Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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la couleur de lui plaire, lui annonça qu'on allait faire pour lui des plants d'asperges. Or, comme chacun le sait, les asperges, qui mettent aujourd'hui quatre ans à venir, en mettaient cinq à cette époque où le jardinage était moins perfectionné. Cette civilité mit M. de Beaufort en fureur.

      Alors M. de Beaufort pensa qu'il était temps de recourir à l'un de ses quarante moyens, et il essaya d'abord du plus simple, qui était de corrompre La Ramée; mais La Ramée, qui avait acheté sa charge d'exempt quinze cents écus, tenait fort à sa charge. Aussi, au lieu d'entrer dans les vues du prisonnier, alla-t-il tout courant prévenir M. de Chavigny; aussitôt M. de Chavigny mit huit hommes dans la chambre même du prince, doubla les sentinelles et tripla les postes. À partir de ce moment, le prince ne marcha plus que comme les rois de théâtre, avec quatre hommes devant lui et quatre derrière, sans compter ceux qui marchaient en serre-file.

      M. de Beaufort rit beaucoup d'abord de cette sévérité, qui lui devenait une distraction. Il répéta tant qu'il put: «Cela m'amuse, cela me diversifie» (M. de Beaufort voulait dire: Cela me divertit; mais, comme on sait, il ne disait pas toujours ce qu'il voulait dire). Puis il ajoutait: «D'ailleurs, quand je voudrai me soustraire aux honneurs que vous me rendez, j'ai encore trente- neuf autres moyens.»

      Mais cette distraction devint à la fin un ennui. Par fanfaronnade, mais de Beaufort tint bon six mois; mais au bout de six mois, voyant toujours huit hommes s'asseyant quand il s'asseyait, se levant quand il se levait, s'arrêtant quand il s'arrêtait, il commença à froncer le sourcil et à compter les jours.

      Cette nouvelle persécution amena une recrudescence de haine contre le Mazarin. Le prince jurait du matin au soir, ne parlant que de capilotades d'oreilles mazarines. C'était à faire frémir; le cardinal, qui savait tout ce qui se passait à Vincennes, en enfonçait malgré lui sa barrette jusqu'au cou.

      Un jour M. de Beaufort rassembla les gardiens, et malgré sa difficulté d'élocution devenue proverbiale, il leur fit ce discours qui, il est vrai, était préparé d'avance:

      – Messieurs, leur dit-il, souffrirez-vous donc qu'un petit-fils du bon roi Henri IV soit abreuvé d'outrages et d'ignobilies (il voulait dire d'ignominies); ventre-saint-gris! comme disait mon grand-père, j'ai presque régné dans Paris, savez-vous! j'ai eu en garde pendant tout un jour le roi et Monsieur. La reine me caressait alors et m'appelait le plus honnête homme du royaume. Messieurs les bourgeois, maintenant, mettez-moi dehors: j'irai au Louvre, je tordrai le cou au Mazarin, vous serez mes gardes du corps, je vous ferai tous officiers et avec de bonnes pensions. Ventre-saint-gris! en avant, marche!

      Mais, si pathétique qu'elle fût, l'éloquence du petit-fils de Henri IV n'avait point touché ces coeurs de pierre; pas un ne bougea: ce que voyant, M. de Beaufort leur dit qu'ils étaient tous des gredins et s'en fit des ennemis cruels.

      Quelquefois, lorsque M. de Chavigny le venait voir, ce à quoi il ne manquait pas deux ou trois fois la semaine, le duc profitait de ce moment pour le menacer.

      – Que feriez-vous, monsieur, lui disait-il, si un beau jour vous voyiez apparaître une armée de Parisiens tout bardés de fer et hérissés de mousquets, venant me délivrer?

      – Monseigneur, répondit M. de Chavigny en saluant profondément le prince, j'ai sur les remparts vingt pièces d'artillerie, et dans mes casemates trente mille coups à tirer; je les cartonnerais de mon mieux.

      – Oui, mais quand vous auriez tiré vos trente mille coups, ils prendraient le donjon, et le donjon pris, je serais forcé de les laisser vous pendre, ce dont je serais bien marri, certainement.

      Et à son tour le prince salua M. de Chavigny avec la plus grande politesse.

