Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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la veille; mais comme il était d'avance très satisfait du résultat que ne pouvait manquer d'avoir sa nouvelle invention, il n'y fit pas autrement attention.

      Seulement, quand il eut fini de faire un noeud à la marinière à un bout de son fil et un noeud coulant à l'autre, quand il eut jeté un regard sur le plat d'écrevisses et choisi de l'oeil la plus majestueuse, il se retourna pour aller chercher son morceau de verre. Le morceau de verre avait disparu.

      – Qui m'a pris mon morceau de verre? demanda le prince en fronçant le sourcil.

      Grimaud fit signe que c'était lui.

      – Comment! toi encore? et pourquoi me l'as-tu pris?

      – Oui, demanda La Ramée, pourquoi avez-vous pris le morceau de verre à Son Altesse?

      Grimaud, qui tenait à la main le fragment de vitre, passa le doigt sur le fil, et dit:

      – Tranchant.

      – C'est juste, Monseigneur, dit La Ramée. Ah peste! que nous avons acquis là un garçon précieux!

      – Monsieur Grimaud, dit le prince, dans votre intérêt, je vous en conjure, ayez soin de ne jamais vous trouver à la portée de ma main.

      Grimaud fit la révérence et se retira au bout de la chambre.

      – Chut, chut, Monseigneur, dit La Ramée; donnez-moi votre petite potence, je vais l'effiler avec mon couteau.

      – Vous? dit le duc en riant.

      – Oui, moi; n'était-ce pas cela que vous désiriez?

      – Sans doute.

      – Tiens, au fait, dit le duc, ce sera plus drôle. Tenez, mon cher

      La Ramée.

      La Ramée, qui n'avait rien compris à l'exclamation du prince, effila le pied de la potence le plus proprement du monde.

      – Là, dit le duc; maintenant, faites-moi un petit trou en terre pendant que je vais aller chercher le patient.

      La Ramée mit un genou en terre et creusa le sol.

      Pendant ce temps, le prince suspendit son écrevisse au fil.

      Puis il planta la potence au milieu de la chambre en éclatant de rire.

      La Ramée aussi rit de tout son coeur, sans trop savoir de quoi il riait, et les gardes firent chorus.

      Grimaud seul ne rit pas.

      Il s'approcha de La Ramée, et, lui montrant l'écrevisse qui tournait au bout de son fil:

      – Cardinal! dit-il.

      – Pendu par Son Altesse le duc de Beaufort, reprit le prince en riant plus fort que jamais, et par maître Jacques-Chrysostome La Ramée, exempt du roi.

      La Ramée poussa un cri de terreur et se précipita vers la potence, qu'il arracha de terre, qu'il mit incontinent en morceaux, et dont il jeta les morceaux par la fenêtre. Il allait en faire autant de l'écrevisse, tant il avait perdu l'esprit, lorsque Grimaud la lui prit des mains.

      – Bonne à manger, dit-il; et il la mit dans sa poche.

      Cette fois le duc avait pris si grand plaisir à cette scène, qu'il pardonna presque à Grimaud le rôle qu'il avait joué. Mais comme, dans le courant de la journée, il réfléchit à l'intention qu'avait eue son gardien, et qu'au fond cette intention lui parut mauvaise, il sentit sa haine pour lui s'augmenter d'une manière sensible.

      Mais l'histoire de l'écrevisse n'en eut pas moins, au grand désespoir de La Ramée, un immense retentissement dans l'intérieur du donjon, et même au-dehors. M. de Chavigny, qui au fond du coeur détestait fort le cardinal, eut soin de conter l'anecdote à deux ou trois amis bien intentionnés, qui la répandirent à l'instant même.

      Cela fit passer deux ou trois bonnes journées à M. de Beaufort.

      Cependant, le duc avait remarqué parmi ses gardes un homme porteur d'une assez bonne figure, et il l'amadouait d'autant plus qu'à chaque instant Grimaud lui déplaisait davantage. Or, un matin qu'il avait pris cet homme à part, et qu'il était parvenu à lui parler quelque temps en tête à tête, Grimaud entra, regarda ce qui se passait, puis s'approchant respectueusement du garde et du prince, il prit le garde par le bras.

      – Que me voulez-vous? demanda brutalement le duc.

      Grimaud conduisit le garde à quatre pas et lui montra la porte.

      – Allez, dit-il.

      Le garde obéit.

      – Oh! mais, s'écria le prince, vous m'êtes insupportable: je vous châtierai.

      Grimaud salua respectueusement.

      – Monsieur l'espion, je vous romprai les os! s'écria le prince exaspéré.

      Grimaud salua en reculant.

      – Monsieur l'espion, continua le duc, je vous étranglerai de mes propres mains.

      Grimaud salua en reculant toujours.

      – Et cela, reprit le prince, qui pensait qu'autant valait en finir de suite, pas plus tard qu'à l'instant même.

      Et il étendit ses deux mains crispées vers Grimaud, qui se contenta de pousser le garde dehors et de fermer la porte derrière lui.

      En même temps il sentit les mains du prince qui s'abaissaient sur ses épaules, pareilles à deux tenailles de fer; il se contenta, au lieu d'appeler ou de se défendre, d'amener lentement son index à la hauteur de ses lèvres et de prononcer à demi-voix, en colorant sa figure de son plus charmant sourire, le mot:

      – Chut!

      C'était une chose si rare de la part de Grimaud qu'un geste, qu'un sourire et qu'une parole, que Son Altesse s'arrêta tout court, au comble de la stupéfaction.

      Grimaud profita de ce moment pour tirer de la doublure de sa veste un charmant petit billet à cachet aristocratique, auquel sa longue station dans les habits de Grimaud n'avait pu faire perdre entièrement son premier parfum, et le présenta au duc sans prononcer une parole.

      Le duc, de plus en plus étonné, lâcha Grimaud, prit le billet, et, reconnaissant l'écriture:

      – De madame de Montbazon? s'écria-t-il.

      Grimaud fit signe de la tête que oui.

      Le duc déchira rapidement l'enveloppe, passa sa main sur ses yeux, tant il était ébloui, et lut ce qui suit:

      «Mon cher duc,

      Vous pouvez vous fier entièrement au brave garçon qui vous remettra ce billet, car c'est le valet d'un gentilhomme qui est à nous, et qui nous l'a garanti comme éprouvé par vingt ans de fidélité. Il a consenti à entrer au service de votre exempt et à s'enfermer avec vous à Vincennes, pour préparer et aider à votre fuite, de laquelle nous nous occupons.

      Le moment de la délivrance approche; prenez patience et courage en songeant que, malgré le temps et l'absence, tous vos amis vous ont

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