Horace. Жорж Санд

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Horace - Жорж Санд

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Suzanne ajoutant, d'un ton de consternation:

      – C'est-il drôle que Paul ne soit pas venu!»

      Il faut avouer que, venant pour la première fois de leur vie de faire un assez long voyage en diligence, se voyant aux prises avec les douaniers pour l'examen de leurs malles, ne sachant tout ce que signifiait ce bruit de voyageurs partants et arrivants, de chevaux qu'on attelait et dételait, d'employés, de facteurs et de commissionnaires, il était assez naturel qu'elles perdissent la tête et ressentissent un peu de fatigue, d'humeur et d'effroi. Elles s'humanisèrent en voyant que je venais à leur secours, que je veillais à leurs paquets, et que je réglais leurs comptes avec le bureau. A peine se virent-elles installées dans un fiacre avec leurs effets, leurs innombrables corbeilles et cartons (car elles avaient, suivant l'habitude des campagnards, traîné une foule d'objets dont le port surpassait la valeur), que Louison fourra la main jusqu'au coude dans son cabas, en criant: «Attendez, Monsieur; attendez que je vous paie! Qu'est-ce que vous avez donné pour nous à la diligence? Attendez donc!»

      Elle ne concevait pas que je ne me fisse pas rembourser immédiatement l'argent que je venais de tirer de ma poche pour elles; et ce trait de grandeur, que j'étais loin d'apprécier moi-même, commença à me gagner leur considération.

      Nous montâmes dans un cabriolet de place, Eugénie et moi, afin de nous trouver en même temps qu'elles à la porte de notre domicile commun.

      «Ah! mon Dieu! quelle grande maison! s'écrièrent-elles en la toisant de l'oeil; elle est si haute, qu'on n'en voit pas le faîte.»

      Elle leur sembla bien plus haute lorsqu'il fallut monter les quatre-vingt-douze marches qui nous séparaient du sol. Dès le second étage, elles montrèrent de la surprise; au troisième, elles firent de grands éclats de rire; au quatrième, elles étaient furieuses; au cinquième, elles déclarèrent qu'elles ne pourraient jamais demeurer dans une pareille lanterne. Louise, découragée, s'assit sur la dernière marche en disant: – «En voilà-t-il une horreur de pays!»

      Suzanne, qui conservait plus d'envie de se moquer que de s'emporter, ajouta: «Ça sera commode, hein? de descendre et de remonter ça quinze fois par jour! Il y a de quoi se casser le cou.»

      Eugénie les introduisit tout de suite dans leur appartement. Elles le trouvèrent petit et bas. Une pièce donnait sur le prolongement de mon balcon. Louise s'y avança, et se rejetant aussitôt en arrière, se laissa tomber sur une chaise.

      «Ah! mon Dieu! s'écria-t-elle, ça me donne le vertige; il me semble que je suis sur la pointe de notre clocher.»

      Nous voulûmes les faire souper. Eugénie avait préparé un petit repas dans mon appartement, comptant, à ce moment-là, leur présenter Marthe.

      «Vous avez bien de la bonté, monsieur et madame, dit Louison en jetant un coup d'oeil prohibitif à Suzanne; mais nous n'avons pas faim.»

      Elle avait l'air désespéré; Suzanne s'était hâtée de défaire les malles et de ranger les effets, comme si c'était la chose la plus pressée du monde.

      «Ah ça! pourquoi donc trois lits? fit observer tout à coup Louise. Paul va donc demeurer avec nous? A la bonne heure!

      – Non, Paul ne peut pas encore demeurer avec vous, lui répondis-je. Mais vous aurez une payse, une ancienne amie, qu'il voulait vous présenter lui-même…

      – Tiens! qui donc ça? Nous n'avons pas grand'payse ici, que je sache. Comment donc qu'il ne nous en a rien marqué dans ses lettres?..

      – Il avait à vous dire là-dessus beaucoup de choses qu'il vous expliquera lui-même. En attendant, il m'a chargé de vous la présenter. Elle demeure déjà ici, et, pour le moment, elle apprête votre souper. Voulez-vous que je vous l'amène?

      – Nous irons bien la voir nous-mêmes, répondit Louison, dont la curiosité était fortement éveillée; où donc est-ce qu'elle est, cette payse?»

