Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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– Non. Il faudrait simplement m'avoir le nom et l'adresse de ce grand brun. Il ressemble tellement, d'après ce que vous me dites, à un artiste qui me doit de l'argent…
– Suffit, vous pouvez compter sur moi.
Elle aspira une large prise et ajouta:
– Aujourd'hui, il faut que je file pour mon déjeuner. Demain ou après-demain, vous aurez votre adresse. Au revoir!..
Elle sortit, et la porte n'était pas refermée sur elle que B. Mascarot ébranla son bureau d'un formidable coup de poing.
– Hortebize, s'écria-t-il, est incomparable pour flairer un danger. Heureusement, j'ai le moyen de supprimer cette drôlesse et le jeune crétin qui voudrait se ruiner pour elle.
Comme toujours, quand le verbe supprimer monte aux lèvres de son patron, l'ex-sous-off tomba en garde: une, deux!.. Il ne connaît que cela, lui.
– Dieu! que tu es ridicule avec les gestes, interrompit le doux placeur en haussant les épaules. Va, j'ai mieux que cela. Rose avoue dix-neuf ans, mais elle ment, elle en a bel et bien vingt et un passés. Donc elle est majeure. Le jeune idiot, lui, est mineur encore. De sorte que si le papa Gandelu avait un peu de nerf, eh! eh!.. ce serait drôle et moral, tout à la fois; l'article 354 est élastique.
– Vous dites, patron? interrogea Beaumarchef, qui ne comprenait pas.
– Je dis qu'il me faut, avant quarante-huit heures, des détails précis sur le caractère de M. Gaudelu, le père. Je veux savoir aussi quels sont ses rapports avec son fils.
– Bien, je vais mettre La Candèle en campagne.
– De plus, puisque le jeune M. Gaston cherche de l'argent partout, il faut lui faire connaître notre honorable ami Verminet, le directeur de la Société d'escompte mutuel.
– Mais c'est l'affaire de M. Tantaine, ça, patron.
B. Mascarot était trop préoccupé pour entendre.
– Quant à cet autre, murmurait-il, répondant à ses craintes secrètes, quant à ce grand garçon brun, cet artiste, qui me paraît de beaucoup supérieur aux autres comme intelligence, malheur à lui si je le trouve en travers de mon chemin. Quand on me gêne, moi…
Un geste effroyablement significatif compléta sa pensée.
Puis, après un silence, il ajouta:
– Retourne à ta besogne, Beaumar, j'entends du monde.
L'ancien sous-off ne bougea pas, si formel que fut le congé.
– Excusez-moi, patron, dit-il, mais La Candèle est de l'autre côté, qui reçoit. J'ai à vous faire mon rapport.
– C'est juste. Prends un siège et parle.
Cette faveur de parler assis, qui ne lui est pas souvent octroyée, sembla ravir Beaumarchef.
– Hier, commença-t-il, rien de nouveau. Ce matin, je dormais encore, quand on est venu tambouriner à ma porte. Je me lève, j'ouvre, c'était Toto-Chupin.
– Il n'a pas lâché Caroline Schimel, au moins?
– Pas d'une minute, patron. Même, il a réussi à lier conversation avec elle, et ils ont déjà pris un café ensemble.
– Allons, ce n'est pas trop mal.
– Oh! il est assez adroit, ce vaurien de Toto, et, s'il était un peu plus honnête… Enfin, il prétend que si cette fille boit, c'est pour s'étourdir, parce qu'elle se croit toujours poursuivie par des gens qui lui ont fait des menaces horribles. Elle a tellement peur d'être assassinée, qu'elle n'ose loger seule. Elle s'est mise en pension chez des ouvriers honnêtes qui la couchent et la nourrissent, et elle leur fait du bien, car elle a de l'argent…
L'honorable placeur semblait fort contrarié.
– C'est fort gênant, cela, murmura-t-il, on ne peut pas aller lui rendre visite incognito, à cette fille… Cependant, où demeurent les ouvriers qui l'ont recueillie?
– Tout en haut de Montmartre, bien plus haut que le Château-Rouge, rue Mercadet.
– C'est bien, Tantaine avisera. Surtout que Toto ne laisse pas cette folle lui glisser entre les doigts.
– Il n'y a pas de danger, et même il m'a dit qu'il allait s'informer de ses habitudes, de ses relations et de la source de son argent.
L'ex-sous-off s'arrêta tiraillant terriblement ses longues moustaches cirées.
Ce geste prouve si évidemment qu'une idée lui trotte par la cervelle, que son patron lui demanda:
– Qu'y a-t-il encore?
– Il y a, patron, que, si j'osais, je vous dirais de vous défier de Toto-Chupin. J'ai découvert que le garnement chasse pour son compte. Il nous vole et il vend notre marchandise au rabais.
– Rêves-tu?
– Pas du tout. J'ai tiré ce renseignement d'un grand gaillard de mauvaise mine qui est venu demander Chupin en se disant son ami.
Les hommes forts ont toujours été prompts à prendre un parti.
– C'est bien, prononça le placeur. Je vérifierai le fait, et s'il est vrai, nous tendrons a maître Chupin un joli traquenard qui le conduira en correctionnelle.
Cette fois, sur un signe, Beaumarchef se retira, mais il reparut presque aussitôt.
– Patron, dit-il, c'est un domestique de M. Croisenois avec une lettre…
B. Mascarot ne prit pas la peine de dissimuler sa mauvaise humeur.
– Le marquis est diablement pressé, fit-il… N'importe, amène-moi ce domestique.
Ce nouveau venu sentait d'une lieue sa grande maison.
Irréprochable était sa tenue.
Démarche, maintien, port de tête, tout disait en quelle haute estime il se tenait.
Évidemment il visait et outrait le genre anglais.
Un faux col, cruellement empesé, lui sciait les oreilles. Il avait si bien serré sa cravate, que sa figure, écorchée par le rasoir, en était toute congestionnée.
C'était, à coup sûr, un tailleur londonien qui avait, à coups de hache, taillé dans du bois ses vêtement raides.
Il paraissait de bois lui-même et semblait se mouvoir sous l'impulsion de quelque mécanisme habilement dissimulé sous son gilet rouge.
Remuait-il, on était tout surpris de n'entendre pas grincer un rouage.
– Voici, dit-il en tendant une lettre à B. Mascarot, ce que monsieur le marquis m'a chargé de remettre à monsieur.
Tout en prenant le pli, le digne placeur, par dessus ses lunettes, examinait et étudiait ce serviteur modèle.