Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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même qu'hier?

      Grimaud répéta son signe.

      – Le comte de Rochefort, alors?

      Grimaud fit trois fois signe que oui.

      – Mais, voyons, dit le duc, donne-moi au moins quelques détails sur la manière dont nous devons fuir.

      – Cela m'est défendu, dit Grimaud, avant le moment même de l'exécution.

      – Quels sont ceux qui m'attendront de l'autre côté du fossé?

      – Je n'en sais rien, Monseigneur.

      – Mais, au moins, dis-moi ce que contiendra ce fameux pâté, si tu ne veux pas que je devienne fou.

      – Monseigneur, dit Grimaud, il contiendra deux poignards, une corde à noeud et une poire d'angoisse.

      – Bien, je comprends.

      – Monseigneur voit qu'il y en aura pour tout le monde.

      – Nous prendrons pour nous les poignards et la corde, dit le duc.

      – Et nous ferons manger la poire à La Ramée, répondit Grimaud.

      – Mon cher Grimaud, dit le duc, tu ne parles pas souvent, mais quand tu parles, c'est une justice à te rendre, tu parles d'or.

      XXII. Une aventure de Marie Michon

      Vers la même époque où ces projets d'évasion se tramaient entre le duc de Beaufort et Grimaud, deux hommes à cheval, suivis à quelques pas par un laquais, entraient dans Paris par la rue du faubourg Saint-Marcel. Ces deux hommes, c'étaient le comte de La Fère et le vicomte de Bragelonne.

      C'était la première fois que le jeune homme venait à Paris, et Athos n'avait pas mis grande coquetterie en faveur de la capitale, son ancienne amie, en la lui montrant de ce côté. Certes, le dernier village de la Touraine était plus agréable à la vue que Paris vu sous la face avec laquelle il regarde Blois. Aussi faut- il le dire à la honte de cette ville tant vantée, elle produisit un médiocre effet sur le jeune homme.

      Athos avait toujours son air insoucieux et serein.

      Arrivé à Saint-médard, Athos, qui servait dans ce grand labyrinthe de guide à son compagnon de voyage, prit la rue des Postes, puis celle de l'estrapade, puis celle des Fossés Saint-Michel, puis celle de Vaugirard. Parvenus à la rue Férou, les voyageurs s'y engagèrent. Vers la moitié de cette rue, Athos leva les yeux en souriant, et, montrant une maison de bourgeoise apparence au jeune homme:

      – Tenez, Raoul, lui dit-il, voici une maison où j'ai passé sept des plus douces et des plus cruelles années de ma vie.

      Le jeune homme sourit à son tour et salua la maison. La piété de Raoul pour son protecteur se manifestait dans tous les actes de sa vie.

      Quant à Athos, nous l'avons dit, Raoul était non seulement pour lui le centre, mais encore, moins ses anciens souvenirs de régiment, le seul objet de ses affections, et l'on comprend de quelle façon tendre et profonde cette fois pouvait aimer le coeur d'Athos.

      Les deux voyageurs s'arrêtèrent rue du Vieux-Colombier, à l'enseigne du Renard-Vert. Athos connaissait la taverne de longue date, cent fois il y était venu avec ses amis; mais depuis vingt ans il s'était fait force changements dans l'hôtel, à commencer par les maîtres.

      Les voyageurs remirent leurs chevaux aux mains des garçons, et comme c'étaient des animaux de noble race, ils recommandèrent qu'on en eût le plus grand soin, qu'on ne leur donnât que de la paille et de l'avoine, et qu'on leur lavât le poitrail et les jambes avec du vin tiède. Ils avaient fait vingt lieues dans la journée. Puis, s'étant occupés d'abord de leurs chevaux, comme doivent faire de vrais cavaliers, ils demandèrent ensuite deux chambres pour eux.

      – Vous allez faire toilette, Raoul, dit Athos, je vous présente à quelqu'un.

      – Aujourd'hui, monsieur? demanda le jeune homme.

      – Dans une demi-heure.

      Le jeune homme salua.

      Peut-être, moins infatigable qu'Athos, qui semblait de fer, eût-il préféré un bain dans cette rivière de Seine dont il avait tant entendu parler, et qu'il se promettait bien de trouver inférieure à la Loire, et son lit après; mais le comte de La Fère avait parlé, il ne songea qu'à obéir.

      – À propos, dit Athos, soignez-vous, Raoul; je veux qu'on vous trouve beau.

      – J'espère, monsieur, dit le jeune homme en souriant, qu'il ne s'agit point de mariage. Vous savez mes engagements avec Louise.

      Athos sourit à son tour.

      – Non, soyez tranquille, dit-il, quoique ce soit à une femme que je vais vous présenter.

      – Une femme? demanda Raoul.

      – Oui, et je désire même que vous l'aimiez.

      Le jeune homme regarda le comte avec une certaine inquiétude; mais au sourire d'Athos, il fut bien vite rassuré.

      – Et quel âge a-t-elle? demanda le vicomte de Bragelonne.

      – Mon cher Raoul, apprenez une fois pour toutes, dit Athos, que voilà une question qui ne se fait jamais. Quand vous pouvez lire son âge sur le visage d'une femme, il est inutile de le lui demander; quand vous ne le pouvez plus, c'est indiscret.

      – Et est-elle belle?

      – Il y a seize ans, elle passait non seulement pour la plus jolie, mais encore pour la plus gracieuse femme de France.

      Cette réponse rassura complètement le vicomte. Athos ne pouvait avoir aucun projet sur lui et sur une femme qui passait pour la plus jolie et la plus gracieuse de France un an avant qu'il vînt au monde.

      Il se retira donc dans sa chambre, et avec cette coquetterie qui va si bien à la jeunesse, il s'appliqua à suivre les instructions d'Athos, c'est-à-dire à se faire le plus beau qu'il lui était possible. Or c'était chose facile avec ce que la nature avait fait pour cela.

      Lorsqu'il reparut, Athos le reçut avec ce sourire paternel dont autrefois il accueillait d'Artagnan, mais qui s'était empreint d'une plus profonde tendresse encore pour Raoul.

      Athos jeta un regard sur ses pieds, sur ses mains et sur ses cheveux, ces trois signes de race. Ses cheveux noirs étaient élégamment partagés comme on les portait à cette époque et retombaient en boucles encadrant son visage au teint mat; des gants de daim grisâtres et qui s'harmonisaient avec son feutre dessinaient une main fine et élégante, tandis que ses bottes, de la même couleur que ses gants et son feutre, pressaient un pied qui semblait être celui d'un enfant de dix ans.

      – Allons, murmura-t-il, si elle n'est pas fière de lui, elle sera bien difficile.

      Il était trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire l'heure convenable aux visites. Les deux voyageurs s'acheminèrent par la rue de Grenelle, prirent la rue des Rosiers, entrèrent dans la rue Saint-Dominique, et s'arrêtèrent devant un magnifique hôtel situé en face des Jacobins, et que surmontaient les armes de Luynes.

      – C'est ici, dit Athos.

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