paul?
– Lui-même, patron.
– Comment, à cette heure!.. Je ne lui avais donné rendez-vous que pour midi. Lui serait-il survenu quelque aventure?
Il s'interrompit.
La porte que Beaumarchef avait laissé entrebâillée s'ouvrit, livrant passage à Paul Violaine.
En effet, il avait dû lui arriver quelque chose d'extraordinaire.