La clique dorée. Emile Gaboriau
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Alors, lui:
– Je vous crois, mademoiselle, je vous jure que je vous crois… Mais, cela étant, comment vous trouvez-vous ici, réduite aux dernières extrémités de la misère, vous?
Enfin, le père Ravinet venait de frapper juste. L'émotion gagnait la jeune fille, deux larmes brûlantes jaillirent de ses yeux.
– Il est de ces secrets, murmura-t-elle, qu'il n'est pas permis de révéler.
– Même pour défendre son honneur et sa vie?
– Oui.
– Cependant…
– Oh! n'insistez pas, monsieur.
Si Mlle Henriette eût connu le vieux brocanteur, elle eût lu dans le regard qu'il lui jeta, la satisfaction qu'il éprouvait.
C'est que désespérant, l'instant d'avant, de rien obtenir, il se croyait désormais assuré du succès.
Le moment lui paraissait venu de frapper le coup décisif.
– J'ai essayé de forcer votre confiance, mademoiselle, prononça-t-il, je l'avoue, mais votre intérêt seul me guidait. S'il en était autrement, me serais-je adressé à vous, quand pour surprendre les confidences que je vous demande, je n'avais qu'à déchirer une mince feuille de papier?
La malheureuse ne put retenir un cri.
– Mes lettres!
– Je les ai.
– Ah! c'est donc cela, que les dames qui me soignaient les ont en vain cherchées partout.
– J'ai voulu les soustraire à la curiosité des personnes qui étaient là.
– Et… vous ne les avez pas ouvertes!
Pour toute réponse, il les tira de sa poche, et avec un beau geste, le geste de l'innocence injustement soupçonnée, il les posa sur le lit.
Les enveloppes, en apparence du moins, étaient parfaitement intactes. Mlle Henriette le constata d'un coup d'œil, et tendant la main au vieux brocanteur:
– Je vous remercie, monsieur, dit-elle.
Lui ne sourcilla pas. Il sentait que cette preuve menteuse, de probité avançait plus ses affaires que tous ses discours; aussi se hâta-t-il de poursuivre:
– Par exemple, mademoiselle, je n'ai pu m'empêcher de lire les adresses et d'en tirer des conjectures. Qui est le comte de la Ville-Handry?.. Votre père, n'est-ce pas? Et M. Maxime de Brévan?.. C'est le jeune homme qui venait vous visiter. Ah! si vous vouliez vous fier à moi… Si vous saviez combien il est aisé, parfois, avec un peu d'expérience, de dénouer les situations qui semblent le plus inextricables…
Visiblement, elle était ébranlée.
– Du reste, ajouta-t-il, attendez d'être remise pour prendre une détermination… Réfléchissez, nous sommes gens de revue… Et vous ne me direz que ce que vous jugerez indispensable pour que je puisse vous conseiller…
– Oui, en effet, comme cela, peut-être…
– Alors, j'attendrai, oh! tant que vous voudrez, deux jours, dix jours…
– Soit.
– Seulement, mademoiselle, je vous en prie, jurez moi de renoncer à vos horribles projets de suicide…
– Je vous le jure, monsieur, sur mon honneur de jeune fille!..
Le père Ravinet eut une exclamation joyeuse.
– Adjugé!.. s'écria-t-il, et à demain, mademoiselle, car tel que vous me voyez, je tombe de sommeil et je vais me coucher.
Mais il mentait, car il ne regagna pas son appartement.
Si exécrable que fût le temps, il sortit, et, une fois dans la rue, il alla se blottir dans une encoignure, d'où il pouvait surveiller exactement l'entrée de sa maison.
Il y resta longtemps, au froid et à la pluie, jurant de temps à autre et battant la semelle pour se réchauffer.
Enfin, comme onze heures sonnaient, une voiture de place s'arrêta devant le nº 23. Un jeune homme en descendit, qui sonna à la porte. On lui ouvrit. Il entra.
– Maxime de Brévan! murmura le vieux brocanteur… Et d'une voix sourde:
– Je savais bien qu'il viendrait, le brigand, voir si le charbon a fait son œuvre…
Mais déjà le jeune homme ressortait et remontait dans la voiture qui partit grand train.
– Eh! eh! ricana le vieux brocanteur, pas de chance, mon garçon… le coup est manqué, et il va falloir chercher autre chose… Et je suis là, cette fois, et je te tiens, et au lieu d'un compte à régler, nous en aurons deux…
II
Ce n'est guère que dans les romans qu'on voit des inconnus se prendre soudainement d'une confiance illimitée et se raconter leur vie entière sans restrictions, sans réserver même leurs secrets les plus intimes et les plus chers.
Dans la vie réelle, on y met plus de façons.
Longtemps après que le vieux brocanteur l'eut quittée, Mlle Henriette délibérait encore, indécise de ce qu'elle ferait le lendemain quand elle le reverrait.
Et d'abord, elle se demandait qui pouvait être ce singulier bonhomme, qui lui-même s'était qualifié de «personnage équivoque et dangereux?»
Etait-il réellement ce qu'il paraissait? La jeune fille en doutait presque.
Encore qu'elle n'eût guère d'expérience, elle avait été frappée de certaines transformations singulières et très-sensibles du père Ravinet.
S'animait-il, ses attitudes, ses manières et son geste juraient avec ses habits de «Monsieur de campagne,» comme s'il eût oublié une leçon apprise. Et en même temps, son langage trivial et incorrect d'habitude, et tout émaillé de locutions de son métier, s'épurait.
Que faisait-il? Etait-il brocanteur avant de venir s'établir dans cette maison de la rue Grange-Batelière, qu'il n'habitait que depuis trois ans.
Il n'était pas besoin de grands efforts pour imaginer le père Ravinet, – était-ce même son vrai nom? – en une situation tout autre.
Et pourquoi non? Paris n'est-il pas par excellence le refuge des déclassés, des vaincus de toutes les luttes de la civilisation? N'est-ce pas à Paris seulement que, perdus dans la foule, les malheureux et les coupables, oubliés et inconnus, peuvent recommencer une existence nouvelle?
Ah! si on cherchait un peu!.. Que de gens tout à coup disparus après avoir jeté un certain éclat, on retrouverait sous des habits d'emprunt, gagnant à des métiers intimes leur pain de chaque jour.
Qui empêchait que le vieux brocanteur ne fût un de ceux-là!
Mais tout cela n'expliquait pas suffisamment à Mlle Henriette, et de façon