Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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style="font-size:15px;">      Cependant son premier mouvement fut de chercher des objections.

      Les femmes commencent toujours, systématiquement et instinctivement, par s'opposer aux desseins qu'elles approuvent le plus. C'est leur façon de les faire entrer profondément dans l'esprit de qui les leur propose.

      Chacune de leurs objections est calculée pour produire l'effet d'un coup de maillet sur un coin.

      – Plaisantez-vous? dit-elle. Repousser M. de Breulh!.. Retrouverez-vous jamais un parti aussi brillant, je dirai presque inespéré?

      – Oh!.. ne craignez rien, répondit le comte avec la plus amère ironie, on se chargera de vous fournir un prétendant.

      Cette phrase, arrachée à M. de Mussidan par l'intensité de ses craintes, serra jusqu'à l'angoisse le cœur de la comtesse.

      Qu'est-ce que cela voulait dire? Était-ce une allusion!

      Son mari avait-il voulu désigner Croisenois? Savait-il sous l'empire de quelles obsessions abominables elle était condamnée à agir?

      Mais elle était brave. Elle était de celle qui, à l'anxiété du désastre, préfèrent le désastre lui-même, si complet et si effroyable qu'il puisse être. Elle voulut savoir.

      – De quel prétendant parlez-vous? demanda-t-elle avec une nonchalance affectée. Présenté par qui? comment? Qui donc aurait osé disposer de l'avenir de ma fille sans me consulter?..

      – Moi!..

      La comtesse eut un petit ricanement qui fut pour le comte comme un coup de cravache à travers la figure. Il perdit la tête, il oublia tout.

      – Ne suis-je donc pas le maître! s'écria-t-il d'une voix terrible. Et je saurai le montrer, parce que telle est la volonté des misérables qui ont surpris le secret de ma vie, de mon crime, et qui ont entre les mains assez de preuves pour déshonorer mon nom.

      Mme de Mussidan s'était levée. Elle se demandait si la raison de son mari ne s'égarait pas.

      – Un crime, balbutia-t-elle, vous!

      – Oui, moi! Ah! cela vous surprend et vous ne vous en doutiez guère. C'est ainsi. Vous vous souvenez peut-être d'un accident de chasse qui attrista les premiers mois de notre mariage. Ce jeune homme… dans les bois de Bivron. Eh bien! il n'y a pas eu d'accident. C'est volontairement que je l'ai ajusté, que j'ai fait feu. Je l'ai assassiné, enfin?.. Et on le sait, et on peut le dire et le prouver.

      La comtesse, terrifiée, reculait, les bras étendus en avant, comme pour écarter un danger.

      – Ah! vous êtes épouvantée!.. reprit le comte avec un rire sinistre. Je vous fais horreur, peut-être? Ne tremblez pas, ne vous éloignez pas ainsi, je n'ai pas de sang aux mains, soyez tranquille…

      Il appuya ses deux mains sur son cœur, comme si la respiration lui eût manqué, et il poursuivit:

      – C'est là qu'il est le sang, et il m'étouffe! Il y a vingt-trois ans de cela, et cependant, parfois encore, la nuit, je m'éveille baigné de sueur, parce que dans mon sommeil j'ai entendu le dernier râle de l'infortuné.

      Mme de Mussidan s'était laissée glisser sur un fauteuil.

      – C'est horrible, murmurait-elle…

      – N'est-ce pas?.. Et cependant vous ne savez point encore pourquoi j'ai tué. Savez-vous ce qu'il avait osé me dire, ce malheureux!.. Il m'avait dit que ma jeune femme que j'adorais avait eu un amant.

      La comtesse de Mussidan se dressa, la protestation aux lèvres, mais M. de Mussidan ayant ajouté froidement:

      – Et c'était vrai, j'en ai acquis plus tard la certitude.

      Elle retomba comme assommée, cachant son visage entre ses mains.

      – Pauvre Montlouis!.. poursuivait le comte, il était aimé, lui. Il avait une maîtresse, une grisette qui allait en journée pour gagner sa vie. Mais elle était plus noble cent fois par le cœur, cette pauvre fille, que l'orgueilleuse héritière que je venais d'épouser et qui était une Sauvebourg.

      – Octave!.. Monsieur!..

      – Ah!.. c'est ainsi, elle l'a prouvé. Elle s'était donnée à Montlouis, cependant, et il devait l'épouser; il me l'avait dit. Tout le monde la croyait sage, elle était enceinte. A la mort de son amant elle a été déshonorée. On est impitoyable dans les petites villes. La première fois qu'elle sortit de l'hospice avec son enfant sur les bras, de vieilles femmes prirent de la boue au ruisseau et l'en couvrirent. Il fallait fuir…

      Quand il se serait agi de la vie, la comtesse n'aurait pu articuler une parole.

      – Elle serait morte de faim sans moi! disait le comte. Pauvre fille! C'était bien peu, ce que je lui donnais. Eh bien! avec ce peu, à force de privations, elle a élevé son fils comme celui d'un bourgeois. L'enfant est un homme aujourd'hui, et quoi qu'il arrive, son avenir est assuré, car je suis là, moi…

      Pour les grands mouvements de l'âme, il n'est pas de circonstances extérieures. Moins profondément émus, M. de Mussidan et sa femme eussent entendu des sanglots étouffés, qui, lorsqu'ils cessaient de parler, rompaient lugubrement le silence.

      Souvent Mme de Mussidan avait eu, – prétendait-elle, – à souffrir des violences de son mari.

      Mais jamais le comte n'avait été ainsi.

      Même en ses plus furieux emportements, il ne dépassait pas certaines bornes, comme si d'avance il eut pu dire à sa colère: Tu n'iras pas plus loin.

      En ce moment, une circonstance inouïe rompait toutes les digues imposées par une ferme volonté, et le torrent faisait irruption.

      Et, il faut le dire, il semblait éprouver une âcre et délicieuse jouissance, un soulagement immense à donner un libre cours à toutes les amertumes qui, depuis des années, s'étaient amassées goutte à goutte en son âme.

      – Dites-moi maintenant, madame, s'il n'y aurait pas injustice à vous comparer à cette pauvre fille qui était la maîtresse de Montlouis? Vous n'êtes donc jamais descendue au fond de votre conscience? Vous n'avez jamais tremblé en songeant que Dieu, certainement, vous punirait un jour, vous qui avez été fille coupable, épouse criminelle et mère indigne?..

      D'ordinaire, la comtesse tenait tête à son mari, elle se redressait sous ses justes reproches; aujourd'hui, elle n'osait.

      – Avec vous, poursuivait le comte, la honte et le malheur sont entrés dans ma vie. Qui donc eût pu prévoir cela, en vous voyant courir insouciante et rieuse sous les grands arbres de Sauvebourg? Que de fois, en ce temps où mon seul rêve était d'unir ma destinée à la vôtre, je vous ai observée sans soupçonner que j'étais dupe d'une odieuse comédie! Jeune fille; vous aviez atteint la perfection de la dissimulation. Jamais les détestables pensées qui vous bouleversaient n'ont jeté une ombre sur votre front. Jamais vos plus affreux desseins n'ont altéré la pureté de votre regard. Ah! qui n'y eût été trompé comme moi!.. En entrant dans cette petite église où a été bénie notre union maudite, intérieurement je vous demandais pardon d'être si peu digne de vous. Misérable fou!.. J'en étais encore aux premières ivresses de la possession que, déjà, vous aviez installé l'adultère à mon foyer.

      La comtesse eut un geste

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