Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 32

Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

Скачать книгу

de soi, revint le premier.

      – Je vous demande pardon, dit-il, je suis dans mon tort de laisser traîner des objets qui devraient être précieusement serrés.

      Paul s'inclinait déjà en homme qui accepte une explication, quand le peintre ajouta:

      – Cette confiance vient de l'habitude où je suis de ne recevoir chez moi que des amis. Il a fallu aujourd'hui une de ces exceptions imprévues…

      D'un geste, Paul interrompit l'artiste.

      – Croyez, monsieur, prononça-t-il d'un ton qu'il s'efforçait de rendre blessant, croyez que, sans l'impérieux devoir que vous savez, je n'aurais pas pris la liberté de pénétrer chez vous.

      Il dit, pirouetta, sur ses talons et sortit en tirant violemment la porte.

      – Eh!.. va-t-en au diable, sot indiscret, murmura André; aussi bien j'allais être forcé de te mettre dehors.

      Quant à Paul, c'est le cœur gros de colère qu'il quittait l'atelier du peintre.

      Venu avec l'honnête projet d'humilier de l'étalage de sa prospérité suspecte un obligeant camarade, il se retirait écrasé.

      Se comparant à ce héros de la Volonté, si grand et si modeste, il se sentait petit, mesquin, ridicule, presque odieux; et il le haïssait pour toutes les nobles qualités qu'il était contraint de lui reconnaître; oui, il le haïssait à la mort.

      – C'est égal, se disait-il, je n'en aurai pas le démenti, je la verrai, cette invisible inconnue.

      En effet, sans réfléchir à la bassesse de sa conduite, il traversa la rue et alla se mettre en observation devant la maison d'André.

      Il grelottait, mais les piètres esprits ont pour la satisfaction de leurs puériles rancunes une ténacité qu'ils ne sauraient appliquer aux choses sérieuses.

      Il attendait bien depuis une bonne demi-heure, quand enfin un fiacre s'arrêta devant le nº… Deux femmes en descendirent, l'une très jeune, dont la distinction sautait aux yeux; l'autre vêtue comme les suivantes de bonne maison.

      Sans vergogne, Paul s'approcha, et, en dépit d'un voile assez épais, il reconnut parfaitement la jeune femme de la photographie.

      – Et bien! fit-il, franchement, j'aime mieux Rose, et la preuve c'est que je vais la rejoindre de ce pas. Nous allons payer la Loupias et quitter pour toujours cet abominable hôtel du Pérou.

      VIII

      Le protégé de B. Mascarot n'avait pas été le seul à épier la visiteuse du jeune peintre.

      Au bruit de la voiture, Mme Poileveu, la plus discrète des concierges, était venue se planter sur le seuil de la porte, les yeux obstinément attachés sur la jeune dame.

      Lorsque les deux femmes entrèrent, au lieu de s'effacer pour leur livrer passage, Mme Poileveu sortit. Elle avait son idée.

      – Mauvais temps, n'est-ce pas? dit-elle au cocher. Il ne fait pas bon sur le siège, l'hiver.

      – Ne m'en parlez pas, répondit l'homme, j'ai les pieds morts.

      – Vos deux pratiques viennent peut-être de loin?

      – Du diable! Je les ai prises tout en haut des Champs-Élysées, près de l'avenue de Matignon.

      – Une fameuse trotte!

      – Oui, et quatre sous de pourboire. Quel malheur!.. Tenez, ne me parlez pas des femmes honnêtes.

      – Oh!.. honnêtes!..

      – Ça, je le garantis. Les autres donnent plus, je m'y connais.

      Et en même temps, satisfait d'avoir fait preuve de pénétration, il enveloppa son cheval d'un coup de fouet inoffensif et s'éloigna.

      Mme Poileveu, elle, regagnait sa loge à moitié contente.

      – Je sais toujours, murmurait-elle, le quartier de la princesse. C'est bien le cadet de mes soucis; mais enfin!.. la prochaine fois j'offrirai quelque chose à la femme de chambre, un rien, du doux, et elle me dira tout…

      C'est un chimérique espoir que caressait là Mme Poileveu.

      Cette femme de chambre, absolument dévouée à sa maîtresse, était indignée des regards obstinés qui chaque fois lui étaient adressés et, tout en gravissant l'escalier, elle se plaignait amèrement de ce qu'elle appelait une horrible insolence.

      Dans sa colère, elle ne parlait rien moins que de raconter ces avanies à André, qui ne manquerait pas de rendre cette mégère plus respectueuse.

      Mais la seule idée d'une plainte effraya si fort la jeune dame qu'elle s'arrêta, se retournant vers sa femme de chambre:

      – Je te défends, Modeste, fit-elle bien bas, je te défends expressément de dire un seul mot de cela à André.

      – Mais, mademoiselle…

      – Chut!.. Veux-tu donc me faire de la peine? Allons, viens, il m'attend.

      Oh! oui, elle était attendu avec ces trances délicieuses, ces anxiétés divines de la vingtième année.

      Depuis le départ de Paul, André ne restait plus en place: il lui semblait qu'il eût fait tenir l'éternité dans chaque seconde qui s'écoulait. Il avait laissé la porte de son atelier ouverte, et à chaque moment, croyant distinguer quelque bruit, il courait à l'escalier.

      Enfin, il l'entendit réellement, ce bruit harmonieux comme une musique céleste, le froissement de la robe de la femme aimée.

      Penché sur la rampe, il l'aperçut, c'était bien elle, oui, elle arrivait au second étage, au troisième… enfin elle entrait chez lui, dans son atelier dont il refermait la porte.

      – Bonjour, André, dit-elle, en lui tendant la main, vous voyez que je suis exacte.

      Pâle d'émotion, plus tremblant que la feuille, André prit cette main qui lui tait tendue et l'effleura respectueusement de ses lèvres en balbutiant:

      – Mademoiselle Sabine… Oh! vous êtes bien bonne… Merci!..

      C'était bien Sabine, en effet, l'unique héritière de l'antique et orgueilleuse maison de Mussidan, qui était là, chez André, l'enfant trouvé de l'hôpital de Vendôme.

      C'était Sabine, une jeune fille naturellement réservée et timide, élevée dans le respect des conventions sociales, qui risquait ainsi ce qu'elle avait de plus précieux au monde, son honneur, sa réputation.

      C'était elle qui, bravant les préjugés de son éducation et de sa race, osait franchir l'effrayant abîme qui séparait le salon de la rue de Matignon de l'atelier de la rue de la Tour-d'Auvergne.

      Il est de ces témérités que la raison admet à peine, mais que le cœur se charge d'expliquer aisément.

      Depuis près de deux ans Sabine et André s'aimaient.

      C'est au château de Mussidan, au fond du Poitou, qu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois, réunis par un de ces concours de petits

Скачать книгу