La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau

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donc si vieux, mademoiselle, que je doive prendre mes invalides… Seriez-vous de l'avis de mes ennemis?..

      – Oh! cher père…

      – Eh bien! mon enfant, sache qu'un homme tel que moi ne saurait, sans en mourir, se condamner à l'inaction… Je me moque des bénéfices; ce que je cherche, c'est l'emploi de mon énergie et de mes facultés.

      Cette réponse si raisonnable rassura Mlle Henriette et aussi Daniel. L'un comme l'autre ils tenaient de la comtesse une foi entière au génie de M. de la Ville-Handry. Selon eux, il suffisait qu'il entreprît une chose pour qu'elle réussît.

      Et de plus, à part lui, Daniel songeait que la préoccupation des affaires détournerait le comte de ses velléités de jeune homme.

      Non, rien ne pouvait l'en distraire, et de plus en plus il tournait à l'adolescent, au jeune fat. Il se coiffait sur le côté d'un petit chapeau plat, se cambrait dans des jaquettes étroites à larges revers et ne sortait jamais sans une rose ou un camélia à la boutonnière. Se teindre ne lui suffisant plus, il se fardait, et on eût pu le suivre à la trace dans la rue tant il s'imbibait d'odeurs.

      Souvent on le voyait des heures entières immobile dans son fauteuil, les yeux au plafond, les sourcils froncés, absorbé par l'effort de sa réflexion. L'appelait-on, il sursautait comme un malfaiteur pris en flagrant délit. Lui qui jadis tirait vanité de son magnifique appétit, – une ressemblance avec Louis XIV, – il ne mangeait presque plus. Et sans cesse il se plaignait d'étouffements, de palpitations de cœur.

      A plusieurs reprises, sa fille le surprit les yeux pleins de larmes – de grosses larmes, qui traversant sa barbe teinte se teignaient et tombaient comme des gouttes d'encre sur le devant de sa chemise.

      Puis, tout à coup, à ces séances de tristesse, des accès de joie folle succédaient, il se frottait les mains à s'enlever l'épiderme, il chantonnait, il dansait presque…

      D'autres fois, un commissionnaire, presque toujours le même, arrivait avec une lettre… Le comte la lui arrachait des mains, lui jetait un louis, et courait s'enfermer dans son cabinet…

      – Mon pauvre père!.. disait à Daniel Mlle Henriette, il y a des instants où je crains pour sa raison.

      Enfin, un soir, après le dîner, où il avait bu plus que de coutume, peut-être pour se donner du courage, le comte attira sa fille sur ses genoux, et de sa voix la plus douce:

      – Avoue, chère enfant, commença-t-il, qu'en toi-même, au fond de ton petit cœur, tu m'as plus d'une fois accusé d'être un mauvais père… J'ai l'air de t'abandonner, je te laisse seule dans cet immense hôtel où tu dois t'ennuyer à périr…

      Le reproche eût été fondé. Mlle Henriette était plus livrée à elle-même que la fille de l'ouvrier que le travail enchaîne tout le jour à son atelier.

      L'ouvrier, du moins, promène quelquefois sa fille le dimanche.

      – Je ne m'ennuie jamais, cher père, répondit Mlle Henriette.

      – Bien vrai?.. Tu as donc de graves occupations?

      – Certainement. D'abord, je surveille ta maison; je fais de mon mieux pour te la rendre douce et agréable… Je brode, je couds, j'étudie… Dans l'après-midi, j'ai ma maîtresse d'anglais et mon professeur de piano… Le soir, je lis…

      Le comte souriait, mais d'un sourire forcé.

      – N'importe, interrompit-il, cette existence solitaire ne saurait durer… Il faut à une jeune fille de ton âge les conseils, l'affection, les soins d'une femme tendre et dévouée… Aussi, ai-je songé à te donner une seconde mère…

      Brusquement, Mlle Henriette retira son bras passé autour du cou de son père, et se dressant sur ses pieds:

      – Vous songez à vous remarier! s'écria-t-elle.

      Il détourna la tête, hésita et finit par répondre:

      – Oui.

      La stupeur, l'indignation, une douleur atroce, coupèrent d'abord la parole à la jeune fille; mais bientôt, faisant un effort:

      – Est-ce bien vous qui me parlez ainsi, mon père!.. prononça-t-elle d'une voix profonde. Quoi! vous voudriez amener une femme dans cette maison où palpite encore celle qui n'est plus!.. Vous la feriez asseoir à cette place qui était la sienne, dans ce fauteuil qui fut le sien, les pieds sur ce coussin brodé par elle!.. Peut-être même me demanderiez-vous de l'appeler ma mère… Oh! non, n'est-ce pas, vous ne commettrez jamais une telle profanation…

      Pitoyable était le trouble de M. de la Ville-Handry. Et cependant, si elle eût été moins émue, Mlle Henriette eût lu dans ses yeux une inflexible résolution.

      – Ce que je ferais serait dans ton intérêt, chère fille, balbutia-t-il… Je suis vieux, je puis mourir, nous n'avons pas de parents, que deviendrais-tu sans un ami…

      Elle devint cramoisie de honte, et tout hésitante:

      – Mais, mon père, M. Daniel Champcey…

      – Eh bien!

      La joie de la ruse près de réussir brillait dans l'œil du comte.

      – Il me semblait, poursuivit la pauvre jeune fille… je croyais… ma bonne mère m'avait dit… enfin, du moment où vous recevez M. Daniel ici…

      – Tu t'imaginais que je l'avais choisi pour gendre?..

      Elle ne répondit pas.

      – C'était, en effet, une idée de ta mère… elle en avait comme cela de singulières, contre lesquelles ce n'était pas trop de toute ma fermeté… C'est un triste mari, mon enfant, qu'un marin, qu'une signature du ministre sépare de sa femme pour des années.

      Mlle Henriette continua de garder le silence. Elle comprenait quel marché lui proposait son père et l'indignation l'étouffait.

      Lui, qui estimait en avoir assez fait pour une fois, se leva et sortit en disant:

      – Consulte-toi, mon enfant, de mon côté, je réfléchirai.

      Que faire, que résoudre?.. Entre cent partis contradictoires, lequel choisir?..

      Restée seule, la jeune fille prit une plume, et pour la première fois écrivit à Daniel:

      «Il faut que je vous parle à l'instant… Je vous en prie, venez…

«HENRIETTE.»

      Et ayant remis ce billet à un domestique, avec l'ordre de le porter immédiatement, fiévreuse, palpitante, l'oreille au guet, comptant les secondes, elle attendit…

      Daniel Champcey occupait, rue de l'Université, un petit appartement de trois pièces, dont les fenêtres ouvraient sur les jardins de l'hôtel Delahante, jardins ombreux, encombrés de fleurs et peuplés d'oiseaux.

      Là il passait presque tout le temps que lui laissaient ses travaux du ministère de la marine.

      Une promenade avec un ami, le plus souvent avec M. Maxime de Brévan, le théâtre, quand une pièce obtenait un grand succès, deux ou trois visites par semaine à l'hôtel de la Ville-Handry, étaient ses seules et bien innocentes

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