      – Mais moi, Monseigneur, reprenait M. de Chavigny, au premier croquant qui passerait le seuil de mes poternes, ou qui mettrait le pied sur mon rempart, je serais forcé, à mon bien grand regret, de vous tuer de ma propre main, attendu que vous m'êtes confié tout particulièrement, et que je vous dois rendre mort au vif.

      Et il saluait Son Altesse de nouveau.

      – Oui, continuait le duc; mais comme bien certainement ces braves gens-là ne viendraient ici qu'après avoir un peu pendu M. Giulio Mazarini, vous vous garderiez bien de porter la main sur moi et vous me laisseriez vivre, de peur d'être tiré à quatre chevaux par les Parisiens, ce qui est bien plus désagréable encore que d'être pendu, allez.

      Ces plaisanteries aigres-douces allaient ainsi dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes au plus, mais elles finissaient toujours ainsi:

      M. de Chavigny, se retournant vers la porte:

      – Holà! La Ramée, criait-il.

      La Ramée entrait.

      – La Ramée, continuait M. de Chavigny, je vous recommande tout particulièrement M. de Beaufort: traitez-le avec tous les égards dus à son nom et à son rang, et à cet effet ne le perdez pas un instant de vue.

      Puis il se retirait en saluant M. de Beaufort avec une politesse ironique qui mettait celui-ci dans des colères bleues.

      La Ramée était donc devenu le commensal obligé du prince, son gardien éternel, l'ombre de son corps; mais, il faut le dire, la compagnie de La Ramée, joyeux vivant, franc convive, buveur reconnu, grand joueur de paume, bon diable au fond, et n'ayant pour M. de Beaufort qu'un défaut, celui d'être incorruptible, était devenu pour le prince plutôt une distraction qu'une fatigue.

      Malheureusement il n'en était point de même pour maître La Ramée, et quoiqu'il estimât à un certain prix l'honneur d'être enfermé avec un prisonnier de si haute importance, le plaisir de vivre dans la familiarité du petit-fils d'Henri IV ne compensait pas celui qu'il eût éprouvé à aller faire de temps en temps visite à sa famille.

      On peut être excellent exempt du roi, en même temps que bon père et bon époux. Or maître La Ramée adorait sa femme et ses enfants, qu'il ne faisait plus qu'entrevoir du haut de la muraille, lorsque pour lui donner cette consolation paternelle et conjugale ils se venaient promener de l'autre côté des fossés; décidément c'était trop peu pour lui, et La Ramée sentait que sa joyeuse humeur, qu'il avait considérée comme la cause de sa bonne santé, sans calculer qu'au contraire elle n'en était probablement que le résultat, ne tiendrait pas longtemps à un pareil régime. Cette conviction ne fit que croître dans son esprit, lorsque, peu à peu, les relations de M. de Beaufort et de M. de Chavigny s'étant aigries de plus en plus, ils cessèrent tout à fait de se voir. La Ramée sentit alors la responsabilité peser plus forte sur sa tête, et comme justement, par ces raisons que nous venons d'expliquer, il cherchait du soulagement, il accueillit très chaudement l'ouverture que lui avait faite son ami, l'intendant du maréchal de Grammont, de lui donner un acolyte: il en avait aussitôt parlé à M. de Chavigny, lequel avait répondu qu'il ne s'y opposait en aucune manière, à la condition toutefois que le sujet lui convînt.

      Nous regardons comme parfaitement inutile de faire à nos lecteurs le portrait physique et moral de Grimaud: si, comme nous l'espérons, ils n'ont pas tout à fait oublié la première partie de cet ouvrage, ils doivent avoir conservé un souvenir assez net de cet estimable personnage, chez lequel il ne s'était fait d'autre changement que d'avoir pris vingt ans de plus: acquisition qui n'avait fait que le rendre plus taciturne et plus silencieux, quoique, depuis le changement qui s'était opéré en lui, Athos lui eût rendu toute permission de parler.

      Mais à cette époque il y avait déjà douze ou quinze ans que Grimaud se taisait, et une habitude de douze ou quinze ans est devenue une seconde nature.

      XX. Grimaud entre en fonctions

      Grimaud

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