Vingt ans après. Dumas Alexandre
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– Voilà un garçon distingué, et je l'avais jugé tel, dit M. de Chavigny; allez vous faire agréer de M. La Ramée, et dites- lui que vous me convenez sur tous les points.
Grimaud tourna sur ses talons et s'en alla passer l'inspection beaucoup plus rigoureuse de La Ramée. Ce qui le rendait plus difficile, c'est que M. de Chavigny savait qu'il pouvait se reposer sur lui, et que lui voulait pouvoir se reposer sur Grimaud.
Grimaud avait juste les qualités qui peuvent séduire un exempt qui désire un sous-exempt; aussi, après mille questions qui n'obtinrent chacune qu'un quart de réponse, La Ramée, fasciné par cette sobriété de paroles, se frotta les mains et enrôla Grimaud.
– La consigne? demanda Grimaud.
– La voici: Ne jamais laisser le prisonnier seul, lui ôter tout instrument piquant ou tranchant, l'empêcher de faire signe aux gens du dehors ou de causer trop longtemps avec ses gardiens.
– C'est tout? demanda Grimaud.
– Tout pour le moment, répondit La Ramée. Des circonstances nouvelles, s'il y en a, amèneront de nouvelles consignes.
– Bon, répondit Grimaud.
Et il entra chez M. le duc de Beaufort.
Celui-ci était en train de se peigner la barbe qu'il laissait pousser ainsi que ses cheveux, pour faire pièce au Mazarin en étalant sa misère et en faisant parade de sa mauvaise mine. Mais comme quelques jours auparavant il avait cru, du haut du donjon, reconnaître au fond d'un carrosse la belle madame de Montbazon, dont le souvenir lui était toujours cher, il n'avait pas voulu être pour elle ce qu'il était pour Mazarin; il avait donc, dans l'espérance de la revoir, demandé un peigne de plomb qui lui avait été accordé.
M. de Beaufort avait demandé un peigne de plomb, parce que comme tous les blonds, il avait la barbe un peu rouge: il se la teignait en se la peignant.
Grimaud, en entrant, vit le peigne que le prince venait de déposer sur la table; il le prit en faisant une révérence.
Le duc regarda cette étrange figure avec étonnement.
La figure mit le peigne dans sa poche.
– Holà, hé! qu'est-ce que cela? s'écria le duc, et quel est ce drôle?
Grimaud ne répondit point, mais salua une seconde fois.
– Es-tu muet? s'écria le duc.
Grimaud fit signe que non.
– Qu'es-tu alors? réponds, je te l'ordonne, dit le duc.
– Gardien, répondit Grimaud.
– Gardien! s'écria le duc. Bien, il ne manquait que cette figure patibulaire à ma collection. Holà! La Ramée, quelqu'un!
La Ramée appelé accourut; malheureusement pour le prince il allait, se reposant sur Grimaud, se rendre à Paris, il était déjà dans la cour et remonta mécontent.
– Qu'est-ce, mon prince? demanda-t-il.
– Quel est ce maraud qui prend mon peigne et qui le met dans sa poche? demanda M. de Beaufort.
– C'est un de vos gardes, Monseigneur, un garçon plein de mérite et que vous apprécierez comme M. de Chavigny et moi, j'en suis sûr.
– Pourquoi me prend-il mon peigne?
– En effet, dit La Ramée, pourquoi prenez-vous le peigne de
Monseigneur?
Grimaud tira le peigne de sa poche, passa son doigt dessus, et, en regardant et montrant la grosse dent, se contenta de prononcer un seul mot:
– Piquant.
– C'est vrai, dit La Ramée.
– Que dit cet animal? demanda le duc.
– Que tout instrument piquant est interdit par le roi à
Monseigneur.
– Ah çà! dit le duc, êtes-vous fou, La Ramée? Mais c'est vous- même qui me l'avez donné, ce peigne.
– Et grand tort j'ai eu, Monseigneur; car en vous le donnant je me suis mis en contravention avec ma consigne.
Le duc regarda furieusement Grimaud, qui avait rendu le peigne à
La Ramée.
– Je prévois que ce drôle me déplaira énormément, murmura le prince.
En effet, en prison il n'y a pas de sentiment intermédiaire. Comme tout, hommes et choses, vous est ou ami ou ennemi, on aime ou l'on hait quelquefois avec raison, mais bien plus souvent encore par instinct. Or, par ce motif infiniment simple que Grimaud au premier coup d'oeil avait plu à M. de Chavigny et à La Ramée, il devait, ses qualités aux yeux du gouverneur et de l'exempt devenant des défauts aux yeux du prisonnier, déplaire tout d'abord à M. de Beaufort.
Cependant Grimaud ne voulut pas dès le premier jour rompre directement en visière avec le prisonnier; il avait besoin, non pas d'une répugnance improvisée, mais d'une belle et bonne haine bien tenace.
Il se retira donc pour faire place à quatre gardes qui, venant de déjeuner, pouvaient reprendre leur service près du prince.
De son côté, le prince avait à confectionner une nouvelle plaisanterie sur laquelle il comptait beaucoup: il avait demandé des écrevisses pour son déjeuner du lendemain et comptait passer la journée à faire une petite potence pour pendre la plus belle au milieu de sa chambre. La couleur rouge que devait lui donner la cuisson ne laisserait aucun doute sur l'allusion, et ainsi il aurait eu le plaisir de pendre le cardinal en effigie en attendant qu'il fût pendu en réalité, sans qu'on pût toutefois lui reprocher d'avoir pendu autre chose qu'une écrevisse.
La journée fut employée aux préparatifs de l'exécution. On devient très enfant en prison, et M. de Beaufort était de caractère à le devenir plus que tout autre. Il alla se promener comme d'habitude, brisa deux ou trois petites branches destinées à jouer un rôle dans sa parade, et, après avoir beaucoup cherché, trouva un morceau de verre cassé, trouvaille qui parut lui faire le plus grand plaisir. Rentré chez lui, il effila son mouchoir.
Aucun de ces détails n'échappa à l'oeil investigateur de Grimaud.
Le lendemain matin la potence était prête, et afin de pouvoir la planter dans le milieu de la chambre, M. de Beaufort en effilait un des bouts avec son verre brisé.
La Ramée le regardait faire avec la curiosité d'un père qui pense qu'il va peut-être découvrir un joujou nouveau pour ses enfants, et les quatre gardes avec cet air de désoeuvrement qui faisait à cette époque comme aujourd'hui le caractère principal de la physionomie du soldat.
Grimaud entra comme le prince venait de poser son morceau de verre, quoiqu'il n'eût pas encore achevé d'effiler le pied de sa potence; mais il s'était interrompu