La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau

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donc Mlle Henriette? S'était-il, à un moment donné, récent ou éloigné, trouvé en relations avec elle, mêlé à sa vie ou à la vie des siens? Payait-il ainsi un service rendu, espérait-il au contraire dans l'avenir quelque récompense? Autant de problèmes!..

      – Me mettre à la merci de cet homme, pensait la jeune fille, n'est-ce pas une imprudence énorme!

      D'un autre côté, en le repoussant, elle retombait dans cet abîme de misère où elle n'avait aperçu d'autre issue que le suicide.

      Or, il lui arrivait ce qui toujours advient à ceux qui, ayant attenté à leurs jours, ont été sauvés lorsque déjà ils avaient épuisé les angoisses de l'agonie et qu'ils avaient fini de souffrir.

      Comme si l'effroyable contact de la mort eût effacé les douleurs du passé et les menaces de l'avenir, elle se remettait à aimer la vie d'une passion désespérée.

      – O Daniel! murmurait-elle toute frissonnante, Daniel mon unique ami, quelle ne serait pas ta souffrance, si tu savais que tu m'as perdue irrémissiblement en essayant d'assurer mon salut!..

      Pour se soustraire à la périlleuse protection du père Ravinet, elle se sentait capable de prodiges d'énergie; mais où, mais comment l'employer, cette énergie? Toujours la voix de la froide raison lui criait:

      – Ce vieux brocanteur est ton seul espoir!..

      L'idée de mentir, d'abuser le père Ravinet par des confidences inventées à plaisir ne lui venait pas. Elle ne songeait qu'au moyen de dire la vérité sans la dire tout entière, cherchant comment en avouer assez pour qu'on pût la servir, assez peu pour ne pas compromettre un secret qu'elle avait estimé plus précieux que son bonheur, que sa réputation, que sa vie.

      C'est qu'elle était victime, l'infortunée, d'une de ces intrigues qui se nouent et se dénouent dans le cercle étroit du foyer domestique, intrigues abominables souvent, qu'on soupçonne, qu'on connaît même quelquefois et qui cependant demeurent impunies, car la loi humaine ne saurait les atteindre…

      Le père de Mlle Henriette, le comte de la Ville-Handry, était, vers 1845, un des plus riches propriétaires de l'Anjou.

      Ce n'est pas sans orgueil que les gens des Rosiers et de Saint-Mathurin montraient aux étrangers le massif château de la Ville-Handry, tapi au soleil levant, au milieu d'ombrages séculaires, dans un repli de ce coteau merveilleux qui domine la Loire.

      – Là, disaient-ils, demeure un brave homme, un peu fier peut-être, mais brave homme tout de même.

      Chose rare à la campagne, où l'envie couve des haines atroces, le comte, malgré son titre et sa grande fortune, était assez aimé.

      C'était alors un homme d'une quarantaine d'années, assez grand et de bonne mine, solennel et poli, obligeant quoique froid, et très-tolérant, pourvu qu'on ne discutât devant lui ni la religion, ni la légitimité, ni la noblesse, ni le clergé, ni ses chiens de chasse, ni la supériorité des vins d'Anjou, ni diverses choses encore, constituant l'ensemble de ce qu'il appelait fastueusement ses opinions.

      Parlant peu et jamais au hasard, il disait moins de sottises que d'autres, et cela lui avait valu un renom d'esprit, de capacité et de savoir dont il n'était pas médiocrement fier, et qu'il entretenait soigneusement.

      Libéral, presque prodigue, il ne mettait guère de côté, chaque année, que la moitié de ses revenus. Il se faisait habiller à Paris, était toujours coquettement chaussé, et ne sortait jamais sans gants.

      Sa maison était tenue sur un pied respectable. Il dépensait deux mille francs par an, rien que pour l'entretien des jardins. Il avait une meute et six chevaux. Enfin, il entretenait une demi-douzaine de grands diables de domestiques dont les livrées armoriées étaient l'éternel ébahissement des gens de Saint-Mathurin.

      Il eût été complet sans sa passion pour la chasse.

      La saison venue, à cheval ou à pied, par tous les temps, on était sûr de le rencontrer, le carnier au dos, arpentant les chaumes, sautant les haies ou barbottant dans les marais.

      A ce point que les châtelaines des environs blâmaient hautement ses imprudences, lui reprochant de compromettre inutilement une santé précieuse.

      Précieuse!.. elle l'était en effet pour les familles pourvues de filles à marier.

      Ce gentilhomme de quarante ans, comblé de toutes les faveurs de la destinée, était célibataire.

      Et, certes, ce n'étaient pas les occasions qui lui avaient manqué. Il n'était pas une bonne mère à vingt lieues à la ronde qui ne guettât pour sa fille cette proie magnifique… 150,000 livres de rente et un beau nom!..

      Il lui suffisait de paraître à un bal à Saumur ou à Angers pour en être le roi. Mères et filles réservaient pour lui leurs plus accueillants sourires et leurs plus provocantes œillades.

      Mais toutes les avances avaient échoué, et même il avait su éviter plus d'un guet-apens conjugal adroitement tendu; car on était allé jusqu'au guet-apens.

      D'où lui venait cette horreur du mariage? Ses intimes l'expliquaient par la présence au château de certaine gouvernante, moitié lingère, moitié dame de compagnie, assez jolie et très intrigante. Mais il est des mauvaises langues partout.

      Cependant, un événement arriva l'année suivante qui ne laissa pas que de donner beaucoup de consistance aux cancans – médisances ou calomnies.

      Un beau matin du mois de juillet 1847, on apprit la mort de cette gouvernante, enlevée en quelques heures par une congestion cérébrale.

      Et dès les premiers jours de septembre, c'est-à-dire six semaines plus tard, le bruit se répandit du mariage du comte de la Ville-Handry.

      La nouvelle était exacte; M. de la Ville-Handry se mariait. On n'en put plus douter quand on vit ses bans affichés à la porte de la mairie de Saint-Mathurin.

      Et qui épousait-il, s'il vous plaît? La fille d'une pauvre veuve, la baronne de Rupert, qui traînait aux Rosiers une existence misérable, sans autres ressources que la maigre pension qui lui revenait du chef de son mari, mort colonel d'artillerie.

      Si encore elle eût été de bonne et authentique noblesse; si seulement elle eût été du pays!..

      Mais point!.. On ne savait même au juste qui elle était ni d'où elle venait, ayant été épousée à l'étranger, en Autriche, suivant les uns et selon les autres en Suède.

      Quant à feu le colonel, on le disait baron de la façon du premier empire et on lui contestait la particule qu'il mettait devant son nom.

      Il est vrai que Mlle Pauline de Rupert, âgée alors de vingt-trois ans, était dans tout l'éclat de la jeunesse et d'une merveilleuse beauté.

      Il est vrai que jusqu'à ce jour elle avait eu la réputation d'une jeune fille modeste et sensée, d'un esprit supérieur, douce, aimante, dotée enfin de toutes ces qualités rares et exquises qui sont l'honneur d'une maison et fixent le bonheur au foyer domestique.

      Mais quoi! pas un sou vaillant, pas de dot, pas même un trousseau…

      La stupeur fut profonde, et suivie tout aussitôt d'un effroyable débordement d'indignes calomnies.

      Etait-il possible, naturel, qu'un gentilhomme

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