La clique dorée. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 16
– Qu'il soit donc fait selon votre volonté, M. Daniel, dit-elle… Je ne m'opposerai pas à cette profanation… Mais rappelez-vous que ma faiblesse ne nous portera pas bonheur…
Dix heures sonnaient; elle se leva, et tendant la main au jeune homme:
– A demain soir, dit-elle; je saurai et je vous dirai le nom de la femme que mon père épouse, car je le lui demanderai.
Elle n'en eut pas besoin.
Le premier mot du comte, quand il aperçut sa fille le lendemain, fut:
– Eh bien!.. as-tu réfléchi?
Elle arrêta sur lui un regard qui le força de détourner la tête, et d'un air résigné:
– Vous êtes le maître, mon père, répondit-elle… Vous dire que je ne souffrirai pas cruellement de voir entrer dans cette maison une étrangère serait mentir… Mais je serai pour elle respectueuse comme il convient…
Ah! le comte ne s'attendait pas à un si heureux dénouement.
– Ne dis pas respectueuse, s'écria-t-il, dis tendre, prévenante et dévouée… Ah! si tu la connaissais, un ange, mon Henriette, un ange!
– Et quel âge a-t-elle?
– Vingt-cinq ans.
Au mouvement de sa fille, le comte vit bien qu'elle trouvait la future épouse trop jeune, aussi s'empressa-t-il d'ajouter:
– Ta mère avait deux ans de moins quand je l'épousai.
C'était vrai, seulement il oubliait qu'il y avait vingt ans de cela.
– Du reste, poursuivit-il, tu la verras, je lui demanderai la permission de te la présenter… Elle est étrangère, d'une excellente famille, riche, adorablement spirituelle et jolie, et s'appelle Sarah Brandon…
Le soir, quand Mlle Henriette répéta ce nom à Daniel, il se frappa le front d'un geste désespéré, en s'écriant:
– Grand Dieu! si M. de Brévan n'a pas été trompé, c'est pis que tout ce que nous pouvions craindre ou imaginer!..
IV
A voir le foudroyant effet de ce nom seul: Sarah Brandon, Mlle de la Ville-Handry avait senti tout son sang se glacer dans ses veines.
Pour qu'un homme tel que Daniel fût ainsi bouleversé, il fallait, elle le comprenait bien, quelque événement énorme, inouï, impossible…
– Vous connaissez cette femme, Daniel? s'écria-t-elle.
Mais lui, déjà, se reprochait son peu de sang-froid, songeant aux moyens d'atténuer son imprudence.
– Je vous jure, commença-t-il…
– Oh! ne jurez pas. Vous la connaissez…
– En aucune façon.
– Cependant…
– Il est vrai que j'en ai ouï parler, autrefois, il y a fort longtemps…
– Par qui?..
– Par un de mes amis, Maxime de Brévan, un brave et digne garçon.
– Quelle sorte de femme est-ce?
– Mon Dieu! je ne saurais trop vous le dire… Maxime m'en avait parlé fort en l'air, et je ne me doutais pas qu'un jour… Si je me suis exclamé si sottement tout à l'heure, c'est que je me suis souvenu de certaine histoire assez… fâcheuse, dont Maxime la disait l'héroïne, de sorte que…
Il avait ce ridicule de ne savoir mentir, cet honnête homme, de sorte qu'il s'empêtrait dans ses phrases, détournant la tête pour éviter le regard de Mlle Henriette.
Elle l'interrompit, et d'un ton de reproche:
– Me jugez-vous donc si faible, prononça-t-elle, qu'il faille me dissimuler la vérité…
Il ne répondit pas tout d'abord. Etourdi de l'étrangeté de la situation, il cherchait une issue et n'en découvrait pas.
Enfin, prenant son parti:
– Souffrez que je me taise encore, mademoiselle, prononça-t-il. Je ne sais rien de précis, et c'est peut-être à tort que je vous ai si terriblement alarmée. Je parlerai dès que je serai fixé…
– Quand le serez-vous?
– Ce soir-même, si, comme je l'espère, je trouve Maxime de Brévan chez lui, demain matin si je le manque ce soir…
– Et si vos soupçons n'étaient que trop réels? si ce que vous redoutez tant et que j'ignore se trouvait vrai, que faudrait-il faire?..
Sans une seconde d'indécision, il se leva, et d'une voix profonde:
– Je ne vous dirai pas que je vous aime, Henriette, prononça-t-il… Je ne vous dirai pas que vous perdre, ce serait mourir, et qu'on ne tient pas à la vie dans ma famille… vous le savez, n'est-ce pas?.. Eh bien! malgré cela, si mes craintes sont fondées, et je tremble qu'elles ne le soient, je n'hésiterais pas à vous dire: Quoi qu'il doive en résulter, Henriette, au risque même d'être séparés, à tout prix, par tous les moyens en notre pouvoir, nous devons lutter pour empêcher le mariage du comte de la Ville-Handry et de Sarah Brandon!..
Au milieu de tant de tortures, une joie immense inonda l'âme de la pauvre jeune fille.
Ah! il était digne d'être aimé, celui-là que son cœur, librement, avait choisi entre tous, cet homme qui lui donnait cette étonnante preuve d'amour.
Elle lui tendit la main, et les yeux brillants d'enthousiasme et d'attendrissement:
– Et moi, s'écria-t-elle, par la mémoire de ma sainte mère, je jure que quoi qu'il advienne, et dût-on employer les dernières violences morales, jamais je ne serai à un autre qu'à vous.
Daniel avait saisi cette main qui lui était tendue, et longtemps il la tint pressée contre ses lèvres… jusqu'à ce qu'enfin la voix de la raison l'arrachant à son extase:
– Il faut que je vous quitte, Henriette, dit-il, si je veux rencontrer Maxime.
Et il s'éloigna d'un pas fiévreux, la tête perdue, désespéré, fou… Son bonheur et sa vie étaient en jeu et, sans qu'il y pût rien, un mot allait faire sa destinée.
Un fiacre passait, vide; il l'arrêta et s'y jeta, en criant au cocher:
– Surtout, marchons… Je paye la course cent sous… 62, rue Laffitte.
Là demeurait M. Maxime de Brévan.
C'était un garçon de trente à trente-cinq ans, remarquablement bien de sa personne, blond, portant toute sa barbe, à l'œil intelligent et à la physionomie sympathique.
Lancé autant qu'on peut l'être dans le monde de la «haute vie,» parmi les gens dont le plaisir est l'unique affaire,