La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau

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de place – cela déroute le hasard, assure-t-on – et Pascal se trouva assis, non plus à la droite de Fernand, mais en face, entre deux hommes de son âge, dont l’un était celui qui avait prononcé le mot d’exécution.

      Tous les yeux étaient fixés sur le malheureux avocat, lorsqu’il prit la main. Il fit deux cents louis et les perdit.

      Il y eut comme un ricanement autour de la table, et un de ceux qui perdaient le plus, dit entre haut et bas:

      – Ne regardez donc pas tant Monsieur… il n’aura plus de chance.

      Cette phrase ironique, injurieuse par l’intonation autant qu’un soufflet, fit éclater dans le cerveau de Pascal une épouvantable lueur.

      Il soupçonna enfin ce qu’un autre, moins parfaitement honnête, eut compris depuis longtemps déjà… Mais il est de ces accusations dont la possibilité ne saurait entrer dans l’entendement d’un galant homme.

      L’idée lui vint de se lever, de provoquer une explication, mais il était anéanti et comme écrasé par l’horreur de sa situation. Ses oreilles tintaient, il lui semblait que les battements de son cœur étaient suspendus, il éprouvait à l’épigastre la sensation d’un fer rouge…

      Le jeu allait son train, mais personne n’y était; les mises restaient insignifiantes; ni perte ni gain n’arrachaient une exclamation.

      Toute l’attention se concentrait sur Pascal, fiévreuse, haletante, et lui, d’un œil plein d’angoisse, il suivait le mouvement des cartes, qui passaient de main en main et qui allaient lui arriver…

      Quand elles lui arrivèrent, le silence se fit, solennel, plein de menaces, sinistre en quelque sorte.

      Les femmes et ceux des invités qui ne jouaient pas s’étaient approchés et se penchaient sur la table avec une évidente anxiété.

      – Mon Dieu! pensait Pascal, mon Dieu! faites que je perde.

      Il était pâle comme la mort, la sueur emmêlait ses cheveux et les collait le long des tempes, ses mains tremblaient tellement qu’à peine il pouvait tenir les cartes…

      – Je fais quatre mille francs! balbutia-t-il enfin.

      – Je les tiens! dit une voix.

      Hélas! le vœu du malheureux ne fut pas exaucé. Il gagna. Et c’est au milieu d’une explosion de murmures qu’il reprit:

      – Il y a huit mille francs…

      – Banco!..

      Mais au moment où il donnait des cartes, son voisin se dressa et lui saisit brutalement les poignets en criant:

      – Cette fois, j’en suis sûr… vous êtes un voleur!..

      D’un bond, Pascal fut debout.

      Tant que le péril avait été vague, indéterminé, son énergie avait été comme paralysée. Il la retrouva intacte quand le danger fut là, précis, extrême, terrible.

      Il repoussa l’homme qui lui avait pris les mains, si rudement, qu’il l’envoya rouler sous un canapé, et il se rejeta en arrière, dans une attitude de menace et de défi…

      A quoi bon!.. sept ou huit joueurs se précipitèrent sur lui comme sur un malfaiteur…

      L’autre, cependant, l’homme de l’exécution s’était relevé, la cravate dénouée, les vêtements en désordre.

      – Oui, dit-il à Pascal, vous êtes un voleur!.. Je vous ai vu glisser des cartes parmi celles que vous teniez…

      – Misérable!.. râla Pascal.

      – Je vous ai vu… et je vais le prouver.

      Il se retourna vers la maîtresse de la maison, qui s’était affaissée sur une causeuse, et d’une voix rauque:

      – Avec combien de jeux avons-nous joué? demanda-t-il.

      – Avec cinq…

      – Il doit donc y avoir sur la table 260 cartes…

      Il les compta lentement, avec le plus grand soin, et en trouva 307…

      – Eh bien!.. misérable, cria-t-il à Pascal, oseras-tu nier encore!..

      Pascal ne songeait pas à nier…

      Il se possédait assez pour comprendre que des paroles ne pouvaient rien contre cette preuve matérielle, tangible, qui l’écrasait de son épouvantable évidence…

      Quarante-sept cartes avaient été frauduleusement introduites dans le jeu.

      Ce n’était pas par lui certes!.. Mais par qui donc était-ce?.. La chance s’était si régulièrement répartie, qu’il se trouvait le seul à gagner…

      – Vous verrez, fit une femme, que le lâche ne se défendra même pas!..

      Il ne daigna pas tourner la tête… que lui importait cette insulte.

      Il se sentait, lui, innocent, rouler au plus profond d’un abîme d’infamie; il se voyait déshonoré, flétri, perdu!

      Et, comprenant qu’il fallait un fait à opposer à un fait, il demandait à Dieu, fût-ce au prix de la vie, un secours, une idée, une inspiration, pour démasquer le coupable…

      Ce fut un autre qui prit sa défense.

      Avec une hardiesse dont on ne l’eût pas soupçonné à le voir, M. de Coralth se plaça devant Pascal, et d’un ton où il y avait encore plus de défi que de douleur:

      – C’est une horrible méprise que vous commettez, messieurs, déclara-t-il. Pascal Férailleur est mon ami, et son passé répond du présent. Allez au Palais, informez-vous, et on vous dira si cet honnête homme est coupable de l’ignoble action dont on l’accuse…

      Personne ne répondit.

      On eût dit que dans l’opinion de chacun, Fernand remplissait simplement un devoir auquel il lui eût été difficile de se soustraire…

      Le vieux monsieur dont l’opinion avait décidé la suspension et la reprise de la partie fut l’interprète de l’impression générale.

      C’était un gros homme, qui soufflait comme un phoque en parlant, et qu’on appelait le baron.

      – C’est très-bien, ce que vous faites là!.. dit-il à Fernand; oui, très-bien, parole d’honneur!.. Vous voilà hors de cause!.. Que diable! il n’est pas d’honnête homme à l’abri de votre mésaventure… Les coquins n’ont pas de signe particulier…

      – C’est ce qu’on appelle «un impair,» vicomte! dit ironiquement un jeune homme.

      M. de Coralth marcha droit à celui-là.

      – Vous, mon cher, dit-il, vous me rendrez raison de ce mot, s’il vous plaît.

      – Quand vous voudrez!..

      Ils se mesuraient des yeux, on les entraîna dans la chambre voisine; chacun, à part

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