La clique dorée. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 6
Il toussa donc pour annoncer sa présence et entra.
Au bruit, Mlle Henriette s'était redressée. Apercevant le vieux brocanteur:
– Ah! c'est vous, monsieur, prononça-t-elle d'une voix faible, ces dames qui m'ont soignée, m'ont tout appris… C'est vous qui m'avez sauvé la vie!..
Elle hocha la tête, et lentement:
– C'est un triste service que vous m'avez rendu là, monsieur.
Cela fut dit simplement, mais en même temps avec une si navrante expression de douleur que le père Ravinet en fut épouvanté.
– Malheureuse enfant, s'écria-t-il, songeriez-vous donc à renouveler votre horrible tentative?..
Elle ne répondit pas. N'était-ce pas comme si elle eût répondu: Oui.
– Mais c'est de la folie! s'écria le vieux brocanteur, en proie à la plus vive agitation. A vingt ans, désespérer de la vie! cela ne s'est jamais vu. Vous souffrez, mais soupçonnez-vous seulement les compensations que l'avenir vous réserve!..
Du geste, elle l'interrompit:
– Il n'était plus d'avenir pour moi, monsieur, quand j'ai demandé à la mort un refuge…
– Cependant…
– Oh! ne cherchez pas à me convaincre, monsieur; ce que j'ai fait, je devais le faire. Je sentais la vie me quitter, j'ai voulu abréger les tortures… Il y avait trois jours que je n'avais mangé, quand j'ai allumé du charbon ici… Et pour me le procurer, ce charbon, j'ai eu recours à une supercherie, j'ai trompé la marchande qui me l'a donné à crédit… Ah! Dieu sait cependant que ce n'était pas le courage qui me manquait!.. Avec quelle joie et de quel cœur j'eusse travaillé aux plus grossiers ouvrages! Mais savais-je, moi, où et comment on trouve de l'ouvrage!.. Cent fois j'ai supplié Mme Chevassat de m'en procurer, mais toujours elle se moquait de moi en riant, et quand j'insistais, elle me disait…
Elle s'arrêta et un flot de sang empourpra son visage. Ce que lui disait la portière, elle n'osait le répéter. Mais c'est d'une voix que faisait trembler la rancune de sa dignité de femme et de toutes ses pudeurs outragées, qu'elle dit:
– Ah! cette femme est une indigne créature!..
De quoi était capable la Chevassat, le vieux brocanteur ne pouvait l'ignorer.
Il ne devinait que trop par quels conseils elle avait dû répondre à cette malheureuse de vingt ans, qui en sa détresse profonde s'adressait à elle.
Cependant, un juron lui échappa, qui eut assurément bien étonné l'estimable portière, et vivement:
– Assez, mademoiselle, s'écria-t-il, assez, je vous en prie… Ce que vous avez enduré, ne le sais-je pas? J'ai vu la misère de près aussi, moi. Votre résolution désespérée de ce soir, je ne l'ai que trop comprise. Comment ne s'abandonner pas soi-même, quand on est abandonné de tout et de tous?.. Mais je ne m'explique plus votre découragement, à cette heure que la situation n'est plus la même…
– Hélas! monsieur, en quoi a-t-elle changé!..
– Comment, en quoi!.. Ne suis-je donc pas là, moi! Quoi, après avoir eu la chance d'arriver à temps, je vous abandonnerais! Ce serait du propre! Non, non, jeune fille, reposez en paix, je veille, la misère n'approchera plus. Il vous faut un défenseur, un conseiller, me voilà, solide au poste. Et si vous avez des ennemis, gare à eux! Allons, souriez aux jours meilleurs qui vont se lever.
Mais elle ne souriait pas; la stupeur, presque l'effroi, se peignaient sur son visage.
Concentrant en un puissant effort tout ce qu'elle avait de pénétration, elle attachait sur le bonhomme un regard obstiné, espérant arriver jusqu'au fond de sa pensée.
Lui ne laissait pas que d'être déconcerté du peu de succès de son éloquence.
– Douteriez-vous donc de mes promesses? demanda-t-il.
Elle secoua la tête, et laissant tomber ses paroles une à une, comme pour leur donner une valeur plus grande:
– Pardonnez-moi, monsieur, prononça-t-elle, je ne doute pas… Mais je me demande quels sont mes titres à la généreuse protection que vous m'offrez.
Affectant plus de surprise qu'il n'en ressentait, assurément, le père Ravinet levait les bras au ciel.
– Mon Dieu! interrompit-il, elle suspecte mes intentions!
– Monsieur…
– Eh! que pouvez-vous craindre de moi! Je suis vieux, vous êtes une enfant, je vous viens en aide, n'est-ce pas tout naturel et tout simple!
Elle se tut, et lui pendant un moment demeura pensif, comme s'il eût cherché la cause de cette résistance. Tout à coup, se frappant le front:
– J'y suis! fit-il, la Chevassat vous aura parlé de moi… Ah! langue de vipère, je l'écraserai quelque jour! Voyons, soyez franche, que vous a-t-elle dit?
Il espérait un mot, au moins; il attendit… Rien.
Alors, avec une violence contenue, et en un langage inattendu, certes, de sa part:
– Eh bien! reprit-il, ce qu'elle vous a dit, cette vieille coquine, je vais vous le répéter. Elle vous a dit que le père Ravinet est un personnage équivoque et dangereux, exerçant dans l'ombre toutes sortes d'industries inconnues et inavouables… Elle vous a dit que ce vieux est une manière d'usurier sans foi ni loi, sans autre morale que le gain, trafiquant de tout avec tous, vendant selon le goût des gens de la vieille ferraille ou des cachemires, hypothéquant son argent sur des gages qui n'en sont pas, le talent des hommes et la beauté des femmes. Elle a dû vous dire, en un mot, que pour une femme, être protégée par moi est un bonheur, et vous avez compris que ce serait un opprobre.
Il s'arrêta, comme pour laisser à la jeune fille le temps de porter un jugement, et d'un ton plus calme:
– Admettons, poursuivit-il, que ce père Ravinet que vous a dit la Chevassat existe… Il en est un autre, que bien peu connaissent, que certains malheurs troublent profondément, c'est celui-là qui s'offre à vous.
Se faire mauvais à plaisir, se charger même de vices qu'on n'a pas, c'est une tactique excellente pour ensuite être cru sur parole quand on se vante de certaine qualité qu'on a ou qu'on voudrait paraître avoir.
Si tel fut le calcul du vieux brocanteur, il échoua complètement. Mlle Henriette demeura de glace.
– Croyez, monsieur, fit-elle, que je vous suis reconnaissante, comme il convient, des efforts que vous faites pour me convaincre…
Le bonhomme eut un geste de dépit.
– En un mot, vous repoussez mes offres parce que je ne trouve pas une raison vulgaire pour les justifier… Que vous dire, cependant!.. Voyons, supposez que j'aie une fille, qu'elle s'est enfuie, que je ne sais ce qu'elle est devenue, et que c'est en souvenir d'elle que je voudrais étendre sur vous ma protection… Ne puis-je pas m'être dit que peut-être, de même que vous, elle se débat dans les angoisses de la faim, abandonnée par son amant…
La jeune