      Elle me suivit avec empressement.

      «Tiens! c'est la Marton, cria-t-elle d'une voix âpre en reconnaissant la belle Marthe. Comment vous en va, Marton? Vous êtes donc veuve, que vous allez demeurer avec nous? Vous avez fait une vilaine chose, pas moins, de vous ensauver avec ce monsieur qui vous a soulevée à votre père. Mais enfin on dit que vous vous êtes mariée avec lui, et à tout péché miséricorde!»

      Marthe rougit, pâlit, et perdit contenance. Elle ne s'était pas attendue à un pareil accueil. La pauvre femme avait oublié ses anciennes compagnes, comme Arsène avait oublié ses soeurs. Le mal du pays fait cet effet-là à tout le monde: il transforme les objets de nos souvenirs en idéalités poétiques, dont les qualités grandissent à nos yeux, tandis que les défauts s'adoucissent toujours avec le temps et l'absence, et vont jusqu'à s'effacer dans notre imagination.

      Et puis, lorsque Marthe avait quitté le pays cinq ans auparavant, Louise et Suzanne n'étaient que des enfants sans réflexion sur quoi que ce soit. Maintenant c'étaient deux dragons de vertu, principalement l'aînée, qui avait tout l'orgueil d'une beauté célèbre à deux lieues à la ronde et toute l'intolérance d'une sagesse incontestée. En quittant le terroir où elles brillaient de tout leur éclat, ces deux plantes sauvages devaient nécessairement (Arsène ne l'avait pas prévu) perdre beaucoup de leur charme et de leur valeur. Au village elles donnaient le bon exemple, rattachaient à des habitudes de labeur et de sagesse les jeunes filles de leur entourage. A Paris, leur mérite devait être enfoui, leurs préceptes inutiles, leur exemple inaperçu; et les qualités nécessaires à leur nouvelle position, la bonté, la raison, la charité fraternelle, elles ne les avaient pas, elles ne pouvaient pas les avoir.

      Il était bien tard pour faire ces réflexions. Le premier mouvement de Marthe avait été de s'élancer dans les bras de la soeur d'Arsène, le second fut d'attendre ses premières démonstrations, le troisième fut de se renfermer dans un juste sentiment de réserve et de fierté; mais une douleur profonde se trahissait sur son visage pâli, et de grosses larmes roulaient dans ses yeux.

      Je lui pris la main, et, la lui serrant affectueusement, je la fis asseoir à table; puis je forçai Louise de s'asseoir auprès d'elle.

      – Vous n'avez le droit de lui faire ni questions ni reproches, dis-je à cette dernière d'un ton ferme qui l'étonna et la domina tout d'un coup; elle a l'estime de votre frère et la nôtre. Elle a été malheureuse, le malheur commande le respect aux âmes honnêtes. Quand vous aurez refait connaissance avec elle, vous l'aimerez, et vous ne lui parlerez jamais du passé.

      Louison baissa les yeux, interdite et non pas convaincue. Suzanne, qui l'avait suivie par derrière, cédant à l'impulsion de son coeur, se pencha vers Marthe pour l'embrasser; mais un regard terrible de Louise, jeté en dessous, paralysa son élan. Elle se borna à lui serrer la main; et Eugénie, craignant que Marthe ne fût mal à l'aise entre ses deux compatriotes, se plaça auprès d'elle, affectant de lui témoigner plus d'amitié et d'égards qu'aux autres. Ce repas fut triste et gêné. Soit par dépit, soit que les mets ne fussent pas de son goût, Louison ne touchait à rien. Enfin, Arsène arriva, et, après les premiers embrassements, devinant, avec le sang-froid qu'il possédait au plus haut degré, ce qui se passait entre nous tous, il emmena ses deux soeurs dans une chambre, et resta plus d'une heure enfermé avec elles.

      Au sortir de cette conférence, ils avaient tous le teint animé. Mais l'influence de l'autorité fraternelle, si peu contestée dans les moeurs du peuple de province, avait maté la résistance de Louise. Suzanne, qui ne manquait pas de finesse, voyant dans Arsène un utile contre-poids à l'autorité de sa soeur, n'était pas fâchée, je crois, de changer un peu de maître. Elle fit franchement

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