Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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Mais où aller par le temps qu'il faisait. Et il n'avait pas d'amis à désoler de son succès.
En cherchant bien, pourtant, il se souvint qu'aux jours de ses premières misères à Paris, il avait emprunté quelqu'argent, oh!.. bien peu, vingt francs, à un jeune homme de son âge, nommé André, qui ne devait guère être plus riche que lui.
Il lui restait plus de la moitié du billet du vieux clerc d'huissier, une quinzaine de louis environ qui frétillaient dans sa poche, il se sentait des billets de mille francs sur la planche, n'était-ce pas le cas de s'acquitter, en même temps qu'une occasion superbe d'afficher une immense supériorité?
Le malheur est que ce jeune homme demeurait fort loin, tout en haut de la rue de La Tour-d'Auvergne.
La distance effrayait un peu Paul, et il hésitait, quand une voiture vide vint à passer. Il y monta, jetant l'adresse au cocher, du ton d'un homme qui n'est pas habitué à aller à pied.
Le fiacre se mit en marche, et Paul se prit à songer à ce généreux créancier chez lequel il se rendait. André n'était pas un ami; à peine était-ce un camarade.
Paul avait fait sa connaissance dans un petit établissement du boulevard de Clichy, le café de l'Épinette, où il allait souvent avec Rose, lorsque, nouveau venu à Paris, il habitait Montmartre.
Le café de l'Épinette n'est guère fréquenté que par des artistes: peintres, musiciens, comédiens, journalistes, tous grands hommes en herbe, qui discutent furieusement en buvant d'énormes quantités de bière.
Quant au nom de l'établissement, il lui vient d'un piano installé dans une des salles du haut, instrument infortuné, soumis aux plus sévères épreuves, rarement d'accord, et dont on entend les gémissements du milieu de la chaussée.
André, d'après ce que savait Paul, qui ne lui connaissait même pas d'autre nom et qui jamais n'avait été chez lui, André était artiste et avait plusieurs cordes à son arc.
D'abord, il était sculpteur ornemaniste, c'est-à-dire qu'il exécutait, à la journée ou à la tache, ces motifs si souvent ridicules dont les propriétaires ont bien le droit d'orner leurs bâtisses, mais qu'ils ont le tort de faire payer à leurs locataires.
C'est un métier assez pénible que celui de sculpteur-ornemaniste.
Le plus souvent, il faut travailler à des hauteurs vertigineuses, sur des échafaudages que fait osciller le plus léger mouvement; il faut se confier à des planches étroites ou se risquer au sommet d'échelles branlantes. De plus, à de rares exceptions, on est exposé à toutes les intempéries, gelé en hiver, grillé en été, sans autre abri contre la pluie qu'une toile déchirée. Il est vrai que si l'état est dur, il est lucratif.
Donc, André devait vivre assez bien de ses figures et de ses guirlandes.
Seulement, pendant bien des années, ce qui lui était venu par le maillet et le ciseau s'en était allé par les pinceaux et par les couleurs.
Car il était peintre aussi, mais alors pour son plaisir, pour la satisfaction de son ambition, pour obéir à une vocation irrésistible.
Il avait beaucoup étudié, beaucoup travaillé chez plusieurs maîtres, puis enfin, un beau jour, se sentant assez fort pour marcher seul, il avait pris un atelier.
De ce moment la peinture ne lui coûta plus rien. Deux fois déjà il avait exposé et les marchands commençaient à apprendre le chemin de sa maison.
On tenait André en haute estime à l'Épinette. On disait qu'il avait un talent très réel, une originalité saisissante et que certainement il arriverait, étant, de plus, un forcené «bûcheur.»
Paul ne s'était pas trouvé vingt fois à la même table que lui, lorsqu'un soir, comme ils se retiraient ensemble, pressé par la misère, il lui avait emprunté vingt francs, promettant de les lui rendre le lendemain.
Mais le lendemain, Paul et Rose s'étaient trouvés plus pauvres que la veille, leurs affaires avaient été de mal en pis, puis ils avaient déménagé, ils étaient allés s'établir de l'autre côté de l'eau… Bref, il y avait huit mois que Paul n'avait revu André.
Le fiacre, en ce moment, s'arrêtait rue de La Tour-d'Auvergne, devant le Nº…
Paul sauta sur le trottoir, jeta deux francs au cocher et s'engagea dans l'allée très large et très bien tenue de la maison.
Au fond de l'allée, une vieille femme grasse, fraîche, proprette, avec un bonnet à papillons, bien blanc, polissait les poignées de cuivre de la porte de la cour.
Ce ne pouvait être que la concierge.
– Monsieur André? demanda Paul.
– Il est chez lui, monsieur, répondit la vieille femme avec une volubilité extraordinaire, et même, sans manquer à la discrétion qui distingue tout concierge qui se respecte, je puis dire que c'est un miracle. Toujours dehors, M. André! Ah! c'est que, voyez-vous, il n'a pas son pareil comme travailleur.
– Mais, madame!..
– Et rangé donc qu'il est, continuait la vieille femme, et économe! Je ne lui connais pas un son de dettes. Jamais je ne l'ai vu gris qu'une fois. Je dirais même: et pas de connaissance!.. n'était une jeune dame qui, depuis un mois… J'ai même eu assez de mal à la voir, rapport à son voile. Mais cela ne me regarde pas, n'est-il pas vrai? Moi, je la trouve très bien, elle a toujours une femme de chambre avec elle, et certainement quelque jour…
– Morbleu! interrompit Paul impatienté, m'indiquerez-vous enfin l'atelier de M. André?
Cette violente interruption sembla choquer affreusement la concierge.
– Quatrième… porte à droite! répondit-elle d'un ton sec.
Et pendant que Paul montait lestement elle grommelait:
– Vilain mal élevé! couper la parole à une femme d'âge!.. Mais laisse faire, mon joli garçon, si jamais tu te représentes, je te reconnaîtrai, et tu ne trouveras pas souvent M. André chez lui.
Paul était déjà au quatrième étage, – le dernier.
Au milieu de la porte de droite, une carte de visite était clouée. Paul s'approcha et lut: André. Il ne risquait pas de se tromper.
Comme il n'apercevait pas de sonnette, il frappa, prêtant ensuite l'oreille, comme on fait toujours, machinalement, en pareil cas.
Aussitôt il entendit un piétinement, puis le bruit d'un meuble qu'on roulait, puis le grincement d'anneaux de cuivre glissant sur une tringle de fer.
Enfin, une voix jeune et bien timbrée cria:
– Entrez!
Le protégé de B. Mascarot ouvrit et entra.
Il se trouvait dans un atelier éclairé d'en haut par un large vitrage, assez vaste, modeste, mais d'une propreté poussée jusqu'à la minutie.
Des esquisses, des dessins, des tableaux inachevés garnissaient entièrement les murs. A droite se trouvait un divan très bas, recouvert d'un tapis tunisien. Au fond, au-dessus de la cheminée, était une glace