Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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style="font-size:15px;">      Et posant son candélabre sur la table, il sortit précipitamment.

      André était émerveillé. Il avait bien ouï parler de ces jeunes messieurs qui font les délices des courses de Vincennes, mais il n'en avait approché aucun.

      Son air stupéfait devait flatter Rose.

      – Comme vous voyez, fit-elle, j'ai quitté Paul. D'abord, il m'ennuyait, puis il n'avait pas seulement de quoi m'acheter du pain.

      – Lui!.. Plaisantez-vous? Aujourd'hui même il est venu chez moi et il m'a dit qu'il gagnait douze mille francs par an.

      – Dites douze mille mensonges. A moins que… Sait-on ce dont est capable un garçon qui accepte des billets de cinq cents francs de gens qu'il ne connaît pas…

      Elle se tut, mais en faisant signe qu'elle en avait encore long à dire.

      Le jeune Gandelu introduisait et présentait ses amis.

      – Mes enfants, disait il, tout est de chez Potel. Nous allons rire un peu, et après, vous savez… le petit bac de santé.

      Les invités valaient l'hôte, et André commençait à se féliciter d'être venu, quand un domestique, en cravate blanche ouvrit les portes du salon et cria:

      – Madame la vicomtesse est servie!!!

      X

      Quand on demande à B. Mascarot ce qu'il faut pour arriver, invariablement il répond:

      – De l'activité, encore de l'activité, toujours de l'activité!..

      Mais il a sur le commun des hommes à principes, une immense supériorité qui constitue sa force.

      Les maximes qu'il professe, il les met en pratique.

      C'est pourquoi, le lendemain de son expédition à l'hôtel de Mussidan, dès sept heures et demie du matin, il était à son bureau et travaillait.

      Bien que, par suite d'un brouillard assez épais, il fît à peine jour, les clients commençaient à emplir la première salle de l'agence de placement.

      Cette clientèle matineuse inquiète peu l'honorable placeur.

      Elle se compose surtout de servantes de crêmeries ou de cuisinières qui, nourrissant à forfait les employés des grands magasins, ont avantage à s'approvisionner aux Halles centrales.

      Ces pratiques, en général, ne savent rien de ce qui se passe dans les maisons où on les emploie, ou ce qui s'y fait n'offre aucun intérêt.

      B. Mascarot les abandonne donc absolument à Beaumarchef, et ne se dérange que s'il survient quelque maître d'hôtel, ou encore un cuisinier de grande maison ce qui arrive parfois.

      L'honorable placeur ne s'inquiétait donc pas plus du bruit de la salle voisine, qu'un grand personnage du tumulte des solliciteurs encombrant ses antichambres. Il mettait toute son attention à déchiffrer, à annoter et à classer dans un certain ordre ces petits carrés de papier qui avaient si fort intrigué Paul.

      Et telle était sa préoccupation que, pareil à un vase qui déborde, il laissait échapper le trop plein de son cerveau en un monologue bizarre.

      – Quelle entreprise! marmottait-il, mais aussi, quel résultat!.. Je suis seul, cependant, tout seul, pour porter le faix de cette tâche énorme. Mon dernier mot, personne le sait. Seul, je tiens en mes mains puissantes le bout de tous les fils que depuis vingt ans, avec la patience de l'araignée lissant sa toile, j'attache à mes pantins. Que je fasse un mouvement, tout remue. Qui croirait cela, à me voir? Quand je passe rue Montorgueil, on dit: «C'est Mascarot, placeur pour les deux sexes et autres.» Et on rit, et je laisse rire. Il n'est de puissances solides que les puissances ignorées. Celles qu'on connaît, on les attaque et on les démolit. Personne ne me connaît, moi!

      Une fiche plus importante que les autres passait sous ses yeux.

      Rapidement, il traça en marge quelques lignes, et, après un silence, il reprit:

      – Je puis échouer, c'est incontestable. Il peut se trouver un hardi matin qui rompe une maille de mon filet, les timides s'évaderont par la déchirure, et alors… Cet imbécile de comte de Mussidan ne me demandait-il pas si je connais mon code! Oui, je l'ai étudié, mon code pénal, et je sais que, livre 3, titre II, se trouve un certain article 400, qui semble avoir été rédigé spécialement en vue de mes opérations. Travaux forcés à temps, s'il vous plaît… sans compter que si un magistrat madré me joint avec l'article 305, il s'agit des travaux forcés à perpétuité!..

      Sur ces mots, qu'il prononça lentement, comme pour en bien mesurer la portée, un frisson courut le long de son échine; mais ce fut qu'un éclair, car, avec un triomphant sourire, il poursuivit:

      – Oui… mais pour envoyer B. Mascarot respirer l'air de Toulon, il faut pincer B. Mascarot, et ce n'est pas précisément l'enfance de l'art. Vienne une alerte sérieuse, et… bonsoir, plus de Mascarot, il disparaît, évanoui, fondu, évaporé!.. Peut-on remonter à ces timides joueurs qui sont mes associés. Catenac, l'avare, et Hortebize, l'épicurien? Non, je les ai placés hors de toute atteinte. Inquiéterait-on Croisenois? Jamais. Et il périrait plutôt que de parler. Au fond de tout, on trouverait Beaumarchef, La Caudèle, Toto-Chupin et deux ou trois autres pauvres diables. La belle prise! Ils ne diraient rien, ceux-là, pour cent raisons, dont la première est qu'ils ne savent rien.

      Ces raisonnements lui semblaient si péremptoires, qu'il s'oublia jusqu'à rire tout haut.

      Puis, d'un geste fier rajustant ses lunettes, il ajouta:

      – J'irai droit à mon but, comme un boulet de canon. Ce que je veux, sera. Par Croisenois, j'enlèverai d'un coup quatre millions… j'ai fait mon compte. Paul épousera Flavie… je l'ai juré, et après, pour que Flavie soit heureuse et enviée, elle sera duchesse à trois cent mille livres de rentes…

      Ses fiches étaient en ordre.

      Il retira d'un tiroir secret de son bureau un petit registre qui ressemblait à un répertoire, avec son alphabet collé le long de la tranche.

      Il l'ouvrit, ajouta quelques noms à ceux qui s'y trouvaient déjà et le ressera en disant d'un ton de menace:

      – Vous êtes tous là, mes bons amis, tous, et vous ne vous en doutez guère. Vous êtes tous riches, vous êtes heureux et honorés, vous vous croyez libres… Allons donc! Il est un homme à qui vous appartenez, âme, corps et biens, et cet homme qui vous tient ainsi, c'est B. Mascarot, le placeur de la rue Montorgueil. Vous êtes bien fiers tous, et pourtant, quand il le voudra, vous serez à ses pieds, vous disputant l'honneur de dénouer ses souliers. Or, il va vouloir, mes petits amis, ce bon papa Mascarot, il trouve qu'il a travaillé assez comme cela, il est las des affaires, il veut se retirer et il lui faut servir quelques petites rentes.

      Il se tut, on frappait à la porte.

      Du bout du doigt il toucha son timbre, et la vibration n'était pas éteinte, que Beaumarchef parut.

      – C'est à n'y pas croire, patron, s'écria dès le seuil l'ancien sous-off… Vous m'avez demandé, n'est-ce pas, de compléter le dossier du jeune M. de Gaudelu.

      – Après?

      – Eh bien, patron, il se trouve que la cuisinière

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