Vingt ans après. Dumas Alexandre
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Cependant il eut cette puissance de faire prendre à sa figure une teinte de mauvaise humeur des plus visibles.
– Au diable votre Grimaud! s'écria-t-il, il me gâtera toute la fête.
– Je lui ordonnerai de se tenir derrière Votre Altesse, et comme il ne souffle pas un mot, Votre Altesse ne le verra ni ne l'entendra, et, avec un peu de bonne volonté, pourra se figurer qu'il est à cent lieues d'elle.
– Mon cher, dit le duc, savez-vous ce que je vois de plus clair dans cela? c'est que vous vous défiez de moi.
– Monseigneur, c'est après-demain la Pentecôte.
– Eh bien! que me fait la Pentecôte à moi? Avez-vous peur que le Saint-Esprit ne descende sous la figure d'une langue de feu pour m'ouvrir les portes de ma prison?
– Non, Monseigneur; mais je vous ai raconté ce qu'avait prédit ce magicien damné.
– Et qu'a-t-il prédit?
– Que le jour de la Pentecôte ne se passerait pas sans que Votre
Altesse fût hors de Vincennes.
– Tu crois donc aux magiciens? imbécile!
– Moi, dit La Ramée, je m'en soucie comme de cela, et il fit claquer ses doigts. Mais c'est monseigneur Giulio qui s'en soucie; en qualité d'italien, il est superstitieux.
Le duc haussa les épaules.
– Eh bien, soit, dit-il avec une bonhomie parfaitement jouée, j'accepte Grimaud, car sans cela la chose n'en finirait point; mais je ne veux personne autre que Grimaud; vous vous chargerez de tout. Vous commanderez le souper comme vous l'entendrez, le seul mets que je désigne est un de ces pâtés dont vous m'avez parlé. Vous le commanderez pour moi, afin que le successeur du père Marteau se surpasse, et vous lui promettrez ma pratique, non seulement pour tout le temps que je resterai en prison, mais encore pour le moment où j'en serai sorti.
– Vous croyez donc toujours que vous en sortirez? dit La Ramée.
– Dame! répliqua le prince, ne fût-ce qu'à la mort de Mazarin: j'ai quinze ans de moins que lui. Il est vrai, ajouta-t-il en souriant, qu'à Vincennes on vit plus vite.
– Monseigneur! reprit La Ramée, Monseigneur!
– Ou qu'on meurt plus tôt, ajouta le duc de Beaufort, ce qui revient au même.
– Monseigneur, dit La Ramée, je vais commander le souper.
– Et vous croyez que vous pourrez faire quelque chose de votre élève?
– Mais je l'espère, Monseigneur, répondit La Ramée.
– S'il vous en laisse le temps, murmura le duc.
– Que dit Monseigneur? demanda La Ramée.
– Monseigneur dit que vous n'épargniez pas la bourse de M. le cardinal, qui a bien voulu se charger de notre pension.
La Ramée s'arrêta à la porte.
– Qui Monseigneur veut-il que je lui envoie?
– Qui vous voudrez, excepté Grimaud.
– L'officier des gardes, alors?
– Avec son jeu d'échecs.
– Oui.
Et La Ramée sortit.
Cinq minutes après, l'officier des gardes entrait et le duc de Beaufort paraissait profondément plongé dans les sublimes combinaisons de l'échec et mat.
C'est une singulière chose que la pensée, et quelles révolutions un signe, un mot, une espérance, y opèrent. Le duc était depuis cinq ans en prison, et un regard jeté en arrière lui faisait paraître ces cinq années, qui cependant s'étaient écoulées bien lentement, moins longues que les deux jours, les quarante-huit heures qui le séparaient encore du moment fixé pour l'évasion.
Puis il y avait une chose surtout qui le préoccupait affreusement: c'était de quelle manière s'opérerait cette évasion. On lui avait fait espérer le résultat; mais on lui avait caché les détails que devait contenir le mystérieux pâté. Quels amis l'attendaient? Il avait donc encore des amis après cinq ans de prison? En ce cas il était un prince bien privilégié.
Il oubliait qu'outre ses amis, chose bien plus extraordinaire, une femme s'était souvenue de lui; il est vrai qu'elle ne lui avait peut-être pas été bien scrupuleusement fidèle, mais elle ne l'avait pas oublié, ce qui était beaucoup.
Il y en avait là plus qu'il n'en fallait pour donner des préoccupations du duc; aussi en fut-il des échecs comme de la longue paume: M. de Beaufort fit école sur école, et l'officier le battit à son tour le soir comme l'avait battu le matin La Ramée.
Mais ses défaites successives avaient eu un avantage: c'était de conduire le prince jusqu'à huit heures du soir; c'était toujours trois heures gagnées; puis la nuit allait venir, et avec la nuit, le sommeil.
Le duc le pensait ainsi du moins: mais le sommeil est une divinité fort capricieuse, et c'est justement lorsqu'on l'invoque qu'elle se fait attendre. Le duc l'attendit jusqu'à minuit, se tournant et se retournant sur ses matelas comme saint Laurent sur son gril. Enfin il s'endormit.
Mais avec le jour il s'éveilla: il avait fait des rêves fantastiques; il lui était poussé des ailes; il avait alors et tout naturellement voulu s'envoler, et d'abord ses ailes l'avaient parfaitement soutenu; mais, parvenu à une certaine hauteur, cet appui étrange lui avait manqué tout à coup, ses ailes s'étaient brisées, et il lui avait semblé qu'il roulait dans des abîmes sans fond; et il s'était réveillé le front couvert de sueur et brisé comme s'il avait réellement fait une chute aérienne.
Alors il s'était endormi pour errer de nouveau dans un dédale de songes plus insensés les uns que les autres; à peine ses yeux étaient-ils fermés, que son esprit, tendu vers un seul but, son évasion, se reprenait à tenter cette évasion. Alors c'était autre chose: on avait trouvé un passage souterrain qui devait le conduire hors de Vincennes, il était engagé dans ce passage, et Grimaud marchait devant lui une lanterne à la main; mais peu à peu le passage se rétrécissait, et cependant le duc continuait toujours son chemin; enfin le souterrain devenait si étroit, que le fugitif essayait inutilement d'aller plus loin: les parois de la muraille se resserraient et le pressaient entre elles, il faisait des efforts inouïs pour avancer, la chose était impossible; et cependant il voyait au loin Grimaud avec sa lanterne qui continuait de marcher; il voulait l'appeler pour qu'il l'aidât à se tirer de ce défilé qui l'étouffait, mais impossible de prononcer une parole. Alors, à l'autre extrémité, à celle par laquelle il était venu, il entendait les pas de ceux qui le poursuivaient, ces pas se rapprochaient incessamment, il était découvert, il n'avait plus d'espoir de fuir. La muraille semblait être d'intelligence avec ses ennemis, et le presser d'autant plus qu'il avait plus besoin de fuir; enfin il entendait la voix de La Ramée, il l'apercevait. La Ramée étendait la main et lui posait cette main sur l'épaule en éclatant de rire; il était repris et conduit dans cette chambre basse et voûtée où étaient morts le maréchal Ornano, Puylaurens et son oncle; leurs trois tombes étaient là, bosselant le terrain, et une quatrième fosse était ouverte, n'attendant plus qu'un cadavre.
Aussi,