Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 36
– Pourquoi? demanda-t-il, tout surpris.
– Parce que, mon ami, à moins d'événements graves, ma visite d'aujourd'hui sera la dernière.
Cette réponse foudroya André.
– La dernière!.. balbutia-t-il, que vous ai-je fait, ô mon Dieu! pour que vous me punissiez si cruellement?
– Je ne vous punis pas, André, répondit Sabine. Vous avez voulu mon portrait, j'ai cédé à vos instances, je ne m'en repens pas. Écoutons maintenant la voix de la raison. Ne comprenez-vous donc pas, malheureux, que je ne puis continuer à jouer mon honneur de jeune fille qui est le vôtre? Avez-vous songé à ce que dirait le monde, s'il venait à savoir que je viens chez vous, que j'y passe des après-midi?.. Répondez.
Il ne répondit pas, il se raidissait contre le coup affreux.
– D'ailleurs, reprit Mlle de Mussidan, à quoi nous avance une toile qu'il faut cacher comme une mauvaise action? Oubliez-vous que de votre succès rapide dépend notre avenir, notre… mariage?
– Oh! non, non, je n'oublie pas.
– Poursuivez donc le succès. Ce n'est pas tout que je dise: «Je n'ai pas fait un choix vulgaire,» il faut que vous le prouviez par vos œuvres.
– Je le prouverai.
– Je le crois, ô mon unique ami! j'en suis sûre. Mais rappelez-vous nos chères conventions d'il y a un an. Je vous ai dit: «Devenez célèbre, et alors venez hardiment demander ma main au comte de Mussidan, mon père. S'il vous la refuse, si mes prières ne le touchent pas, eh bien! en plein midi, je sortirai de l'hôtel à votre bras. Et après un tel éclat…
André était convaincu.
– Vous avez raison! s'écria-t-il. Fou je serais si je sacrifiais tout un avenir de félicités pour un bonheur de quelques jours, si grand qu'il puisse être. Vous entendre d'ailleurs, c'est obéir.
Mlle de Mussidan s'était assise dans le grand fauteuil, André prit place près d'elle, sur un petit escabeau de chêne sculpté.
– Nous voici donc d'accord, fit-elle, avec un bon sourire qui versait des flots d'espérance dans le cœur de son ami, profitons-en un peu pour causer de nos intérêts que nous négligeons, ce me semble, terriblement.
Leurs intérêts!.. c'était le succès d'André.
Tout ce que tentait le jeune artiste, tout ce qui lui était proposé, il le disait à son amie, et gravement ils tenaient conseil.
– Eh bien!.. commença André, je suis cruellement embarrassé. Avant-hier, le prince Crescenzi, le célèbre amateur, est venu visiter mon atelier. Une de mes esquisses lui a plu, il m'a commandé un tableau qu'il me paiera six mille francs.
– Mais c'est un coup de fortune, cela?
– Oui, malheureusement, il le veut tout de suite. D'un autre côté, Jean Lantier, surchargé de travail, m'offre de me charger de toute l'ornementation d'une maison immense que fait bâtir aux Champs-Élysées un riche entrepreneur, M. Gandelu, je prendrais des ouvriers, et je pourrais gagner là sept ou huit mille francs.
– Où est l'embarras?
– Voilà. J'ai vu déjà deux fois M. Gandelu, il a choisi des cartons, et il veut que je me mette à sa bâtisse la semaine prochaine. Je ne puis accepter les deux choses, il faut choisir.
Sabine se recueillit un instant.
– Moi, dit-elle, je choisirais le tableau.
– Eh!.. moi aussi, seulement…
Mlle de Mussidan connaissait assez les affaires de son ami pour deviner les causes de son hésitation.
– Ah! murmura-t-elle, que ne m'aimez-vous assez pour vous rappeler que je suis riche? Nos projets n'iraient-ils pas plus vite si vous consentiez…
André était devenu blême.
– Voulez-vous donc, s'écria-t-il, empoisonner la pensée de notre amour?
Elle soupira, mais elle n'insista pas.
– Choisissons donc, fit-elle, la bâtisse de M. Gandelu.
Cinq heures sonnaient au vieux coucou de l'atelier. Sabine se leva.
– Avant de me retirer, fit-elle, je dois, mon ami, vous instruire d'une contrariété qui me menace. Il est question pour moi d'un mariage avec M. de Breulh-Faverlay.
– Ce millionnaire qui fait courir?
– Précisément. Résister aux désirs de mon père amènerait une explication, et je n'en veux pas. J'ai donc décidé que j'avouerais la vérité à M. de Breulh. Je le connais, c'est un honnête homme; il se retirera. Que pensez-vous de mon idée?
– Hélas! fit André désolé, je pense que si celui-là se retire, un autre se présentera.
– C'est probable… et nous le congédierons pareillement. Ne dois-je pas avoir ma part de difficultés?
Mais ces difficultés épouvantaient le malheureux artiste.
– Quelle vie sera la vôtre, murmura-t-il, quand il vous faudra résister aux obsessions de votre famille!
Elle le regarda fièrement et répondit:
– Est-ce que je doute de vous, André?
Mlle de Mussidan était prête. André voulait aller lui chercher une voiture; elle refusa, disant que Modeste et elle étaient bonnes marcheuses, et que certainement elles trouveraient un fiacre en route.
Comme à son entrée, elle abandonna sa main à André, et enfin elle sortit en disant:
– Je verrai M. de Breulh demain. A demain une lettre.
André était seul. Lorsque Mlle de Mussidan s'était éloignée, il lui avait semblé sentir la vie se retirer de lui.
Mais son abattement ne dura pas. Une triomphante inspiration venait de traverser son cerveau.
– Sabine, se dit-il, est partie à pied, il ne dépend donc que de moi de la voir quelques instants encore. Je puis, sans la compromettre, la suivre de loin…
Dix secondes plus tard, il était dans la rue.
Il faisait nuit, et cependant au bas de la pente de la rue de la Tour-d'Auvergne, il reconnut, il devina plutôt, Sabine et sa femme de chambre.
– C'est encore du bonheur! pensa-t-il, en s'élançant sur leurs traces.
Elles allaient rapidement, mais il eut vite amoindri la distance, et c'est à dix pas en arrière qu'il suivit, comme elles la rue de Laval, puis la rue de Douai.
Il allait, et il admirait la démarche de Sabine, sa distinction, la façon charmante dont elle détournait sa robe au lieu de la relever.
– Et dire, songeait-il, qu'un jour viendra peut-être