Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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style="font-size:15px;">      Sabine et Modeste arrivaient alors à la rue Blanche. Elles arrêtèrent un fiacre et y montèrent. La vision s'évanouit.

      La voiture était déjà bien loin, qu'André restait encore au coin du trottoir, planté sur ses pieds, regardant de toutes ses forces.

      Cependant il ne pouvait demeurer là éternellement.

      Il s'était décidé à reprendre lentement le chemin de son atelier, lorsque vers le milieu de la rue de Douai, comme il passait devant une boutique éclairée, il entendit une voix jeune et joyeuse qui l'appelait par son nom.

      – Monsieur André! monsieur André!

      Il leva la tête, brusquement, comme un homme qu'on éveille, et regarda.

      Devant lui, près d'un coupé tout neuf, attelé de deux beaux chevaux, une jeune femme en toilette tapageuse lui faisait des signes d'amitié.

      Il eut besoin d'un effort de mémoire pour la reconnaître.

      – Je ne me trompe pas, dit-il enfin… Mademoiselle Rose, n'est-ce pas?

      Mais derrière lui, presque à son oreille, une voix de fausset éclata, qui le reprit:

      – Dites Mme Zora de Chantemille, s'il vous plaît.

      André se retourna et se trouva nez à nez avec un jeune monsieur qui venait de donner des ordres au cocher du coupé.

      – Ah! fit-il un peu surpris et reculant d'un pas.

      – C'est ainsi, appuya le jeune monsieur. Chantemille est le nom de la terre que je donne à madame le lendemain de la mort de papa.

      C'est avec une manifeste curiosité que le peintre examina ce donneur de terres.

      Veston court, gilet rond, chapeau plat, jambes cagneuses, médaillon énorme pendu à une chaîne d'or, binocle, gants rouges… Il était d'un ridicule achevé.

      Quant à la physionomie, en disant: «Un singe!..» Toto-Chupin n'avait pas sensiblement exagéré.

      – Bast!.. s'écria Rose, que fait le nom!.. L'important est que monsieur, qui est de mes amis, dîne avec nous.

      Et sans attendre une réponse, brusquement, elle poussa André dans un vestibule brillamment éclairé.

      – Eh bien!.. disait le jeune monsieur, elle est bonne celle-là! Oui, je la trouve très bonne!.. Enfin… Les amis de nos amis sont nos amis.

      Tout ahuri de cette attaque imprévue, André se défendait de son mieux mais sans avantage. Jalouse de montrer son pouvoir naissant, Rose était placée devant la porte, et elle répétait:

      – Vous dînerez avec nous, je le veux!.. je le veux!

      Puis comme elle était experte en belles manières, elle prit en même temps la main d'André et celle du jeune monsieur, en disant:

      – Monsieur André, je vous présente M. Gaston de Gandelu. M. de Gandelu… M. André, artiste peintre.

      Les deux jeunes gens s'inclinèrent.

      – André!.. faisait le jeune M. Gaston, j'ai entendu ce nom-là. J'ai vu la figure aussi… Ah! j'y suis, c'est chez papa. N'est-ce pas vous, monsieur, qui devez sculpter sa maison?

      – En effet, monsieur.

      – Alors, vous êtes des nôtres. Nous pendons une crémaillère, ce soir… Hein! elle est forte celle-là!.. Vous savez, plus on est de fous, plus on rit.

      André résistait encore.

      – Je ne puis, disait-il, j'ai un rendez-vous urgent!..

      – Un rendez-vous!.. Ah! mais non!.. je la connais, celle-là, on ne me la fait pas.

      André se taisait, indécis. Il était dans un de ces moments de tristesse morne, où on éprouve le secret désir de se dissiper, d'échapper en quelque sorte à soi-même.

      – Au fait, pensa-t-il, pourquoi ne pas accepter! Si les amis de ce jeune homme lui ressemblent, ce sera drôle.

      – Allons, s'écria Rose en s'élançant vers l'escalier, voilà qui est dit.

      André s'apprêtait à la suivre, mais M. de Gandelu, mystérieusement, le retint par le revers de son pardessus.

      – Hein! lui dit-il d'un air ravi, quelle femme!.. Et encore, vous ne voyez rien… Attendez que je l'aie formée, je ne vous dis que ça. D'abord moi, pour lancer une femme, je n'ai pas mon pareil. Demandez plutôt à Auguste de chez Riche.

      – Cela se voit, fit André le plus sérieusement du monde.

      – N'est-ce pas? Moi, d'abord, je suis comme ça, carré, et il faut marcher. Zora… hein! un rude nom, n'est-ce pas? c'est moi qui l'ai choisi. Donc, Zora n'est pas très épatante ce soir, mais laissez faire. Je lui ai tantôt commandé six robes, chez Van Klopen. Oh! mais des robes… Vous connaissez Van Klopen?

      – Pas du tout.

      – Eh bien!.. elle est forte. Quand je dirai ça à Jules, il m'appellera blagueur, vous verrez. Van Klopen, mon bon, est un tailleur pour dames. C'est un Alsacien qui enfonce toutes les couturières. Il vous a un goût, une invention, un chic… Il n'y a que lui pour habiller une femme…

      Arrivée à son appartement, Zora-Rose s'impatientait.

      – Viendrez-vous, enfin! cria-t-elle.

      – Vite, fit Gandelu entraînant André, montons. Quand on la fâche, elle a des crises de nerfs terribles. Elle n'a pas voulu me l'avouer, mais on ne me monte pas le coup, à moi, je connais les femmes…

      Rose et Paul n'étaient pas faits pour s'entendre. Ils se ressemblaient trop.

      Si la nouvelle dame de Chantemille avait tant insisté pour avoir André à dîner, c'est qu'elle comptait l'éblouir de sa splendeur.

      Pour commencer, elle lui montra ses deux domestiques, la cuisinière et la femme de chambre, qui avaient, la dernière surtout, un air!.. Puis il fallut qu'André visitât tout l'appartement, on ne lui fit grâce ni d'une pièce ni d'un meuble.

      Il dut s'extasier devant l'éternel et horripilant salon bouton d'or à agréments gros bleu. Il fut forcé de palper les étoffes et d'essayer le moelleux des fauteuils.

      Gandelu triomphant ouvrait la marche, armé d'un candélabre à huit branches, dont les bougies l'inondaient de leurs larmes. Il faisait remarquer le bon goût de chaque chose, et disait le prix de tout, d'un ton de commissaire-priseur.

      En outre, il entremêlait cette visite domiciliaire de réflexions philosophiques.

      – Cette pendule, disait-il, c'est cent louis, c'est pour rien. Est-ce drôle que vous connaissiez papa! N'est-ce pas qu'il a une bonne tête?.. Cette jardinière, c'est trois cents francs!.. c'est donné!.. Mais méfiez-vous, il est rat. Ne voudrait-il pas me forcer à travailler? Je la trouve mauvaise. Moi travailler!.. Il s'en ferait mourir… N'est-ce pas, que ce n'est pas cher, ce guéridon, vingt louis?.. Moi, d'abord, quand il me la fait à la vertu, je me la brise. Un bonhomme qui n'en a pas seulement pour six mois, disent les médecins, il ferait mieux…

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