La clique dorée. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 13
Puis on entendit des piétinements dans la cour; une dispute de cochers, le commandement de l'ordonnateur, puis enfin le roulement funèbre du char… Et ce fut tout…
Dans sa chambre, Mlle Henriette priait et pleurait…
Le soir, pour la première fois depuis leur malheur, le comte de la Ville-Handry et sa fille se mirent à table… mais ils ne purent avaler une bouchée… Comment en auraient-ils eu la force, en voyant vide pour toujours la place occupée par celle qui avait été l'âme de la maison!
Et ainsi, pendant longtemps encore, chaque repas fut un renouvellement de leur douleur… Dans la journée, on les rencontrait errant dans l'hôtel, sans raison, comme s'ils eussent cherché, attendu ou espéré quelque chose…
Mais il était encore, loin de l'hôtel, un cœur loyal et bon, qu'avait cruellement atteint la mort de la comtesse: Daniel. Il l'aimait comme une mère, et au-dedans de lui, la voix mystérieuse du pressentiment lui disait qu'en la perdant c'était presque Henriette qu'il perdait.
Plusieurs fois il s'était présenté rue de Varennes; ce ne fut qu'au bout de quinze jours que la jeune fille permit qu'il fut reçu.
Elle le regretta en l'apercevant. Il avait souffert presque autant qu'elle-même; elle le voyait bien à ses joues pâles et à ses yeux rougis.
Longtemps ils demeurèrent l'un près de l'autre, assis dans le salon, sans mot dire, émus cependant, et comprenant que mêler ainsi leurs larmes, c'était confondre leur avenir.
Le comte, lui, pendant ce temps, arpentait le salon de long en large.
C'était à ne pas le reconnaître, tant il était changé. Il y avait de l'effarement dans son fait, quelque chose de l'effroi d'un paralytique, dont les béquilles tout à coup se briseraient.
Se rendait-il compte de l'immensité de la perte qu'il avait faite? Vaniteux comme il l'était, c'est moins que probable.
– Je reprendrai le dessus dès que je me remettrai aux affaires, disait-il.
Pour son malheur, il s'y remit, et à une époque où elles devenaient difficiles et où il devait avoir à résoudre les plus graves questions.
Deux ou trois fautes absurdes, ridicules, impardonnables, le perdirent à tout jamais. Sa situation politique s'écroula, c'en fut fait de son influence.
Cependant son passé demeura intact. La vérité, nul ne la soupçonna. L'affaiblissement si rapide de ses facultés, ou l'attribua uniquement au chagrin qu'il ressentait de la mort de la comtesse.
– Qui eût cru qu'il l'aimait tant que cela, dit-on.
Mlle Henriette fut trompée comme les autres, plus que les autres.
Mais loin de diminuer, son respect et son admiration pour son père augmentèrent. Elle le chérit davantage en voyant ce qu'elle prenait pour l'effet d'une incurable douleur.
Il était fort affecté en effet, mais uniquement de sa chute. D'où venait-elle? Il avait beau se mettre l'esprit à la torture, il n'en apercevait aucune cause raisonnable.
– C'est à n'y rien comprendre, répétait-il sans cesse.
Et il parlait de complot organisé, de coalition de ses ennemis, déplorant la noire ingratitude des hommes et leur versatilité.
Dans les commencements, il avait songé à se retirer en Anjou. Mais, peu à peu, les jours succédant aux jours, et aux semaines les mois, les blessures de sa vanité se cicatrisèrent, il oublia et prit d'autres habitudes.
On le vit plus assidu à son cercle, il monta souvent à cheval, il fréquenta les théâtres et dîna de temps à autre dehors.
Mlle Henriette s'en réjouissait, la santé de son père lui ayant, à un moment, donné de sérieuses inquiétudes.
Mais son étonnement fut immense, quand elle le vit quitter ses vêtements habituels, un peu sévères comme il convenait à son âge, pour adopter les modes excentriques, des pantalons très-clairs et des vestons à longs poils.
Quelques jours plus tard, ce fut bien pis.
Un matin, quand M. de la Ville-Handry entra dans la salle à manger pour déjeuner, il avait, lui tout blanc la veille, la barbe et les cheveux du plus beau noir.
Mlle Henriette ne put retenir un cri de surprise.
Alors, lui, souriant, mais avec un visible embarras:
– C'est un essai, dit-il, que mon valet de chambre m'a persuadé de faire, il prétend que cela va mieux à mon teint et me rajeunit.
Evidemment quelque chose d'étrange était survenu dans l'existence de M. de la Ville-Handry. Mais quoi?
Si elle ne savait rien de la vie, si elle était l'innocence même, Mlle Henriette était femme, c'est-à-dire servie par un instinct supérieur à toutes les expériences. Réfléchissant, elle croyait bien deviner.
Le comte se préoccupait de ce qui lui seyait le mieux, il s'efforçait de se rajeunir, il cherchait à plaire, donc une femme devait se trouver au fond de ce mystère.
Attristée plutôt qu'inquiète, la jeune fille, après trois jours d'hésitations, finit par se confier à Daniel.
Mais aux premiers mots qu'elle prononça, il l'interrompit, et devenu plus rouge qu'elle:
– Ne prenez nul souci de cela, mademoiselle, dit-il, et quoi que fasse monsieur votre père, n'y prenez point garde.
Le conseil était plus facile à donner qu'à suivre, les habitudes du comte devenant de plus en plus excentriques.
Insensiblement il avait éloigné ses anciens amis et ceux de la comtesse, et il remplaçait cette société d'élite par un monde singulier et fort mélangé.
C'étaient maintenant des jeunes gens, qui arrivaient le matin à cheval, en tenue plus que négligée, qui montaient les escaliers le cigare aux dents et à qui on servait des liqueurs et de l'absinthe.
Dans l'après-midi, des messieurs venaient, à mine vulgaire et arrogante, à gros favoris, portant à leur gilet des chaînes énormes, qui gesticulaient haut et fort et tutoyaient les valets de pied. Ils s'enfermaient avec le comte et le tapage de leurs disputes emplissait toute la maison.
Quelles graves questions s'agitaient si bruyamment? Ce fut M. de la Ville-Handry lui-même qui l'apprit à sa fille.
Trahi par la politique, il allait se lancer, lui annonça-t-il, dans les grandes affaires, et tout en rendant à l'industrie des services immenses, il était sûr de réaliser d'énormes bénéfices.
Des bénéfices… à quoi bon! Tant de son chef que de celui de sa femme, le comte réunissait cent mille écus de rentes. N'était-ce donc pas assez de cette fortune si considérable pour un homme de soixante-cinq ans et une jeune fille qui ne dépensait pas pour sa toilette trois cents louis par an?
Timidement, car elle craignait de blesser son père, Mlle Henriette osa risquer une objection.
Mais lui, après avoir ri du meilleur cœur, et tapant doucement